Martial Bourquin, le dernier ouvrier du Sénat

Martial Bourquin, le dernier ouvrier du Sénat

Le sénateur PS du Doubs a fait ses adieux à la Chambre haute. Cet ancien ouvrier, sénateur depuis 2008, entend se consacrer à son mandat de maire. Homme apprécié et respecté, il a fait de la lutte pour la préservation de l’industrie française son cheval de bataille. Il était le dernier représentant de la classe ouvrière au Sénat.
Public Sénat

Par Jonathan Dupriez

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Ce mercredi 10 juin 2020, Martial Bourquin est coi dans l’hémicycle. L’heure est aux au-revoir. Le Président du Sénat s’en charge au nom de l’institution : « Je voudrais saluer Martial Bourquin qui va quitter le Sénat pour rejoindre sa commune d’Audincourt, et il a bien de la chance de la retrouver » lance Gérard Larcher depuis le plateau. « Je voudrais saluer son engagement pour le Sénat et notamment sa persévérance sur les questions industrielles et d’emploi » ajoute le président de la Chambre haute. Sous les applaudissements de ses collègues de tous bords politiques, Martial Bourquin se lève, presque gêné, et lance des remerciements discrets que l’on parvient à lire sur ses lèvres. Le sénateur socialiste du Doubs est manifestement ému devant l’hommage appuyé rendu par ses pairs. « J’ai ressenti une très grande émotion » avoue-t-il sans détour.  « J’ai passé tellement de temps au Sénat, j’arrivais souvent le lundi soir, je repartais le jeudi soir. J’ai tout donné à l’institution, j’ai donné avec passion.» C’est ainsi, gorge nouée, que s’achèvent douze années passées dans les travées du palais du Luxembourg.

 

La dernière flèche

 

Mais avant de partir, Martial Bourquin décoche une dernière flèche. Ce jour-là, il pose sa dernière question au gouvernement (QAG) à la Secrétaire d’État auprès de Bruno Le Maire, Agnès Pannier-Runacher. « Ma question est simple » précise le sénateur avant de dégainer : « A quand une véritable politique industrielle pour la France ? Il n’y a pas de grande nation sans un socle industriel puissant »  jette-t-il sèchement à la ministre, l’index gauche en l’air. Cette dernière phrase résume à elle seule l’engagement de sa vie pour les questions industrielles et l’emploi. Un engagement qui a débuté à l’usine Peugeot motocycles de Mandeure au milieu des années 60.

 

« J’ai été un vrai ouvrier »

 

« J’ai été un vrai ouvrier, je travaillais sur des chaînes de montage » explique Martial Bourquin, 67 ans, et dont les débuts professionnels remontent à ses « 14 ou 15 ans. » Il n’a pas l’âge légal, 21 ans à l’époque, mais Martial Bourquin s’engage dans la voie du syndicalisme. « J’ai été syndicaliste à 18 ans sur dérogation, à la direction de Peugeot motocycles » explique-t-il aujourd’hui. Très vite, il dirige, selon sa formule, « des grandes grèves » à la CGT. Mais cet engagement syndical, il le paie au prix fort. « J’ai été licencié pour des faits de grèves en 1976. Et à l’époque, quand vous étiez licencié pour raisons syndicales vous ne retrouviez plus de boulot dans la région. »

 

Exclu du PCF

 

Il songe un temps partir dans le sud, à Fos-sur-Mer, pour se relancer professionnellement mais est finalement embauché par le parti communiste français (PCF). Ces années-là, Martial Bourquin devient même permanent au PCF et secrétaire de fédération dans le Doubs. Convaincu par « le socialisme européen, à visage humain », l’invasion soviétique en Afghanistan en 1979 aura raison de son engagement au PCF. « Je me suis dit : “je ne partage pas du tout cela” » se remémore l’actuel maire d’Audincourt. « J’ai alors emmené ma fédération deux fois de suite au Congrès du parti communiste pour voter contre le rapport et ça ne se faisait pas à l’époque, où tout se votait à l’unanimité » relate-t-il. « J’ai été exclu du PCF avec 1 300 personnes.»

 

« J’ai transformé cette ville, c’était un gros boulot »

 

Sans diplôme, à 32 ans, Martial Bourquin reprend des études, passe un DEUG et une licence. Il se lance en politique et devient conseiller régional de Franche-Comté - poste qu’il occupera plus de 17 ans - et se fait élire en parallèle, sous étiquette socialiste, maire d’Audincourt près de Montbéliard. Nous sommes en 1997. Ce mandat agit comme une révélation pour lui.

 

« J’ai transformé cette ville. C’était un gros boulot » se souvient-t-il. D’autant qu’à l’époque, Audincourt était « un lieu de passage avec deux nationales qui la traversaient. »

 

« Il se déplaçait voir les gens dans les territoires enclavés »

 

Pendant ces années d’engagement local, Martial Bourquin laboure ce département à la sociologie disparate et où l’industrie occupe une place prépondérante.« Il se déplaçait voir les gens, et pour les gens de ces territoires enclavés, c’était un signal énorme » relève aujourd’hui Marie-Noëlle Schoeller, sa suppléante au Sénat pour les quatre mois à venir. « J’ai un attachement viscéral à ma ville » assure de son côté Martial Bourquin. Sur les 15 000 habitants que compte Audincourt, l’ancien sénateur dit, non sans malice, connaître « la moitié des habitants par leur nom et leur prénom. »

 

«Tu vois, un ouvrier a fait de moi un sénateur »

 

En 2008, il est élu sénateur PS du Doubs pour la première fois, et réélu en 2014. « Tu vois un ouvrier a fait de moi un sénateur » aime-t-il plaisanter auprès de Marie-Noëlle Schoeller. « J’avais fait campagne avec lui avec beaucoup de plaisir » ajoute-t-elle. « Dans notre jargon franc-comtois, comme on dit par chez nous, c’est quelqu’un cet homme-là ! ». Toutefois, Marie-Noëlle Schoeller n’est pas certaine de vouloir reprendre le flambeau lors des sénatoriales de septembre 2020. Pour le moment elle ne se projette pas au-delà des quatre mois qui lui reviennent de droit. « Je vais siéger au Sénat 4 mois, ce que je pourrai  donner, je le donnerai. » Mais elle préfère prévenir : « Je ne remplace pas Martial Bourquin, je lui succède. »

 

« Il n’oublie jamais d’où il vient »

 

Au palais du Luxembourg, il se forge une solide réputation sur des dossiers de fond comme la privatisation de la Poste contre laquelle il bataille ou encore la fusion d’Alstom et de General Electric. «Il est un fin connaisseur du monde du travail et du monde de l’industrie, et il essaie toujours de se mettre à la place des Français pour les réformes» explique Marion Boulay, sa collaboratrice parlementaire depuis 2018. « C’est dû à son passé d’ouvrier, il n’oublie jamais d’où il vient. »

 

Autre sujet pour lequel il s’éprend : la revitalisation des centres-villes. Un thème sur lequel il publiera un rapport en 2017 aux côtés du sénateur LR du Cher, Rémy Pointereau. Plus récemment, Martial Bourquin s’est vivement opposé à la privatisation d’Aéroports de Paris (ADP). Privatisation souhaitée par le gouvernement en 2019. Plusieurs de ses interventions font alors grand bruit dans l’opinion comme lorsqu’il dénonce la présence d’un « capitalisme de connivence » sur ce dossier. « J’ai vraiment adoré le travail de fond, parlementaire, l’étude de dossiers sur des sujets qui me passionnent » résume-t-il.  « L’industrie, les centres-villes, centres-bourgs, je pourrais travailler sans compter sur ces dossiers. »

 

Non cumul des mandats

 

La loi sur le non-cumul des mandats a forcé Martial Bourquin à faire un choix entre le local et le national. Depuis 2014, un parlementaire ne peut plus cumuler son mandat avec un autre mandat local. L’ancien sénateur a tranché : son avenir se jouera à la mairie d’Audincourt pour les six prochaines années. « J’ai vu dans ses yeux que c’était dur pour lui de quitter le Sénat » relève Sophie Primas, présidente LR de la commission des Affaires économiques où siégeait Martial Bourquin.

 

« Il va me manquer » admet sobrement Patrick Kanner, président du groupe socialiste au Sénat. « Quand il m’a annoncé qu’il allait partir à la reconquête d’Audincourt et qu’il mettrait tout son poids pour la gagner, je n’étais pas content, je savais qu’on allait le perdre. Mais, au fond, j’étais très heureux pour lui. »

 

« Le Sénat perd un pilier »

 

Ce sentiment est partagé au delà des clivages partisans par de nombreux parlementaires. Pour Valérie Létard, sénatrice centriste du Nord, spécialiste des questions industrielles redoute de perdre « un pilier » du Sénat. De son côté, Sophie Primas admet parfois avoir eu des « divergences de vue » avec lui mais elle lui reconnaît la « sincérité » de son engagement « sur la défense et l’avenir industriels du pays.»

 

Le dernier ouvrier du Sénat

 

Avec le départ de Martial Bourquin, le Sénat ne comptera plus aucun représentant de la classe ouvrière. Une situation que Martial Bourquin trouve anormale : « Il y a 5/6 millions d’ouvriers en France et être le seul au Sénat qui a travaillé en chaîne pendant des années, ça pose un vrai problème » remarque-t-il dans sa dernière interview en tant que sénateur, accordée le 15 juin à la matinale de Public Sénat.

 

« On exclut une classe sociale entièrement »

 

 « Vous vous rendez compte que l’on exclut une classe sociale entièrement, il y a un vrai problème de représentation » s’était alarmé le sénateur du Doubs lors de son dernier jour à siéger officiellement. Le Sénat, qui composé de 348 sénateurs, compte majoritairement des médecins, des fonctionnaires ou des enseignants comme le révèle ce document sur la composition par catégories socio-professionnelles mit en ligne par la Haute assemblée.

 

Valérie Létard, rejoint l’analyse de Martial Bourquin : « Le Sénat se portera bien tant qu’il y aura au sein de ses membres des gens de tous horizons, et pas forcément issus de grandes écoles, ni de parcours les plus capés, mais aussi des gens qui ont acquis une expérience énorme dans le milieu professionnel. » Martial Bourquin s’en va. « C’est dommage » se désole Valérie Létard, lui qui « avait été des deux côtés de la barrière. »

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