Démission du maire de Saint-Brevin : « Un échec collectif, et j’en prends ma part », déclare le préfet

Deux semaines après l’audition au Sénat du maire démissionnaire de Saint-Brévin-les-Pins, les explications du préfet de Loire-Atlantique et du sous-préfet de Saint-Nazaire étaient particulièrement attendues par les élus. Devant la commission des lois, ces deux hauts fonctionnaires ont voulu faire preuve « d’humilité » après l’incendie criminel qui a visé le domicile de l’édile fin mars. Pour autant, ils estiment avoir déployé les moyens nécessaires pour faire face aux tensions soulevées par l’implantation, à l’initiative de l’Etat, d’un centre d’accueil de demandeurs d’asile sur la commune.
Romain David

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« Le préfet a menti effrontément ». Mercredi 17 mai, invité par la commission sénatoriale des lois à faire le récit des évènements qui l’ont poussé à la démission, le maire de Saint-Brevin-les- Pins n’avait pas caché sa frustration et sa colère à l’égard de l’administration. Victime le 22 mars dernier de l’incendie criminel de ses deux véhicules, qui a également touché une partie de son domicile, Yannick Morez a dénoncé le manque de soutien de l’Etat après avoir été, des semaines durant, la cible des intimidations d’un collectif d’extrême droite opposé à un projet de centre d’accueil de demandeurs d’asile (Cada) sur sa commune. Devant la représentation nationale, l’ex-élu (sa démission a été rendue effective en début de semaine) a notamment reproché au préfet de Loire-Atlantique et au sous-préfet de Saint-Nazaire de n’avoir organisé aucune réunion publique pour informer les administrés, mais aussi d’avoir minimisé les menaces reçues. Devant plusieurs médias, le préfet Fabrice Rigoulet-Roze avait pourtant assuré avoir apporté un « soutien constant auprès du maire et du conseil municipal ».

Ce mercredi 31 mai, les deux hauts fonctionnaires ont pu donner la réplique aux accusations de Yannick Morez, et livrer leur version des faits lors d’une audition commune devant les sénateurs. S’ils ont reconnu des erreurs d’appréciation sur la situation à Saint-Brevin-les-Pins, ils ont également estimé avoir déployé les moyens nécessaires pour accompagner la mise en place du projet et garantir la sécurité du maire et des autres élus, au regard du moins des informations qui leur parvenaient. « La démission du maire de Saint-Brevin est motivée par des raisons personnelles et familiales, elle est fondée par le fait qu’il ne se sentait plus en situation de pouvoir exercer ce mandat. Elle est aussi fondée, comme il me l’a indiqué lors d’un entretien, sur le sentiment d’une absence de soutien de l’Etat qui interpelle et qui m’interpelle », a expliqué le préfet Fabrice Rigoulet-Roze. « Cette démission n’en est pas moins un échec collectif, et j’en prends ma part », a voulu assumer ce représentant de l’Etat, entré en fonction en Loire-Atlantique en janvier 2023, soit près de deux ans après le lancement du projet d’implantation de Cada.

Une période « ponctuée d’évènements lourds en termes d’ordre public »

Devant les sénateurs, Fabrice Rigoulet-Roze s’est dit « attaché à un travail de proximité, à l’écoute des préoccupations des maires ». Mais il a aussi longuement invoqué le contexte social du début d’année, la contestation de la réforme des retraites, pour tenter de justifier un éventuel déficit d’attention de la part des services préfectoraux quant à la montée des tensions à Saint-Brevin-les-Pins. « La dimension de l’ordre public dans le département, et particulièrement à Nantes, a nécessité une mobilisation permanente du corps préfectoral et des forces de l’ordre », a-t-il expliqué. « À titre contextuel, la semaine au cours de laquelle a été commis l’incendie criminel contre le maire a été ponctuée d’évènements lourds en termes d’ordre public ». Il a ainsi évoqué le blocage du pont de Cheviré par des opposants au report de l’âge légal de départ à la retraite, la veille du drame.

« Dans ce contexte, nous avons, la gendarmerie, le sous-préfet et moi, accordé une attention immédiate et requise au maire et à l’incendie dont il a été victime, ce qui a nécessité un soutien institutionnel et personnel. Nous avons témoigné le jour même, le sous-préfet le matin et moi l’après-midi, ce soutien », a-t-il déclaré. « Malgré la charge croissante de la gestion de l’ordre public, je ne crois pas que l’Etat ait oublié de soutenir et d’accompagner un maire lâchement ciblé par un incendie dont l’origine criminelle a été confirmée, et encore moins ne pas avoir pris ces éléments au sérieux. »

Fabrice Rigoulet-Roze a également voulu « lever des malentendus » sur certains propos qui ont pu lui être attribués, notamment par Yannick Morez lors de son audition. « Je n’ai jamais affirmé avoir eu régulièrement ou de nombreuses fois le maire au téléphone, ce n’est pas le cas. J’ai indiqué que j’avais eu le maire le 10 mai au téléphone, à la réception de son courrier de démission, et lui avais renouvelé mon soutien comme je l’avais fait à plusieurs repaires : de vive voix le 22 mars et le 10 mai donc. Mais aussi via mon secrétaire général qui l’a appelé en mon nom et à ma demande expresse le 4 avril, pour lui réaffirmer mon soutien et lui indiquer que nous allions organiser une audience avec le collectif anti-Cada », a-t-il détaillé. « Je n’ai pas dit non plus avoir organisé des réunions publiques, pour la raison que je n’ai pris mes fonctions que fin janvier 2023, alors que la concertation sur ce projet s’est déroulée durant l’année 2022 », a-t-il encore recadré.

Une montée en puissance progressive des opposants

En 2016, un premier centre d’hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile a été installé sur la commune de Saint-Brevin-les-Pins, à l’intérieur d’un centre de vacances appartenant à EDF. Début 2021, l’Etat décide de transformer cette solution provisoire en Cada, ce qui implique le transfert de la structure vers de nouveaux bâtiments. Le 15 avril 2021, la commune propose un nouveau site, qui reçoit l’aval du ministère durant l’été. À l’automne de la même année, une première réunion de présentation est organisée, sous la présidence du maire.

« La commune a fait le choix d’une communication ciblée avec des tracts distribués dans les boîtes aux lettres, des réunions associant le public concerné sur invitation », a précisé le sous-préfet Michel Bergue. Lors de ces réunions, les discussions sont menées par l’opérateur en charge du transfert, « elles ne nécessitaient pas, a priori, l’intervention d’un membre du corps préfectoral », dans la mesure où le centre d’accueil déjà implanté depuis plusieurs années n’avait jamais soulevé de difficultés particulières, a encore voulu souligner le sous-préfet. « Le nouveau site choisi se trouve à côté d’une école, et l’on sait que toute installation auprès d’une école soulève des tas de questions et de peurs qu’il faut savoir traiter pour éviter que tout cela ne s’aggrave », a toutefois opposé la scénariste centriste Françoise Gatel, qui préside la délégation aux collectivités territoriales.

La situation se crispe quelques mois plus tard : « Lors de la réunion du 22 février 2022, qui rassemble une quarantaine de personnes, une dizaine de parents d’élèves et de voisins signalent leurs inquiétudes. Ils seront à l’initiative de la création du collectif », poursuit Michel Bergue. Jusqu’à l’automne suivant, plusieurs manifestations sont organisées devant la mairie et les futurs locaux du Cada, sans incidents particuliers.

Mais en décembre dernier, une nouvelle mobilisation réunit quelque 150 participants, dont des militants du Rassemblement national, de Reconquête et des Patriotes, le parti de Florian Philippot. De nombreux participants sont étrangers à la commune, voire au département. La contestation s’accompagne désormais de messages virulents postés sur les réseaux sociaux, mais aussi de courriers, parfois injurieux, envoyés au maire et aux membres du conseil municipal. Le 25 février 2023, Saint-Brevin-les-Pins est le théâtre d’une double manifestation : « 900 manifestants pro-Cada présents dans le calme le matin, et 380 manifestants anti-Cada l’après-midi, dont 80 d’ultra-droite », résume Michel Bergue. « Dans l’après-midi, 200 militants d’ultra gauche tentent de forcer le barrage policier et attaquent les forces de l’ordre ».

Une réévaluation « tardives » des menaces ?

« Dès le début de la contestation, une attention particulière a été portée par la gendarmerie à tous les aspects de ce dossier : manifestations, confrontations des antagonistes, tractages, tags, sécurité des sites et, évidemment, protection des personnes », assure Fabrice Rigoulet-Roze. « J’ai donné personnellement des consignes pour ne pas laisser isoler le maire et la commune lors de deux manifestations anti-Cadas ». Il fait d’ailleurs état d’un dispositif « de forte intensité en termes de moyens, et qui dépasse le terme commun pour des manifestations de moins de 2 000 personnes ». « À chaque étape de ce dossier et depuis que la situation s’est fortement durcie fin 2022, les services de l’Etat ont été constamment présents, ont consacré énormément de temps et d’énergie à la gestion de cette affaire », a également abondé le sous-préfet.

Mais du côté des sénateurs, plusieurs élus s’étonnent qu’il ait fallu attendre l’incendie du 22 mars pour que les autorités mettent en place un dispositif de protection du maire, en dépit des menaces déjà reçues, et dont l’édile s’était ému dans un courrier dès le début d’année. « Il y a un faisceau d’éléments qui me semble largement constitutif d’une menace sur le maire, eu égard à la forme qu’ont prise les dernières manifestations contre l’implantation du Cada », a ainsi relevé le sénateur LR Mathieu Darnaud, rapporteur d’une mission d’information sur l’avenir de la commune et du maire en France. « On pouvait largement imaginer, à un moment donné, que cela allait déboucher sur des violences à l’endroit du maire. Il semble que la réévaluation de la menace soit tardive. Vous parlez du mois d’avril, c’est-à-dire plusieurs jours après que les incendies se sont produits. »

Son collègue, le socialiste Hussein Bourgi, va plus loin dans le reproche, s’étonnant qu’il n’y ait pas eu de déplacement de la part des autorités préfectorales immédiatement après le sinistre : « Ce qui m’a personnellement heurté, c’est d’apprendre que l’un ou l’autre était allé à Pornic 48 heures après l’incendie, et pour aller à Pornic, il faut obligatoirement passer par Saint-Brevin. Personne n’a pris le soin, ni au retour ni à l’aller, de s’y arrêter et cela je ne le comprends pas. »

Le sous-préfet Michel Bergue tente de justifier tant bien que mal ce qui peut apparaître comme une forme d’indifférence : « Nous sommes deux jours après l’incendie des véhicules et du domicile. J’ai eu le maire au téléphone, et je n’ai pas perçu de demande particulière de sa part à ce moment-là, peut-être à tort », rapporte-t-il. « Le maire a considéré que l’agression dont il a été victime était liée à l’affaire du Cada, ce qui est fort possible mais aujourd’hui rien ne le démontre expressément. Il n’y a jamais eu de revendication et il n’y a pas eu à ma connaissance de procédure permettant d’incriminer tel ou tel type d’individus », ose par ailleurs avancer ce haut fonctionnaire.

« Si nous n’avions pas été dans le contexte social que j’ai décrit, mon réflexe aurait été d’aller voir le maire », admet Fabrice Rigoulet-Roze. « Cela aurait été le meilleur moyen de percevoir, en direct, ses difficultés, celles de son entourage et d’anticiper. Je le dis, je n’ai pas anticipé sa démission ».

« Est-ce que nous aurions pu faire plus ? »

« En préparant cette audition, en examinant avec attention chacune des pièces, je me suis posé deux questions avec beaucoup d’humilité : est-ce qu’une donnée, une information est passée à la trappe, n’a pas été traitée correctement ou prise à sa juste mesure ? », a fait mine de s’interroger le préfet de Loire-Atlantique devant les parlementaires. « Nous avons tout revérifié pour être sûr que ce n’était pas le cas ».

« La seconde question c’est : est-ce que nous aurions pu faire plus ? Cette question, je me la pose à chaque gestion de crise depuis que j’exerce des responsabilités. » Et d’ajouter : « Il me semble avoir prêté, dès mon arrivée le 30 janvier dans ce département, une attention particulière à cette situation singulière, qui voit un sujet local pris en otage par la récupération politique ».

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