Récidive des criminels sexuels : « On n’a tellement pas peur de la justice en France, que ce n’est pas si grave d’être accusé »

Dans le cadre de sa mission d’information sur la récidive des auteurs de viols et d’agressions sexuelles, le Sénat a entendu les recommandations de plusieurs associations féministes. Enquêtes bâclées, contrôles inefficaces… Elles pointent les nombreuses failles dans le traitement des plaintes des victimes et dans le suivi des auteurs de violences.
Rose Amélie Becel

Temps de lecture :

7 min

Publié le

Mis à jour le

Le verdict du procès des viols de Mazan est attendu ce 19 décembre, les peines auxquelles seront condamnés Dominique Pélicot et les 50 autres hommes accusés d’avoir violé Gisèle Pélicot seront particulièrement scrutées. Dans ce contexte, la question de l’efficacité des dispositifs mis en place pour lutter contre la récidive des agresseurs sexuels se pose.

Au Sénat, la délégation aux droits des femmes et la commission des lois mènent conjointement une mission d’information pour évaluer l’efficacité des mesures visant à lutter contre cette récidive. Ces travaux devraient s’achever à la fin du premier trimestre 2025. « Chaque année, plus de 55 000 individus, 97 % d’hommes, sont mis en cause pour viol, agression sexuelle ou atteinte sexuelle et 6 000 individus sont condamnés pour de tels faits », rappelle l’une des rapporteures, la sénatrice centriste Annick Billon.

Ce 17 décembre, les sénatrices recevaient quatre représentantes d’associations féministes, membres de la « coalition pour une loi intégrale contre les violences sexuelles ». Il y a un mois, elles présentaient leurs 140 propositions pour lutter plus efficacement contre ces violences, plusieurs permettraient selon elles de prévenir la récidive.

Mettre en place une enquête systématique

Pour les associations, la lutte contre la récidive doit d’abord démarrer dès le premier dépôt de plainte de la victime. « La récidive est un sujet qui fait écho à celui de l’impunité. Car, si on récidive, c’est aussi parce que la justice, les institutions, ne nous font plus peur », souligne Violaine de Filippis-Abate, co-fondatrice du collectif Action juridique féministe. Pour l’avocate, c’est la mise en place de bonnes procédures d’enquête, pour limiter le nombre de classement sans suite des plaintes, qui permettra de lutter contre ce sentiment d’impunité. Selon une étude de l’Institut des politiques publiques, le taux de classement sans suite dans les affaires de violences sexuelles a atteint 86 % entre 2012 et 2021, le chiffre grimpe même à 94 % pour les affaires de viol.

La coalition d’associations féministes pour une « loi intégrale » recommande ainsi de « systématiser la réalisation d’un certain nombre d’actes d’enquête », après le dépôt d’une plainte, tout en dotant les services de « moyens suffisants » pour les réaliser. La personne accusée devrait être auditionnée dans un délai de « deux mois maximum », propose Violaine de Filippis-Abate, son téléphone et matériel informatique saisis, et une enquête conduite auprès de son entourage. « Si on sait que, lorsqu’on est accusé, on va devoir rendre des comptes, répondre à la police, cela envoie le signal fort que notre société se mobilise contre les violences faites aux femmes », estime l’avocate, soulignant qu’il n’existe aujourd’hui aucun texte qui précise les obligations du parquet après un dépôt de plainte.

Une procédure systématique qui pourrait permettre d’éviter des drames, raconte Violaine de Filippis-Abate. En ce moment, elle défend une famille dont la fille, victime d’un viol lorsqu’elle était mineure, s’est suicidée après l’annonce du classement sans suite de sa plainte. « L’enquête a été mal faite, les délais d’attente ont été incroyables, le dossier s’est baladé de commissariat en commissariat… », énumère-t-elle. Pour l’avocate, les professionnels qui interviennent en défense des accusés sont aussi partisans de l’instauration d’une véritable procédure : « Si on a une norme, qui permet d’établir qu’il y a systématiquement une enquête, cela permettra à leurs clients d’être mieux innocentés lorsqu’ils le sont. »

« On est dans une situation où les interdictions ne fonctionnent pas »

Dans le cas où l’enquête conduit à un procès et à la condamnation d’un individu pour des faits de violences sexuelles, là encore, les mesures de lutte contre la récidive ne satisfont pas les associations féministes auditionnées. Devant les sénatrices, Isabelle Steyer, membre du collectif Action juridique féministe, témoigne de son expérience d’avocate auprès de victimes de violences : « On est dans un système qui est toujours dans une interprétation minimum de tout ce qui est supposé protéger les femmes. »

Les failles dans ce système de protection débutent avant le procès, lorsqu’une mesure de contrôle judiciaire est imposée à l’accusé en attente de son jugement, pour le tenir éloigné de la victime. « Dans un cas sur deux, ce contrôle ne sert à peu près à rien. C’est à la victime de prouver la violation de ce contrôle, elle en vient à filmer et épier celui qui l’épie », dénonce Isabelle Steyer.

Les manquements dans la protection de la victime se poursuivent une fois le procès achevé, dans le cas, par exemple, où l’individu est condamné au port d’un bracelet anti-rapprochement. Ce dispositif, entré en vigueur en 2020 et parfois pensé comme une alternative à la prison, permet de géolocaliser un auteur de violences pour lui interdire d’approcher sa victime. « Combien de fois faut-il que le bracelet anti-rapprochement sonne pour qu’une liberté conditionnelle soit révoquée ? », demande l’avocate. « Dans mon dernier dossier, l’homme en était à sa troisième condamnation, son bracelet anti-rapprochement a sonné 99 fois, et il n’y a pas eu de révocation », raconte-t-elle devant des sénatrices interloquées. « On est dans une situation où les interdictions ne fonctionnent pas », conclut-elle.

« On a des peines qui semblent très symboliques, trop symboliques »

Pour remédier à ces failles, les collectifs féministes concentrent une partie de leurs recommandations sur la mise en place d’une juridiction spécialisée dans le traitement des violences sexistes et sexuelles. « Nous avons besoin d’une spécialisation de toute la chaîne juridique, avec des personnels et des magistrats formés à ces sujets », insiste Yseline Fourtic-Dutarde, porte-parole de la coalition pour une « loi intégrale ». Une telle spécialisation de la justice permettrait aussi d’en finir avec les disparités dans le traitement de ces affaires sur le territoire. « Il y a encore un besoin de formation. On voit dans certains départements que le traitement baisse ou augmente brusquement. On sent quand un juge aux affaires familiales quitte un département, arrive dans un autre, et reprend ses procédures », observe la présidente de la délégation aux droits des femmes Dominique Vérien.

Globalement, les peines prononcées sont-elles satisfaisantes et suffisamment dissuasives pour les auteurs ? C’est avec cette question, centrale dans le travail de la mission d’information, que l’audition des associations féministes s’est achevée. Là aussi, le constat est sévère. « On a tellement peu peur de la justice en France que, finalement, ce n’est pas si grave d’être accusé d’agression sexuelle ou de viol », fustige Violaine de Filippis-Abate. De son côté, Isabelle Steyer remarque une évolution des peines concernant les féminicides : « On arrive maintenant à avoir des peines qui ont du sens, entre 20 et 25 ans de prison, avec des retraits d’autorité parentale et des peines de sûreté des deux tiers. » L’avocate déplore toujours, en revanche, le traitement judiciaire des violences conjugales. « On a régulièrement des relaxes, des sursis de six mois ou un an… On a des peines qui me semblent très symboliques, trop symboliques », dénonce-t-elle.

Le 27 novembre dernier, devant la cour criminelle du Vaucluse à Avignon, le procureur a requis des peines allant de quatre à vingt ans de prison, contre les accusés du procès des viols de Mazan. Des réquisitions relativement plus sévères que la moyenne générale des condamnations pour viols en France, qui s’établissait à 11 ans de prison en 2022, selon les chiffres du ministère de la Justice.

Dans la même thématique

Paris: Council of Ministers
7min

Société

Immigration : ce qui va changer avec la nouvelle « circulaire de fermeté » de Bruno Retailleau

Le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau a adressé une nouvelle circulaire aux préfets, les appelant à resserrer les critères d’octroi de titres de séjour à des étrangers sans papiers. En 2023, un peu moins de 35 000 personnes ont pu être régularisées via le pouvoir discrétionnaire des préfets, jusqu’ici encadré par des directives datant de 2012.

Le

Récidive des criminels sexuels : « On n’a tellement pas peur de la justice en France, que ce n’est pas si grave d’être accusé »
4min

Société

Numérique : « S’il s’avère qu’Elon Musk utilise sa plateforme pour mettre en avant certaines opinions ou partis politiques, il est en infraction », affirme Clara Chappaz  

Invitée de la matinale de Public Sénat, la ministre déléguée chargée de l’intelligence artificielle et du Numérique, Clara Chappaz, est revenue sur les enjeux liés au développement de l’intelligence artificielle et sa régulation. La ministre évoque également le cas d’Elon Musk la conformité de sa plateforme, X, avec le droit européen.

Le

Hopital Laennec – CHU
5min

Société

Texte sur la fin de vie scindé en deux : « Une bonne décision, car on a deux philosophies différentes », selon le sénateur LR Philippe Mouiller

Sur la fin de vie, François Bayrou a décidé de présenter deux textes. L’un sur les soins palliatifs, l’autre sur l’aide active à mourir. Une décision saluée par le président de la commission des affaires sociales, le sénateur Philippe Mouiller. D’autant qu’il s’agissait d’une demande « du groupe LR ».

Le