Après les députés le 10 décembre dernier, les sénateurs ont débattu à leur tour ce lundi de l’effort de défense et de ses enjeux. Un débat selon l’article 50-1 de la Constitution, suivi d’un vote, qui posait une question qu’a résumée ainsi la ministre des Armées, Catherine Vautrin : « Face à un monde en pleine mutation stratégique, soutenez-vous le renforcement de nos armées ? » Les sénateurs ont, à une très large majorité, répondu « oui », par 307 voix contre 19. Les groupes LR, PS, UC, RDPI, Les Indépendants et les 3 sénateurs RN ont voté pour. Le groupe CRCE-K (communiste) a voté contre et le groupe Ecologiste – solidarité et territoires s’est abstenu.
Le « débat a été plutôt imaginé en premier lieu pour vos collègues de l’Assemblée », a rappelé en ouverture le premier ministre, Sébastien Lecornu, alors que les députés n’ont pas examiné les crédits de la défense, à la différence des sénateurs, qui les ont adoptés. L’idée du premier ministre était donc de montrer que, malgré les désaccords sur le budget, l’union est possible sur des sujets jugés essentiels comme la défense, en espérant que cela puisse faciliter un accord sur le budget.
« Mise à jour de la programmation militaire au premier trimestre de l’année prochaine »
Mais ce débat intervient alors que l’adoption du budget reste toujours des plus incertaine. « Comme vous le savez, sans vote de cette loi de finances, il n’y a pas de crédits », a rappelé Catherine Vautrin. Un budget de la défense qui sera – théoriquement – renforcé, sur décision d’Emmanuel Macron, avec un effort supplémentaire, au-delà de la « marche » déjà prévue par la loi de programmation militaire (PLM) : 3,2 milliards d’euros en plus, qui s’ajoutent aux 3,5 milliards déjà prévus, soit un total de 6,7 milliards d’euros en 2026.
Ce débat est aussi, en quelque sorte, le prélude à « la discussion d’un nouveau texte de mise à jour de la programmation militaire, au premier trimestre de l’année prochaine », a rappelé Sébastien Lecornu.
Entre « notre indépendance » et notre « autonomie » de défense, les projets qui peuvent se faire entre Européens – avec plus ou moins de succès, comme le montre le Scaf, le projet d’avion de 6e génération – et « le rapport entre l’appareil de défense et la Nation », les questions sont nombreuses, rappelle le premier ministre.
« La guerre de haute intensité est de retour »
Le débat a évidemment essentiellement tourné autour de la menace russe et de l’évolution de la menace. « La manière de s’en prendre à la nation française sera dans les années à venir beaucoup plus hybride », a souligné Sébastien Lecornu, qui prévient : « Aujourd’hui, on peut être défait, sans être envahi ».
L’Ukraine a quant à elle été envahie très concrètement. « Sur le théâtre ukrainien mais aussi au Proche et Moyen orient, la guerre de haute intensité est de retour », a rappelé la ministre des Armées, avec « des armements de très haute technologie » et « une dronisation massive du champ de bataille ».
« La Russie se place dans une posture de menace à l’égard de l’Europe »
La prise de distance assumée des Américains vis-à-vis de l’Otan, véritable tournant stratégique, a aussi de lourdes conséquences pour les Européens, avec la question de savoir « comment on fait vivre notre pilier européen de l’Otan » à l’avenir, remarque le premier ministre.
« Les Etats-Unis veulent réduire leur engagement en Europe. Il intervient au moment où la Russie se place dans une posture de menace à l’égard de l’Europe. Elle est assumée, structurée et pensée dans le temps long. Car la Russie a fait le choix de rentrer dans une économie de guerre », met en garde Catherine Vautrin.
C’est pourquoi dans ce contexte, « oui, nous devons assumer de renforcer la puissance française », lance la ministre des Armées, via « ce que nous appelons la préférence européenne » en matière d’armement. « Notre main doit être ferme », insiste encore la ministre.
« Dans ce monde de loups, cessons d’être des agneaux »
Pour le groupe LR, le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Cédric Perrin, a pleinement soutenu l’effort demandé. « Dans ce monde de loups, cessons d’être des agneaux », lance le sénateur du Territoire de Belfort. S’il « donne acte » au chef de l’Etat d’avoir « mis un terme à la saignée » du budget de la défense depuis 2017, « le terme guerre économique est un pur affichage », pointe e, revanche Cédric Perrin.
Le retour des discussions sur l’actualisation de la PLM doit être, pour le sénateur LR, l’occasion « que soient abordés cette fois les vrais sujets de fond, le modèle d’armée et le format des armées ». Il ajoute :
« Oui à l’effort, mais pas au prix de sacrifier notre modèle social »
Pour le groupe PS, le sénateur Rachid Temal s’est déjà réjoui d’avoir « enfin » l’organisation de ce débat, qui avait été « demandé » par son groupe socialiste. Face au « retour des empires contrariés » et une Russie « plus puissante demain », la France doit se renforcer, soutient le sénateur PS. Mais pas à n’importe quel prix. « Oui à l’effort, mais pas au prix de sacrifier notre modèle social », a alerté Rachid Temal, pour qui nous sommes face aussi à « un défi politique : oui, il faut associer plus le Parlement » mais « que le Président arrête avec sa politique des annonces ». « Nous voterons oui à la question posée, mais il ne s’agit nullement d’un chèque en blanc, ni d’un blanc-seing », prévient le sénateur PS du Val-d’Oise.
Au regard des menaces, « la surmarche de 3,5 milliards pour 2026, ce n’est pas du luxe », a lancé de son côté, pour le groupe RDPI (Renaissance), Jean-Baptiste Lemoyne, citant la devise de l’école de guerre, devenu « d’actualité » : « Si tu veux la paix, prépare la guerre ». Mais cet effort consenti se fait après un « réveil brutal des Européens », face au désengagement américain annoncé sur notre continent, relève l’ancien ministre.
« Quelqu’un ici a-t-il vu une quelconque économie de guerre ? »
S’il salue « la bonne nouvelle » de la hausse du budget des armées, le président du groupe Les Indépendants, Claude Malhuret, ne s’est pas privé de lancer une pique à l’égard d’Emmanuel Macron. « En 2022, il y a 3 ans, le Président annonçait l’entrée du pays en économie de guerre. 3 ans plus tard, quelqu’un ici a-t-il vu une quelconque économie de guerre ? » lance ce membre d’Horizons, le parti d’Edouard Philippe.
Pour le groupe RDSE, Mireille Jouve a dit « oui aux moyens supplémentaires, c’est notre devoir vis-à-vis des générations futures ». Mais « le plus difficile des défis ne sera pas le financement de l’économie de guerre, mais son acceptation globale », met en garde la sénatrice des Bouches-du-Rhône.
« Ce discours martial du président et du premier ministre est en train de préparer notre opinion à une guerre qui serait la seule solution »
Selon la présidente du groupe communiste, Cécile Cukierman, voix la plus critique du débat, « ce discours martial du président et du premier ministre est en train de préparer notre opinion à une guerre qui serait la seule solution », soutient la sénatrice de la Loire.
Dénonçant un « double standard éclatant », avec « le silence face aux massacres commis au Proche-Orient par l’autorité israélienne », elle pointe le fait que « depuis 2019, la Commission européenne s’aligne sur la qualification américaine de la Chine de rival systémique. Voilà ce bon retour à cette vieille guerre froide, des gentils et des méchants », a-t-elle ironisé.
« Nos centrales nucléaires continuent de fonctionner depuis 4 ans avec de l’uranium enrichi en Russie »
Le président du groupe écologiste, Guillaume Gontard, a soutenu qu’il fallait « consentir à ce rapport de force » avec Poutine, rappelant que son groupe ne s’est « pas opposé à la LPM ». Mais l’effort doit être fait sans « réduire le budget d’aucune politique publique » et ne pas être entendu « sans une contribution importante des milliardaires ».
Le sénateur de l’Isère souligne au passage que « Vladimir Poutine se permet de nous attaquer car il sait qu’il nous tient économiquement ». Et de souligner qu’« en 2024, l’Europe a encore plus acheté d’hydrocarbures à Moscou, 22 milliards d’euros, qu’elle n’a donné à l’Ukraine, 19 milliards d’euros. Comment voulez-vous gagner une guerre en finançant ainsi l’ennemi ? » demande Guillaume Gontard, qui pointe une autre contradiction : « Nos centrales nucléaires continuent de fonctionner depuis 4 ans avec de l’uranium enrichi en Russie ».