De la pédagogie et un peu de câlinothérapie ? Ni l’un ni l’autre. Emmanuel Macron recevait ce lundi soir les parlementaires du camp présidentiel. L’occasion de faire le point avec une majorité brusquée par le remaniement de la semaine dernière, qui a vu rentrer au gouvernement huit ministres issus des rangs des Républicains ou de l’ex-UMP sur quatorze – la liste des secrétaires d’Etat n’est pas encore connue –, et ce malgré la nomination 48 heures plus tôt d’un Premier ministre qui a fait ses débuts au Parti socialiste.
Pourtant, le chef de l’Etat s’est principalement limité à remercier les quelque 150 députés et sénateurs réunis dans la salle des fêtes du palais de l’Elysée pour le travail fourni lors de l’année écoulée, et à rappeler les grands jalons de l’année à venir : le projet de loi sur la souveraineté énergétique, l’inscription de l’IVG dans la Constitution, le texte sur la fin de vie… Avec comme ligne de mire les élections européennes de juin, « auxquels il a bien consacré 5 minutes sur une prise parole qui en a duré 20 », confie un participant à Public Sénat. « C’était un président très combatif ce soir, à la fois président de la République mais aussi président de l’Assemblée nationale et du Sénat face aux enjeux capitaux qui nous attendent en 2024 », sourit le sénateur Horizons Franck Dhersin.
En revanche, point d’explication de texte sur les choix politiques des dernières semaines ni sur l’équipe gouvernementale fraîchement nommée. Les nouveaux membres de l’exécutif étaient présents dans la salle – Rachida Dati, Catherine Vautrin, Marie Lebec…, ainsi que plusieurs ministres n’ayant pas été reconduits comme Jean-Noël Barrot, Philippe Vigier ou Clément Beaune, qui avait exprimé son opposition à la loi immigration. Emmanuel Macron a également salué le travail de son ex-Première ministre Élisabeth Borne, ce qui a donné lieu à de très longs applaudissements de la part de l’assistance. « C’en était presque gênant », glisse un élu. L’ex-Première ministre n’était pas présente.
À noter : deux poids lourds de la majorité ont également brillé par leur absence, l’ancien Premier ministre Edouard Philippe, chef de file d’Horizons, et François Bayrou, le patron du MoDem, officiellement pour des raisons d’agenda nous apprend BFM TV.
Vers un rééquilibrage des forces gouvernementales ?
Après le vote de la loi immigration le 19 décembre, vécue comme un tournant dans le quinquennat en raison des thèmes propres au Rassemblement national qui ont été charriés par ce texte, beaucoup attendaient un signal en faveur du macronisme des origines, celui qui prônait le dépassement du clivage gauche-droite. Mais Emmanuel Macron, toujours privé de majorité absolue à l’Assemblée nationale, semble désormais miser sur la droitisation de son gouvernement. Quitte à déstabiliser un peu plus l’aile gauche historique de Renaissance, déjà échaudée par la séquence parlementaire de décembre, et à se mettre à dos le MoDem, qui ne conserve plus qu’un seul représentant, à travers Marc Fesneau, maintenu au ministère de l’Agriculture.
« Il y a des choses rassurantes qui s’annoncent. De toute façon, la composition d’un gouvernement, c’est toujours un rapport de force. Pour l’instant, nous avons essentiellement besoin d’un rééquilibrage par rapport à des ministres très franciliens. Il faut des personnalités issues du monde rural, et je crois qu’il pourra trouver les bonnes personnes au sein du groupe à l’Assemblée nationale », veut rassurer une élue MoDem.
Ce lundi soir, le chef de l’Etat a redit aux élus de la majorité que tout ne lui plaisait pas à l’intérieur du texte immigration, « mais qu’il assumait d’avoir fait voter une loi réclamée par les Français », cite un parlementaire passé par les rangs de la droite. « Ce travail parlementaire était nécessaire, le gouvernement a été à la tâche », martèle François Patriat, le chef de file des sénateurs Renaissance.
« Le moins de lois possibles, les plus simples possibles »
Des vingt premiers mois du quinquennat, on retient surtout la virulence des débats dans une Assemblée nationale très fracturée, et le tollé provoqué par deux textes polémiques, la réforme des retraites et la loi immigration, sur laquelle le Conseil constitutionnel doit encore se prononcer le 25 janvier. L’exécutif est désormais à la recherche d’un second souffle. Emmanuel Macron, qui avait promis en fin d’année un « rendez-vous » avec la Nation, donnera mardi à partir de 20h15 une conférence de presse, exercice auquel il s’est peu prêté depuis 2017. Tout juste sait-on que l’Education y occupera une place particulière. En arrivant à Matignon, après un passage éclair rue de Grenelle, Gabriel Attal avait d’ailleurs promis de faire de l’école la « mère des batailles ».
Pour l’an II de son quinquennat, Emmanuel Macron a demandé à ses troupes davantage d’unité et de solidarité. « Il nous a dit d’arrêter d’organiser des chapelles au sein de la majorité. Il a appelé au rassemblement et, surtout, il nous demande de mieux vendre les points positifs du bilan, notamment en matière d’économie. C’était presque : ‘bougez-vous le c…’ », estime un élu déjà cité plus haut. « On n’était pas du tout dans le registre de la câlinothérapie, c’était un serrage de boulons. J’ai même trouvé qu’il faisait la leçon aux parlementaires, leur reprochant de présenter trop d’amendements. Selon lui les débats sont fouillis, on s’y perd », poursuit l’élu.
Le président souhaiterait limiter l’empilement législatif, notamment pour pouvoir agir plus rapidement, en passant par des règlements et des décrets : « la feuille de route est claire. Le moins de lois possibles, les plus simples possibles, pour éviter l’encombrement et surtout l’illisibilité », résume un membre du MoDem. Il développe : « Nous avons clairement un problème de méthode. Nous n’allons pas pouvoir continuer comme ça pendant trois ans, sans être capable de faire passer aucun texte à l’Assemblée. Alors changeons de façon de faire ».
« Ce n’est pas par des lois que l’on transforme la société mais par des mesures concrètes. Les textes de loi déclenchent de grands débats, parfois vite oubliés. Les règlements nous permettent de simplifier directement la vie des Français », abonde François Patriat.
Ressouder la majorité
En seconde partie de soirée, le président a pris le temps de discuter avec ses hôtes, entre deux plateaux de petits fours. « S’il y a eu de la câlinothérapie à un moment, c’était au cas par cas », s’amuse un proche d’Edouard Philippe. « Bien sûr qu’il y a un risque d’éclatement de la majorité depuis décembre. Ce genre de moment de convivialité ne peut être que nécessaire et positif ».
Tous nos interlocuteurs décrivent ainsi une ambiance joviale et agréable, comme si les tensions de la veille s’étaient subitement envolées, du moins le temps d’une soirée. « J’ai vu des parlementaires agrippés au président de la République pour le remercier et le féliciter. S’il y a pu avoir quelques rancœurs après certaines nominations, notamment celle de Rachida Dati, elles sont ultra-minoritaires », conclut François Patriat.