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Retraites, RSA, immigration… Retour sur douze lois adoptées par le Parlement en 2023

À l’aube de 2024, Public Sénat balaye l’année écoulée au Parlement et revient sur douze textes de loi emblématiques, par leur portée et/ou la bataille politique qu’ils ont suscitée.
Romain David

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Le premier texte d’envergure de 2023 aura également été le plus polémique et certainement le plus combattu de ces dernières années. Présenté par l’exécutif comme « la mère des réformes », le recul de l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans, destiné à soulager le système par répartition, a soulevé une âpre bataille parlementaire et une mobilisation sociale inédite, avec 14 journées de manifestations intersyndicales, réunissant de 1,2 à 3,5 millions de personnes pour la seule journée du 7 mars selon les estimations.

Le Sénat, dont la majorité de droite et du centre proposait chaque année une réforme similaire, adopte le texte sans trop de difficultés, malgré les tentatives de la gauche pour retarder le vote. À l’Assemblée nationale, le projet de loi finit par soulever des divisions jusqu’au sein de ses soutiens, notamment chez les députés de droite. La paralysie des débats – près de 20 000 amendements déposés au Palais Bourbon – empêche les députés d’aller au bout du texte. Un compromis est trouvé entre les deux chambres en commission mixte paritaire, mais pour faire adopter cet accord, le gouvernement se résigne à utiliser l’article 49, alinéa 3 de la Constitution, craignant une trop grande fuite de voix du côté des LR. La crise politique déclenchée par ce passage en force provoque une suspension du calendrier parlementaire et une rupture durable entre l’exécutif et les partenaires sociaux.

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Loi créant une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales, adoptée le 16 février

Ce texte est issu d’une proposition de loi de la sénatrice centriste Valérie Létard. L’objectif : apporter un coup de pouce financier aux victimes de violences conjugales qui décident de quitter leur domicile. Il a reçu le soutien du gouvernement, qui a opéré quelques retouches à la faveur de la navette parlementaire.

À l’origine, la proposition de loi prévoyait qu’un prêt à taux zéro puisse être débloqué par la Caisse d’allocations familiales (CAF) sous 48 heures et versé pendant trois mois à toute victime ayant déposé une plainte contre un conjoint ou ex-conjoint violent, ou fait une demande d’ordonnance de protection. Dans sa version définitive, cette aide universelle peut prendre deux formes : un don ou un prêt, qui devra être remboursé à terme par l’auteur des faits. Depuis le 1er décembre cette aide est accordée par la CAF ou les caisses de la mutualité sociale agricole dans un délai de trois jours ouvrés, pour un montant compris entre 240 et 1 300 euros.

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Loi relative aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024, adoptée le 12 avril

Ce texte est destiné à adapter notre législation dans la perspective des Jeux olympiques et paralympiques accueillis par la France l’été prochain. Il renforce notamment la marge de manœuvre du laboratoire antidopage français, désormais autorisé à pratiquer des tests génétiques.

Mais le volet le plus important, et le plus polémique, de ce texte concerne la sécurisation de l’évènement. Au cours de l’examen parlementaire, le Sénat a obtenu l’utilisation, à titre expérimental, de drones et de dispositifs intelligents de vidéoprotection, ayant recours aux algorithmes pour traiter les images captées et ainsi détecter les « comportements anormaux ». La mesure a soulevé de fortes critiques dans les rangs de la gauche.

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Loi relative à la construction de nouveaux réacteurs nucléaires, adoptée le 16 mai

Ce texte très technique est la traduction législative de la relance du programme nucléaire civil de la France, motivée notamment par la crise énergétique qui a ébranlé l’Europe après l’invasion russe de l’Ukraine. Le projet de loi doit permettre d’accélérer les procédures de construction, alors que le gouvernement souhaite voir sortir de terre six réacteurs nucléaires nouvelle génération d’ici 2050.

Dans la même veine, un second projet de loi, consacré à la sûreté nucléaire, doit être examiné au Sénat à partir du mois de février. Il prévoit de rassembler au sein de la même entité l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Mais la fusion d’un établissement public sous la tutelle du gouvernement (IRSN) avec une autorité administrative indépendante (ASN), soulève de vives inquiétudes quant à l’impact qu’elle pourrait avoir sur l’exigence et le niveau de protection des populations.

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Loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030, adoptée le 13 juillet

Dans un contexte de montée des tensions internationales, notamment avec le retour de la guerre sur le continent européen, la loi de programmation militaire débloque pour la défense française une enveloppe inédite d’un peu plus de 413 milliards d’euros sur six ans, soit une hausse de 40 % par rapport à l’exercice précédent.

Ces crédits ne portent pas seulement sur l’acquisition et l’entretien des matériels, notamment l’arsenal nucléaire, mais aussi sur le maintien en conditions opérationnelles des personnels. Les LR souhaitaient, avec le soutien du gouvernement, qu’une partie du livret A puisse être fléchée vers les industries de défense. La mesure, censurée par le Conseil constitutionnel, a finalement été réintroduite dans le projet de loi de finances 2024.

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Loi relative à l’industrie verte, adoptée le 11 octobre

Porté par Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie, la loi relative à l’industrie verte est destinée à favoriser une réindustrialisation décarbonée de la France face aux grands enjeux climatiques et environnementaux. Ses mesures visent à faciliter l’installation de sites industriels d’intérêt national majeur pour la transition énergétique et la réhabilitation des friches. Elle intègre également une meilleure prise en compte des critères environnementaux dans la commande publique.

Les sénateurs ont obtenu que les élus locaux puissent avoir « un avis prépondérant » dès le lancement d’une procédure d’installation, notamment avec un droit de veto des communes.

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Réforme du RSA, adoptée le 14 novembre

L’objectif de la loi « plein emploi » est de ramener le taux de chômage à 5 %, alors que celui-ci stagne aux alentours des 7 % depuis plus d’un an. La loi acte la transformation de Pôle emploi en « France Travail », un ravalement derrière lequel se dissimule une réforme profonde et contestée du Revenu de solidarité active (RSA).

Suivant une promesse de campagne d’Emmanuel Macron, le versement de cette prestation sociale destinée aux personnes sans ressources est désormais conditionné à 15 heures d’activités hebdomadaires, avec des dérogations selon la situation familiale des bénéficiaires ou leur état de santé. Le gouvernement, qui ne souhaitait pas inscrire de durée précise dans la loi a dû, sur ce point, céder à la pression de la droite sénatoriale puis des députés LR.

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Loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, adoptée le 15 novembre 2023

Ce texte définit la trajectoire pluriannuelle de la France en matière de finances publiques, et vise surtout à faire repasser le déficit sous la barre des 3 % à l’horizon 2027, après le ralentissement économique et les dépenses exceptionnelles motivées par la pandémie de Covid-19. Il fixe un cadre financier à diverses administrations, avec une stabilité dans les emplois et les opérateurs de l’Etat. L’exécutif devra également rendre des comptes chaque année au Parlement sur l’efficacité des politiques publiques. Le Sénat a proposé une version durcie de ce texte, notamment avec une baisse de 5 % du nombre de fonctionnaires. In fine, le gouvernement a dû engager sa responsabilité devant l’Assemble nationale pour faire adopter cette loi de programmation.

Loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024, adoptée le 4 décembre

Également adopté par recours à l’article 49, alinéa 3 de la Constitution, le budget de la Sécurité sociale, cuvée 2024, prévoit une enveloppe de 640 milliards d’euros, dont 252 milliards dévolus à l’Assurance maladie.

Ce budget réforme le modèle de financement de l’hôpital, en renforçant la part des dotations à côté de la tarification à l’activité. Il acte le remboursement des protections périodiques réutilisables, mais confirme aussi la gratuité des préservatifs pour les moins de 26 ans, déjà mise en place en 2023. Le Sénat a tenté d’introduire une « taxe lapin », une pénalité financière pour les assurés qui n’honorent pas leurs rendez-vous médicaux, mais finalement enterrée par l’exécutif qui l’a jugée trop complexe à mettre en place.

» Lire aussi – « Taxe lapin » : le Sénat veut faire payer les patients qui ne se présentent pas à leurs rendez-vous médicaux

La prolongation du dispositif ticket-restaurant pour les courses alimentaires, adopté le 18 décembre

Déposé dans l’urgence par la majorité présidentielle, ce texte vise à prolonger l’assouplissement des règles de paiement en « ticket resto », une mesure prise à l’initiative du Sénat pour aider les ménages à lutter contre la fièvre inflationniste de l’été 2022. Or, la Chambre haute avait souhaité borner le dispositif avec une date limite : le 31 décembre 2023. Alors que les prix de l’alimentaire reste élevé, le gouvernement a donné son feu vert à la pérennisation du système. Cette loi permet aux clients de continuer à régler avec des chèques-restaurants certains produits non directement consommables, comme la farine, les pâtes, le riz ou encore la viande.

» Lire aussi – Tickets resto : la prolongation de leur utilisation pour tous les achats alimentaires, votée par le Parlement

Le projet de loi immigration, adopté le 19 décembre

Feuilleton politique et législatif de la fin d’année, la loi immigration vient renforcer les dispositifs de reconduites des étrangers non admis sur le sol français, met fin à l’automaticité du droit du sol, limite le regroupement familial et impose de nouveaux critères dans l’attribution de plusieurs allocations sociales versées aux étrangers. Le texte précise également les conditions de régularisation, à titre exceptionnel, des travailleurs sans papiers qui travaillent dans les secteurs en tension. Par ailleurs, un certain niveau de maîtrise de la langue française sera requis pour obtenir une carte pluriannuelle de séjour.

Le parcours riche en rebondissements du projet de loi, annoncé au lendemain de la présidentielle, a fini par fracturer la majorité macroniste, qui a failli perdre définitivement son aile gauche dans la bataille parlementaire. L’adoption surprise d’une motion de rejet par les députés a empêché l’Assemblée nationale d’examiner ce texte. C’est finalement une version très largement durcie par les travaux de la droite sénatoriale qui a été adoptée mardi 19 septembre, après 14 heures d’âpres négociations en commission mixte paritaire.

Alors que le gouvernement lui-même ne fait guère mystère de son scepticisme face à certains dispositifs, une partie des mesures qui ont été portées par la droite pourraient encore tomber sous le coup d’une censure du Conseil constitutionnel.

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Le budget de l’Etat pour l’année 2024, adopté le 21 décembre

L’adoption jeudi 21 décembre du projet de loi de finances, qui fixe le cadre des recettes et des dépenses pour 2024, après l’échec d’une énième motion de censure portée par la gauche, a mis fin à la saison des 49.3. Le gouvernement, privé de majorité absolue à l’Assemblée nationale, a dû engager sa responsabilité pour la 23e fois depuis le début de la législature afin de faire passer ce texte dont le vote est traditionnellement considéré par les oppositions comme un marqueur politique. En début de semaine, les sénateurs avaient eux-mêmes rejeté ce budget, dénonçant un manque d’ambition dans la réduction des dépenses publiques.

Sortie du bouclier tarifaire, fin de la niche fiscale AirBnB, renforcement des moyens de lutte contre la fraude fiscale… le gouvernement table sur une baisse de 3,6 % de ses dépenses, estimées à 491 milliards d’euros l’année prochaine. Pour les particuliers, le prêt à taux zéro, qui devait s’éteindre à la fin de l’année, a été prolongé jusqu’en 2027. Du côté des entreprises, la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), prévue l’année prochaine, a finalement été reportée à 2027.

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