« Le monde va rétrécir » affirme Arnaud Montebourg, qui défend les relocalisations

« Le monde va rétrécir » affirme Arnaud Montebourg, qui défend les relocalisations

Alors que la crise du Covid19 met en lumière les fragilités de la mondialisation, des voix s’élèvent pour défendre un retour au local. A l’instar de celle d’Arnaud Montebourg. Invité par la commission des affaires économiques du Sénat à une table-ronde sur le sujet, l’ancien ministre du redressement productif de François Hollande a assumé ses « différences idéologiques » avec ses interlocuteurs du jour, les économistes Nicolas Bouzou et Patrick Artus.
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Par Fabien Recker

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Pour Arnaud Montebourg, « la mondialisation est une construction ». Le produit de trente ans de décisions gouvernementales, ratifiées par les parlements, afin de lever les obstacles au commerce et d’augmenter l’interdépendance des économies. « C’est réversible, je crois. Ce qui a été fait peut être défait » a avancé l'ancien ministre de François Hollande devant les Sénateurs. Rien d'impossible, donc, que de rapatrier des pans entiers de l'activité économique sur le sol français.

« Je vais jouer le rôle du rabat-joie » a averti l'économiste Patrick Artus. « Les délocalisations obéissent à une certaine logique » a-t-il souligné, s’appuyant sur l’exemple, très médiatisé, du médicament. « La France est excédentaire vis-à-vis des pays émergents dans le domaine du médicament. Notre industrie est forte et gagne des parts de marché car elle s’est spécialisée dans le haut de gamme, à forte valeur ajoutée. Relocaliser le paracétamol, une production extrêmement simple à faire et avec peu de valeur ajoutée, serait illogique. »

« On ne va pas faire des machins à trois balles ! »

Pour Patrick Artus, « il ne faut pas céder à la tentation de la redescente en gamme » qui serait le corollaire d’une relocalisation à tout prix. « Si on manque de masques, ce n’est pas parce qu’on ne les produit plus, mais parce qu’on ne les a pas stockés !  On ne va pas se mettre à faire des masques, des machins à trois balles, et mettre du capital dans ça ! »

Ainsi, « le sujet n’est pas la mondialisation mais ses dysfonctionnements » à en croire Nicolas Bouzou. « Il faut des régulations sur ses effets néfastes. » Parmis lesquels la dépendance excessive aux approvisionnements étrangers. « On a poussé les avantages comparatifs et la spécialisation dans leurs retranchements. Cela a pu être très efficace, mais a amené certains maillons à être localisés dans un tout petit nombre de pays. » Il en va ainsi de la pénicilline, fabriquée à 90% par la Chine.

Vers une économie de la modération ?

« Nous sommes dépendants sur un petit millier de médicaments, cela a été accepté, intégré (...) » a embrayé Arnaud Montebourg. « Notre industrie pharmaceutique est montée en gamme, est allée vers les biotechnologies, a abandonné les commodités. Conséquence : on a rationné les français en doliprane, le tout au moment où Sanofi ferme des usines en France ! On a perdu des milliers d’emploi ».

 

Arnaud Montebourg : La France, "dépendante sur un millier de médicaments"
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Certes, les patrons des entreprises pharmaceutiques ont intérêt à fabriquer là où c’est le moins cher. Mais « dans une économie où la recherche de rentabilité est excessive (...) on pourrait imaginer une économie de la modération » avance Arnaud Montebourg, « et un autre partage de la valeur. » Parmi ses propositions : la création d’une « coopérative du médicament ». « On pourrait mettre autour de la table une entente coopérative (avec) l’Etat, les entreprises privées, les mutuelles, imaginer des coopérations de fabrication de médicaments pour préserver notre indépendance. »

Etat stratège

« Cela suppose d’utiliser la commande publique » à des fins patriotiques a poursuivi Arnaud Montebourg. Une commande publique aujourd’hui inefficace car trop dispersée, avec « 132 000 acheteurs publics sur le territoire, quand l’Allemagne n’en compte que 3000 ». La régulation des investissements, trop tournés vers l’immobilier et pas assez vers le capital productif des entreprises, constitue un autre levier.

Pour Arnaud Montebourg, qui a rappelé les « 34 plans industriels » qu’il avait lui-même lancés lors de son passage à Bercy, organiser les relocalisations se résume surtout à une question de volonté politique. « Cela s’appelle l’Etat stratège », dont le rôle serait d’accompagner ce qui serait une tendance de fond. « Le monde va rétrécir » a prophétisé Arnaud Montebourg. « On va tous, et de plus en plus, vérifier où les choses sont produites », en faveur d’un « arbitrage pour le "made in local". »

Le consommateur, « juge de paix » ?

Moins enclin à blâmer le libre-échange, Nicolas Bouzou et Patrick Artus ont davantage insisté sur les responsabilités de la France dans sa propre désinstrutrialisation. Pointant un retard dans la modernisation des usines ainsi que des lacunes dans la formation des ingénieurs. « On forme deux fois moins d’ingénieurs en France qu’en Allemagne » a souligné Patrick Artus. Nicolas Bouzou a appelé à profiter du prochain plan de relance européen, une « fenêtre de tir pour moderniser le stock de capital des entreprises en termes de robotique et d’intelligence artificielle. »

Reconnaissant son « surmoi libéral », Nicolas Bouzou ne voit pas de raisons de forcer la main aux industriels pour relocaliser, à l’exception de « secteurs stratégiques » qu’il appartient au législateur de définir. Car en définitive, « le consommateur reste le juge de paix » pour Nicolas Bouzou. « Si la relocalisation signifie un coût supplémentaire pour le consommateur, elle est vouée à l’échec (...) Malgré toutes les bonnes raisons d’acheter français, on ne peut pas éluder un contexte extrêmement difficile pour les ménages dans les années à venir, avec un pouvoir d’achat sous pression. »

 



 

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