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Congé menstruel : la proposition de loi rejetée en commission des affaires sociales du Sénat

Présentée ce mercredi 9 février en commission des affaires sociales du Sénat, la proposition de loi de la sénatrice PS Hélène Conway-Mouret, a été rejetée en dépit de l’abstention de certains parlementaires centristes. Si ce premier revers pouvait être attendu en commission avant son examen en séance le 15 février prochain, Hélène Conway-Mouret salue cependant « l’état d’esprit non partisan », affirmant compter sur le débat en séance avec des amendements susceptibles de « lever les inquiétudes », tout en affirmant comprendre les « vrais questionnements » que la proposition de loi suscite.
Alexis Graillot

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Y aura-t-il prochainement une généralisation à l’échelle nationale d’un congé spécifique pour les femmes victimes de règles douloureuses à l’image du dispositif voté en Espagne l’année dernière ? C’est en tout cas l’ambition d’une proposition de loi socialiste déposée par Hélène Conway-Mouret, sénatrice des Français établis hors de France.

Après deux propositions de loi déposées d’abord par des députés socialistes le 10 mai dernier, suivis par leurs collègues écologistes, deux semaines plus tard, qui n’avaient pas été inscrites à l’ordre du jour du Palais Bourbon, le sujet est revenu sur le devant de la scène ces derniers jours au Sénat. Si rien dans la loi ne proscrit la mise en place d’un tel congé de la part des entreprises et des collectivités, il reste peu utilisé en pratique.

L’année dernière, un rapport de quatre sénatrices, Laurence Cohen (PCF), Annick Jacquemet (UDI), Marie-Pierre Richer (LR) et Laurence Rossignol (PS), traitant de la santé des femmes au travail, n’avait pas réussi à aboutir à un consensus entre les 4 élues quant à la mise en place d’un tel dispositif. Toutes s’accordaient cependant à dire que l’endométriose, qui touche aujourd’hui environ 2 millions de femmes, devait être prise en compte dans la liste des affections de longue durée (ALD).

 

« Créer un arrêt maladie plus adapté à la situation des femmes souffrant de dysménorrhées »

 

Présentée en commission des affaires sociales du Sénat par la rapporteure Laurence Rossignol, la proposition de loi sénatoriale présente comme objectif de « créer un arrêt maladie plus adapté à la situation des femmes souffrant de dysménorrhées », en d’autres termes, « les douleurs menstruelles assez aiguës pour perturber les activités quotidiennes, et donc conduire à des absences dans le milieu scolaire ou professionnel ».

L’article 1er stipule que l’;assurée souffrant de dysménorrhées puisse se voir prescrire par un médecin ou une sage-femme un arrêt de travail cadre, d’une durée d’un an. Cette prescription ouvrirait à l’assurée le droit de bénéficier au plus de deux jours d’arrêt de travail par mois chaque fois que la douleur le rend nécessaire, sans avoir à consulter à nouveau un professionnel médical. Selon la rapporteure du texte, « cela allégerait les démarches médicales de l’assurée, qui n’aurait plus à consulter à chaque période de menstruation douloureuse, et libérerait du temps médical dans un contexte de tension sur l’offre de soins ».

L’article 2 prévoit la suppression du délai de carence. Les arrêts de travail seraient donc indemnisés dès le premier jour. Selon Laurence Rossignol, cela éviterait aux femmes souffrantes un dilemme cornélien : « S’arrêter et perdre jusqu’à 10 % de leur salaire, parfois chaque mois ; ou souffrir au travail ».

L’article 4 prévoit quant à lui que l’accord collectif applicable, ou à défaut la charte de l’employeur, « précise les modalités d’accès des salariées souffrant de dysménorrhée invalidante à une organisation en télétravail ».

 

Une absence de consensus transpartisan

 

A l’issue des débats en commission, les différentes forces politiques n’ont pas réussi à trouver d’accord sur le texte, marquée par une opposition de la droite et du centre. A ce titre, la sénatrice centriste des Bouches-du-Rhône, Brigitte Dévésa, s’inquiète des potentielles atteintes au secret médical qui en résulteraient : « S’il faut garantir leur santé et leur bien-être au travail, les différentes propositions de loi sont assez réductrices, et je regrette l’absence d’une perspective plus large. Je suis gênée, en outre, par la potentielle atteinte au secret médical qui pourrait découler de ce dispositif au sein des entreprises ». Pour Pascale Gruny, sénatrice Les Républicains (LR) de l’Aisne, le dispositif pourrait fragiliser des secteurs déjà en tension : « L’une des amies d’une de mes filles, infirmière à l’hôpital, est atteinte d’endométriose et est en proie à d’intenses douleurs au travail, mais m’a indiqué ne pas souhaiter s’arrêter afin de ne pas reporter sa charge de travail sur ses collègues ».

Quant à la gauche, elle est majoritairement favorable au dispositif. Silvana Silviani, sénatrice communiste de Meurthe-et-Moselle, estime que la proposition de loi constitue « une incontestable avancée dans la prise en compte des conditions de travail des femmes ». Même constat pour Marion Canalès, sénatrice PS du Puy-de-Dôme pour qui « il n’est plus possible de passer sous silence cette inégalité hommes-femmes à l’œuvre dans le monde du travail ».

 

Les rapporteures « ouvertes » au dialogue

 

Contactée, la rapporteure du texte, Laurence Rossignol, juge nécessaire de légiférer sur un sujet impossible à régler au niveau des entreprises ou des collectivités : « Les Républicains ont un argumentaire qui consiste à dire que l’instauration d’un congé menstruel relèverait du dialogue social, mais c’est faux. La négociation collective ne peut pas être une alternative à la loi ». En outre, si elle admet que la reconnaissance de l’endométriose comme ALD est une avancée, elle regrette le coût économique et administratif si le congé menstruel était lui basculé en ALD : « Passer le congé menstruel via une procédure d’Affection Longue Durée (ALD) est plus onéreux, cela ajoute des procédures longues » selon l’élue qui estime par ailleurs que « les règles douloureuses ne peuvent pas être simplement réduites à l’endométriose ».

« Je le dis à la majorité sénatoriale et à ses composantes : il vous reste 8 jours pour déposer des amendements sur ce texte. Avec son autrice, nous sommes ouvertes aux amendements » déclare la sénatrice du Val-de-Marne. Même son de cloche du côté de Hélène Conway-Mouret, autrice de la proposition, qui se veut « optimiste » : « Je ne suis pas fermée au dialogue » faisant notamment référence à la durée éventuelle du congé, ajoutant que « certains collègues pourraient changer d’avis par la discussion ».

 

« Lever le délai de carence »

 

Selon l’autrice de la proposition, la crise Covid a profondément modifié le rapport de la société au travail et a favorisé « la recherche de l’épanouissement personnel » et « un cadre de travail ». « C’est un élément d’attractivité très fort » pour les entreprises et collectivités qui le mettent en place, ajoute la sénatrice des Français établis hors de France qui milite dans le même temps pour « lever le délai de carence » sans quoi cela constituerait un angle mort pour les salariées mal payées.

En réponse à l’argument d’éventuels abus quant à la mise en place d’un tel délai, Hélène Conway-Mouret estime que cela ne se vérifie pas en pratique : « Les abus sont inférieurs à 10% » avance-t-elle jugeant par ailleurs que le congé constitue un « recours ultime » si les traitements s’avèrent infructueux. « Cela s’inscrit dans une politique publique de santé » ainsi qu’un « accompagnement médical » diffus dans le temps. « À Saint-Ouen, aucun appel d’air n’a été constaté, ce qui devrait rassurer les collectivités territoriales quant au risque de dérapage de leurs dépenses de fonctionnement en raison d’arrêts à répétition » abonde Marion Canalès (PS).

 

L’appel d’un collectif d’élus locaux à sa généralisation

 

En parallèle de son examen au Sénat, plusieurs élus locaux marqués à gauche, à l’image d’Anne Hidalgo, maire de Paris, Karim Bouamrane, maire de Saint-Ouen-sur-Seine ou Alain Rousset, président de la région Nouvelle-Aquitaine, ainsi que certains élus UDI et divers droite, ont publié une tribune chez nos confrères de Libération appelant à sa « généralisation » à l’échelle nationale.

Pour le collectif, « nous devons lever le tabou sur les règles douloureuses pour avancer vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes » rappelant par ailleurs des « chiffres sans équivoque » et un « constat glaçant » selon un sondage IFOP publié fin 2022 : une femme sur deux entre 15 ans et 49 ans est concernée, soit 7 millions de femmes en France. Et 65 % des femmes ont rencontré des difficultés liées à leurs règles au travail, 35 % confirment que leurs douleurs menstruelles ont un impact négatif sur leur travail, et 44 % des femmes ont déjà manqué le travail en raison des menstruations ».

« Beaucoup de mairies l’ont mis en place, mais ils nous demandent désormais de le sécuriser dans la loi », relève Laurence Rossignol qui dénonce par ailleurs qu’il est « inconcevable d’imaginer que certaines femmes vont abuser de ce droit octroyé ». Pourtant, cette opposition ne la surprend guère : « les élus LR sont réticents à modifier le code du travail », estimant que l’argument n’est néanmoins pas fondé, prenant exemple sur le congé pour enfants malades.

 

« Un mouvement générationnel »

 

Pour la sénatrice, le sujet s’impose néanmoins dans le débat public grâce à un « mouvement générationnel » qui s’opère face à un enjeu qui correspond à un « sujet de société supérieur dans les jeunes générations ».

Enfin, sur la position du gouvernement, l’élue du Val-de-Marne conclut que le sujet pourrait revenir à l’Assemblée Nationale dans une proposition de loi sans doute remaniée : « Le gouvernement n’est pas hostile à trouver de la place pour une proposition de loi transpartisane », mais elle sera probablement « en-deçà de ce qui est proposé dans la proposition de loi socialiste ».

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