Attendu depuis plus d’un an, le troisième plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC) a finalement été présenté par le gouvernement ce lundi 10 mars. Ce document d’une cinquantaine de pages, essentiellement élaboré sous Élisabeth Borne et Gabriel Attal, fixe une série d’objectifs destinés à renforcer la prise en compte des enjeux d’adaptation climatique dans l’ensemble des politiques publiques, de la santé au logement, en passant par le travail, l’agriculture et l’urbanisme. L’ex-Premier ministre, Michel Barnier, en avait dévoilé une première mouture en octobre, qui a par la suite été soumise à consultation publique. Mais entretemps, la censure, les coupes budgétaires puis, ces dernières semaines, l’actualité internationale avec la spectaculaire remise en cause par Donald Trump de l’ordre mondial en place depuis la fin de la Guerre froide, semble avoir remisé la question écologique dans les fins fonds du débat public.
« Le dérèglement climatique n’est pas, comme voudraient nous le faire croire certains populistes, une vue de l’esprit », a martelé Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition écologique, de la Biodiversité, de la Forêt, de la Mer et de la Pêche, lors de la conférence de présentation. Alors que sa principale préoccupation est désormais de ramener ce sujet au centre du jeu, la locataire de l’hôtel de Roquelaure a longuement insisté sur le poids de la facture climatique dans un contexte ou les défis budgétaires s’accumulent. Si la France s’est engagée à ramener ses comptes publics dans le vert d’ici 2029, elle va aussi devoir supporter la hausse annoncée par Emmanuel Macron des dépenses militaires face à la menace russe.
52 mesures pour encaisser une augmentation de 4°C des températures moyennes
« Sans action corrective, le coût des sinistres climatiques pourrait doubler au cours des 30 prochaines années », a averti Agnès Pannier-Runacher. « Ce coût additionnel est évalué à 140 milliards d’euros d’ici 2050. La France pourrait perdre jusqu’à 10 points de PIB sur une hypothèse – plutôt optimiste – de réchauffement climatique à 2°C au niveau mondial », a-t-elle expliqué. À titre d’exemple : sur la période 2015-2020, l’impact sanitaire des vagues de chaleur dans l’Hexagone a représenté une dépense estimée entre 22 et 37 milliards d’euros.
Le plan national d’adaptation au changement climatique s’appuie sur une trajectoire de hausse des températures moyennes de 4°C d’ici 2100, avec un palier à 2°C en 2030 et à 2,7°C en 2050. Le gouvernement entend faire de cette trajectoire, élaborée à partir des données du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), une référence juridique dans les documents d’urbanisme.
52 mesures ont été listées par l’exécutif, elles devront désormais être déclinées dans les territoires. Parmi elles, l’augmentation de 75 millions d’euros du fonds Barnier, qui se verra ainsi porté à 300 millions d’euros cette année. Lancé en 1995, ce fonds est destiné à accompagner collectivités et entreprises dans la prévention des risques naturels majeurs. Une enveloppe de 30 millions est prévue pour la prévention du retrait-gonflement des sols argileux. Les agences de l’eau pourront mobiliser un milliard d’euros en faveur de l’adaptation au changement climatique, dont près de 40 % fléchés en direction de solutions fondées sur la nature.
Le plan prévoit aussi des changements dans les règles de rénovation des logements pour les adapter aux canicules, la chasse aux îlots de chaleur dans les grandes agglomérations, ou encore un renforcement de l’accompagnement des exploitations agricoles et de la filière agro-alimentaire vers des modèles bas-carbone. L’une des mesures phares est la création d’une réserve civile « pour l’adaptation au changement climatique et la gestion d’évènements climatiques majeurs ».
Sale temps pour l’écologie
« Avec ce PNACC, demain, les collectivités, les grandes entreprises, les normes de construction… tout le monde devra intégrer cette trajectoire de plus 4°C », salue le sénateur écologiste Ronan Dantec, lui-même auteur d’un rapport sur l’adaptation aux dérèglements climatiques. « Dans un contexte qui n’est vraiment pas terrible pour l’écologie, c’est quand même une belle avancée même si ce plan tient plus de la cohésion sociale face au défi climatique que d’une véritable politique environnementale », souligne l’élu.
Fin février, Marine Tondelier, la secrétaire générale des Ecologistes attribuait au « syndrome de l’autruche » le recul de l’écologie dans le débat public, invoquant une forme de découragement face à l’ampleur du défi à relever. « Les neuroscientifiques ont démontré que le cerveau humain n’était pas apte à encaisser ce risque parce qu’il est trop énorme, trop immédiat, qu’on a l’impression de ne pas avoir prise puisque même si on arrête de conduire, de consommer, même de respirer, la planète sera toujours en danger », avait-elle expliqué sur France Inter. « Il y a un truc qui plonge certains dans l’éco-anxiété, d’autres dans le déni, dans la culpabilité, tout ça est extrêmement compliqué mais enfin ce n’est pas parce que c’est compliqué qu’il ne faut pas s’en occuper. »
Mais au-delà des explications psychologiques, de nombreux éléments conjoncturels sont venus percuter de plein fouet la place accordée à l’écologie dans les politiques publiques ces derniers mois, au point de donner l’impression d’une variable d’ajustement.
Après le dérapage inédit du déficit en 2024, le budget 2025 prévoit plus de 23 milliards de coupes dans les dépenses publiques, avec notamment le gel du Fonds Vert, des aides à l’achat de véhicules électriques divisées par trois ou encore le budget de MaPrimeRénov, destiné à financer les travaux de rénovation énergétique, amputé de moitié. Au Sénat, Jean-François Husson, le rapporteur (LR) général du budget, ne décolère pas contre la décision du gouvernement de limiter l’enveloppe du fonds territorial climat à 100 millions d’euros contre les 200 initialement prévus. « Si la ministre pense qu’elle va s’asseoir sur le vote des parlementaires… », tempête l’élu auprès de Public Sénat.
De son côté, l’exécutif veut voir le verre à moitié plein, rappelant que l’ensemble des dépenses consacrées à l’écologie dans la loi de finances est en augmentation de 650 millions d’euros par rapport à l’année dernière. « Et même de 3 milliards par rapport à ce qui a réellement été dépensé en 2024 », a fait valoir Agnès Pannier-Runacher sur le plateau de LCP.
Un rejet grandissant des normes
« La ministre se retrouve dans une situation délicate. Sa priorité, c’est de maintenir un budget alors que l’on sent bien que l’on a un Premier ministre qui ne porte pas vraiment ces sujets », décrypte Ronan Dantec. Le 17 février, Antoine Peillon, a annoncé démissionner de son poste à la tête du secrétariat général à la planification écologique, une structure chargée de coordonner les politiques écologiques du gouvernement et de veiller à la pleine mobilisation de ministères, mais qui a perdu de son poids politique depuis qu’elle n’est plus rattachée à Matignon, une rupture qui s’est opérée avec Michel Barnier. « En vérité, le repli sur les questions écologiques a commencé sous Gabriel Attal, au moment de la crise des agriculteurs », pointe Ronan Dantec.
C’est cette même grogne du monde rural qui a poussé à la refonte du projet de loi d’orientation agricole. Adopté le 20 février, juste avant l’ouverture du Salon de l’Agriculture, ce texte, très largement remanié par la droite sénatoriale, s’attaque à de nombreuses normes environnementales. Au point que le sénateur Yannick Jadot a dénoncé durant les débats – parfois houleux – « un négationnisme » face à l’effondrement de la biodiversité. Et la majorité sénatoriale entend bien récidiver cette semaine avec la proposition de loi « Trace », qui vise à assouplir la trajectoire de réduction d’artificialisation des sols, le fameux ZAN, dont la Chambre haute dénonce depuis plusieurs années le carcan.
« J’ai toujours dit qu’il fallait faire des politiques écologiques et environnementales l’une de nos grandes priorités, mais ce qui a fini par nuire à l’écologie dans le débat public ces dernières années, c’est le dogmatisme et l’approche sectaire. Peut-être aurait-il fallu davantage trouver des moments de transition pour parvenir à emmener tout le monde vers le même objectif », estime Jean-François Husson.
« Il y a eu une erreur évidente, commise par l’ensemble des mouvements écologistes, c’est de ne pas avoir compris que le discours sur la transition était inaudible, et même perçu comme une agression, par toute une classe moyenne qui n’est pas forcément la plus précaire, mais qui n’a pas les moyens des grandes villes et qui a dû se battre pour pouvoir profiter d’un mode de vie aujourd’hui pointé du doigt », concède Ronan Dantec, cofondateur du mouvement Territoire44.
Vers un nouvel ordre mondial
La tendance ne concerne pas que la France mais l’ensemble de l’Union européenne, avec la multiplication des attaques contre le Greendeal, le pacte vert européen, dans le viseur notamment des extrêmes droites européennes. Outre-Atlantique, l’administration Trump, après s’être retirée une seconde fois de l’accord de Paris sur le climat, est désormais en train de tordre le cou au « Green New Deal », la politique de transition énergétique voulu par Joe Biden.
« La nécessité pour l’Europe de réaffirmer un discours de défense doit nous pousser à faire certains choix. Au bout d’un moment, tout ne peut pas être constamment prioritaire », relève Jean-François Husson. « Nous avons déjà réduit la voilure sur beaucoup de choses. Il n’est pas question d’abandonner l’écologie, mais sans doute faudra-t-il redéfinir ce qu’il est possible de faire ou non, sans nécessairement renoncer à nos objectifs, et en nous concentrant sur ce qui fonctionne. »