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IVG : les sages-femmes pourront pratiquer des IVG instrumentales sans supervision de médecins

Ce matin, le ministre de la Santé a publié un décret levant les lourdes contraintes pesant sur les sage-femmes dans la réalisation d’IVG instrumentales. Un changement accueilli à bras ouvert par les soignantes, qui se disent « soulagées ».
Mathilde Nutarelli

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« Je laisse éclater ma joie ! » C’est avec ces mots qu’Isabelle Derrendinger, présidente du Conseil national de l’Ordre des sages-femmes nous répond quand nous l’interrogeons sur le décret publié cette nuit concernant la pratique des interruptions volontaires de grossesse (IVG) instrumentales par les sages-femmes. Il lève les contraintes qui pesaient jusqu’alors sur elles dans la pratique de cet acte. Explications.

Des conditions de pratique extrêmement restrictives

Depuis la loi portée par l’ex-députée Albane Gaillot, votée en mars 2022, les sages-femmes ont légalement le droit de pratiquer les IVG instrumentales, c’est-à-dire les aspirations, qui nécessitent une anesthésie générale. Jusqu’alors, elles n’avaient le droit que de pratiquer l’IVG médicamenteuse, via la prescription de la pilule abortive. L’objectif était de résoudre le problème chronique d’accès à l’IVG en permettant à davantage de soignants de pratiquer l’acte. Une expérimentation est lancée, 28 établissements y participent. Pour pratiquer ces IVG, les sages-femmes doivent montrer patte blanche : elles doivent avoir suivi une formation spécifique, avoir assisté à 30 actes puis en avoir pratiqué tout autant, mais surtout, quatre médecins (gynécologue obstétricien, médecin orthogéniste, anesthésiste et médecin formé dans la pratique d’actes interventionnels) doivent être présents sur site, ainsi qu’un plateau d’embolisation. Des conditions extrêmement restrictives, surtout dans les territoires qui sont déjà des déserts médicaux.

Pour autant, cela n’a pas empêché l’expérimentation d’avoir lieu. Pour Isabelle Derrendinger, elle est réussie : « Sur les 475 IVG instrumentales qui ont été pratiquées sur la durée de l’expérimentation, cela s’est très bien déroulé sans événement grave ». Le décret de généralisation se faisait donc attendre.

« En dehors des CHU, aucun centre ne peut avoir quatre médecins »

Le 16 décembre 2023, il est publié au Journal officiel, et il provoque immédiatement une levée de boucliers. « La publication nous avait laissés désarçonnés et extrêmement mécontents », se rappelle Isabelle Derrendinger. En effet, le décret reprenait exactement les mêmes conditions d’exercice que pour l’expérimentation. C’est alors toutes les professions du secteur qui manifestent leur opposition à ce texte, au point qu’un collectif de médecins, infirmières et sages-femmes publient une tribune dans Le Monde le 19 décembre dénonçant un texte qui va « freiner l’accès des femmes à l’avortement », et qui constitue une « discrimination à l’égard de la profession des sages-femmes ». « L’effet a été immédiat », se souvient Isabelle Derrendinger, « après le décret, trois centres ont voulu annuler leur participation. En dehors des CHU, aucun centre ne peut avoir quatre médecins ». « Cela limitait la pratique à des centres qui n’avaient pas de problèmes d’effectifs », explique Caroline Combot, présidente de l’Organisation nationale syndicale des sages-femmes (ONSSF). Elle a déposé un recours gracieux sur ce décret en février 2023, elle était prête à aller devant le Conseil d’Etat en cas de fin de non-recevoir du ministère.

Le décret du 24 avril est « un énorme pas »

Le décret du 24 avril, qui revoit complètement les conditions dans lesquelles les sages-femmes peuvent pratiquer les IVG instrumentales, est donc amplement salué par les professions du secteur. Dorénavant, pour pratiquer ces actes, les sages-femmes n’auront plus qu’à justifier d’une formation à la pratique et à la gestion des complications de ces IVG. « C’est un énorme pas », se félicite Isabelle Derrendinger, « c’est la traduction de l’engagement de ma profession. Le métier premier des sages-femmes, c’est la santé et les droits des femmes ». « C’est une belle victoire collective », salue Albane Gaillot, aujourd’hui chargée de plaidoyer au Planning familial, « je regrette cependant que le décret ne mentionne pas de revalorisation de la rémunération pour les sages-femmes pratiquant ces IVG ».

C’est un pas qui va grandement changer la vie des sages-femmes et de leurs patientes. Océane Sursain, sage-femme au centre hospitalier de Vierzon, raconte : « Je suis dans un désert médical, il est donc très important que je puisse faire des IVG instrumentales, car le seul médecin qui pratique les IVG est à la retraite. Nous avions déposé un dossier pour que notre centre fasse partie de l’expérimentation, mais il n’a pas été retenu. Je me suis donc formée, mais comme notre centre est petit et qu’il ne dispose pas de plateau d’embolisation, je n’ai pas pu pratiquer, malgré ma formation. Je suis soulagée par ce nouveau décret. Il sous-entend qu’on est vraiment autonomes. Je suis soulagée parce que je peux pratiquer des IVG instrumentales seule, je suis responsable de mes actes comme n’importe qui, ce n’est pas sous la couverture d’un médecin, je n’ai pas de tutelle ».

« Je remercie le ministre d’avoir écrit noir sur blanc que nous exerçons une profession médicale »

Le sentiment de mise sous tutelle par des médecins, voire les freins que certaines sages-femmes peuvent ressentir dans certains centres, sont pesants pour les soignantes. « Avec les autres médecins et soignants il y a un lien de confiance qui s’est instauré, je n’ai jamais reçu de réflexion désagréable, mais je sentais que j’avais moins le droit à l’erreur, que je devais faire mes preuves », explique Océane Sursain. Isabelle Derrendinger, elle, a reçu les témoignages de consœurs à qui on a mis des bâtons dans les roues pour accéder à cette compétence. « Ce n’est pas une question corporatiste, mais je remercie le ministre d’avoir écrit noir sur blanc que nous exerçons une profession médicale », précise-t-elle. Pour Caroline Combot, il était nécessaire que les conditions soient les mêmes que pour les médecins généralistes.

Le sujet de l’accès à l’IVG n’est pas clos

Ce nouveau décret est une bonne nouvelle pour les femmes françaises, surtout pour celles habitant dans un département où les délais d’attente pour les IVG sont longs. Pour Isabelle Derrendinger, la constitutionnalisation de l’IVG en mars n’est pas étrangère à ce revirement. « Cela a été un symbole national et international très fort, mais si l’accès n’est pas garanti sur le territoire, cela ne va pas. Les femmes n’avortent pas de symboles ».

Si ce grand pas est franchi, néanmoins, le sujet est loin d’être clos. Pour la présidente du Conseil national de l’Ordre des sages-femmes, « le plus important, c’est vraiment de faciliter l’accès à l’IVG en supprimant les sites de désinformation et en améliorant l’information sur les sites de prise de rendez-vous en ligne ». Ce qu’elle dénonce, c’est que lorsqu’on recherche le mot « IVG » dans les sites de prise de rendez-vous en ligne, le plus souvent, ce ne sont pas des professionnels de santé réalisant des IVG qui apparaissent en premier, mais des psychologues. Un nouveau chantier à investiguer pour le gouvernement, qui est déjà en pourparlers avec le plus célèbre d’entre eux, Doctolib, pour qu’il accepte de faire payer aux patients n’honorant pas leurs rendez-vous une « taxe lapin ».

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