« Dialogue citoyen » : 9 citoyens face à 6 sénateurs

« Dialogue citoyen » : 9 citoyens face à 6 sénateurs

6 sénateurs répondent aux questions de 9 citoyens venus de toute la France sur les thèmes de la fracture territoriale et  des services publics, de la démocratie et de la citoyenneté. Rebecca Fitoussi et Oriane Mancini abordent avec leurs invités ces sujets qui agitent la société française. 
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Eve Lopez, employée, lance aux sénateurs : « J’ai du mal à comprendre que vous puissiez gagner ce que vous gagnez »

Eve Lopez, employée dans un restaurant universitaire à Fontenay-aux-Roses et mère célibataire, lance le débat sur une chose qui la « choque énormément » : le niveau de revenu des parlementaires, comparé à celui des fonctionnaires, qui sont payés aussi avec de l’argent public.

« J’ai du mal à comprendre que vous puissiez gagner ce que vous gagnez. (…) Et qu’un pompier va gagner dix fois moins que vous, un policier, une infirmière vont gagner moins que vous. Et en fait, vous nous faites des leçons de morale. Vous avez une part dans vos revenus non imposables. Votre part non imposable, c’est plus que ce que je gagne moi » lance-t-elle, alors que le montant brut mensuel de l'indemnité parlementaire s'élève à 7.239 euros (environ 5.600 euros net). Eve Lopez gagne elle 1.300 euros net.

« Je ne vois même pas comment vous pouvez nous comprendre en fait. Je ne pense pas que le 4 du mois, vous n’ayez rien dans le frigo » ajoute Eve Lopez. « Il faut à un moment que vous vous remettiez à notre niveau ». La sénatrice centriste Françoise Gatel lui répond qu’« en effet, il y a un éloignement de la classe politique » et souligne que le Sénat, par ses actions, tente de répondre concrètement aux problèmes des Français. Elle prend exemple sur le moratoire sur la hausse de la taxe sur les carburants.

« Beaucoup de gens n’attendent pas le 15 pour ne plus avoir à manger, c’est souvent avant »

Dialogue citoyen : « Beaucoup de gens n’attendent pas le 15 pour ne plus avoir à manger, c’est souvent avant »
03:24

Eve Lopez, employée dans un restaurant universitaire, explique son quotidien de mère célibataire. Elle est payée « aux alentours du 26-28 du mois » et « le 4 du mois suivant, son banquier l’appelle pour lui dire qu’il manque 700 euros ». Dans ces cas-là, « il faut trouver une solution, sinon c’est plus de carte bleue, de chéquier et de nourriture dans le frigo ».

Elle rappelle que « beaucoup de gens n’attendent pas le 15 pour ne plus avoir à manger, c’est souvent avant ». Elle dénonce « un engrenage » où « si on est à découvert, ça fait des frais bancaires à payer ». Ainsi, elle ne peut pas « payer un loyer, une taxe d’habitation, des factures et la nourriture, il faut faire des choix ». Elle a choisi « le loyer et la nourriture pour les enfants ».

Elle poursuit son explication : « Le fait d’être à découvert, impossible de payer la taxe d’habitation, à la fin, les impôts saisissent sur mon compte, c’est 130€ de frais bancaire ». Elle parle d’ « un salaire par an qui passe dans les frais d’agios ».

Eve Lopez met l’accent sur « des situations difficiles », où « même avec un salaire, le retard fait que vous ne vous en sortez pas ». Elle raconte que « quand le banquier m’a appelé, j’ai pensé à deux choses : aller travailler ou passer sous le RER. J’aime trop mes enfants pour faire quelque chose comme ça ».

Elle déplore que « la loi anticasseurs soit passée rapidement », alors qu’elle voudrait « une loi pour pouvoir vivre ». Elle conclut en expliquant que « ses enfants n’ont pas fêté Noël ni leur anniversaire » et qu’elle est démunie face à leurs questions : « Je leur dis quoi ? Travaillez mais vous n’aurez rien à la fin du mois ? »

« La question, c’est comment on reconstruit aujourd’hui des processus, non pas de solidarité, mais de justice » explique Laurence Rossignol

« Le monde actuel dysfonctionne totalement […] On est au bout d’un cycle » déclare Laurence Rossignol
01:52

« Je pense que les questions de solidarité sont importantes mais qu’on ne peut pas admettre l’idée que des gens qui travaillent doivent vivre des compléments que la solidarité leur apporte », répond la sénatrice PS Laurence Rossignol à ses trois interlocuteurs, qui ont chacun exprimé de graves problèmes de pouvoir d'achat. L'ancienne ministre considère que les questions institutionnelles soulevées dans le grand débat sont secondaires :

« Les questions démocratiques ne vont pas tout régler non plus. Le RIC (référendum d’initiative populaire) va poser des questions, obtenir des réponses, mais on va quand même rester sur les questions principales, c’est comment on crée de la richesse ? Comment on la répartit ? Qu’est-ce que la justice sociale ? »

« Le monde actuel dysfonctionne totalement […] On est au bout d’un cycle », alerte-t-elle. « La question, c’est comment on reconstruit aujourd’hui des processus, non pas de solidarité, mais de justice. »

Philippe Machepy, retraité qui ne vote plus, lance un « défi » à Macron : « Invitez moi, et six autres citoyens lambda, pour avoir une conversation de Président à citoyens »

La parole à Philippe Machepy, 62 ans, retraité de la fonction publique. Il vit à Lunéville, en Meurthe-et-Moselle. Il ne vote plus depuis 1995. Il raconte pourquoi :

« Je ne crois plus du tout en la politique. Au début, j’ai voté à gauche, à l’époque de Mitterrand. Après, j’ai eu une vision un peu de droite et en fin de compte, je suis perdu, je me suis perdu dans les idées politiques. Car en fin de compte, vous mettiez la gauche et la droite rassemblées, on ne savait plus qui était qui car ils parlaient tous le même langage ».

Pour le retraité, il faut que le gouvernement écoute les Français. Et s’occupe avant tout de la France. Il le dit avec ses mots : « Je parle de la France, pas de l’Europe. Merde ! C’est le mot de Cambronne. C’est-à-dire qu’on parle des Français et de la France. C’est une priorité ».

Philippe Machepy, retraité qui ne vote plus, lance un « défi » à Macron : « M’inviter moi, et six autres citoyens lambda, pour avoir une conversation de Président à citoyens »
02:57

Après avoir transmis aux des sénateurs présents, la présidente du groupe communiste, Eliane Assassi, et Jean-Marc Gabouty, sénateur Radical de la Haute-Vienne, une lettre sur la prise en compte du handicap, le retraité lance un appel au Président de la République. Philippe Machepy demande de le rencontrer. « Je voudrais m’adresser à notre Président, Monsieur Macron. Je vous mets au défi de m’inviter moi, et six autres citoyens lambda. Des gens qui ne savent ni lire, ni écrire et qui sont un peu bêtes, pour avoir une conversation de Président à citoyens. Il n’y aura pas de média. On va lister nos revendications et vous nous apportez des réponses. Pas de médias nationaux. Le seul média, ce sera Facebook en direct. (…) vous avez la balle dans votre camp ». Message transmis.

« Après 25 ans, aucune entreprise ne veut vous prendre, vous leur coûtez trop cher »

Dialogue citoyen : « Après 25 ans, aucune entreprise ne veut vous prendre, vous leur coûtez trop cher »
02:16

Bertille Louveau, journaliste à Rennes, fait un point sur les jeunes qui « ne rentrent dans aucune case ». Elle interpelle les sénateurs : « Vous n’imaginez pas le nombre de jeunes qui sont à ma place. J’ai une amie qui est tombée malade de ne pas avoir de solution. »

Pour elle, la situation de précarité empêche « absolument toute légèreté ». Elle considère que « ce sont des questions qui vous hantent tellement l’esprit que vous ne pouvez plus faire autre chose. Vous ne pouvez rien créer ni développer ».

Bertille Louveau pointe « une vraie colère qui est là », elle considère qu’ « on n’est jamais écouté » et que « c’est un bordel innommable de se faire entendre ».

Elle prend exemple sur sa situation personnelle : après un diplôme en info-com, elle a voulu se reconvertir car « elle ne trouvait pas de travail ». Elle « n’a jamais pu se reformer, ni faire de contrat pro » car « après 25 ans, aucune entreprise ne veut vous prendre, vous leur coûtez trop cher ».

La jeune journaliste est « allée partout pour avoir une formation » et « on lui a tout refusé ». Après avoir été employée en tant qu’intermittente, puis micro-entrepreneur, « on arrive au Pôle Emploi, ils nous disent : "Qu’est-ce qu’on peut pour vous ? Vous ne rentrez dans aucune case." ».

« Crise de la représentativité »

Débat entre un citoyen et un sénateur sur la « crise de la représentativité »
02:28

Dieunor Excellent, attaché territorial et élu au conseil municipal de Villetaneuse (Seine-Saint-Denis) évoque le « problème de renouvellement de la classe politique ». « Aujourd’hui on est dans une démocratie représentative, mais où les personnes que je côtoie au quotidien ne se sentent pas représentés ». Il appelle à revoir les modes de scrutin, dont celui du Sénat, et propose d’instaurer des mandats uniques, pour donner plus de chances à chacun d’accéder aux responsabilités.

« Comment on peut avoir des sénateurs qui sont élus par un corps de grands électeurs et qui sont un peu déconnectés de la réalité du terrain ? » demande-t-il.

« Les sénateurs ne sont pas déconnectés, vous avez des sénateurs ici qui sont encore médecins, qui font de la médecine le week-end, des gens qui travaillent à temps très partiel dans des entreprises », lui a répondu Jean-Marc Gabouty, sénateur RDSE. « J’ai été maire pendant 22 ans, je passe encore des heures avec mes concitoyens pendant le week-end. Ne dites pas que les sénateurs sont déconnectés de la vie locale », a-t-il ajouté. Selon le sénateur du Parti radical, une réforme des modes de scrutin « ne changera rien aux problèmes » soulevés par les gilets jaunes.

Un consensus autour du vote blanc sur le plateau de dialogue citoyen ?
02:38


Dieunor Excellent ajoute par la suite qu’il faut reconnaître le vote blanc, en plus d’abaisser le droit de vote à 16 ans. « Moi je suis un vieux militant du vote blanc », précise Jean-Marc Gabouty. Un avis aussi partagé par sa collègue communiste Éliane Assassi, qui pointe cependant un risque. « On est pour, mais il faut changer le mode électoral. Vous avez le vote blanc qui est dominant dans une élection présidentielle, s’il y a 50% de gens qui votent blanc, on va être mal »

Aurélien Lambert, agriculteur : « On nourrit la France et le revenu moyen, en 2017, était de 350 euros. C’est moins que le RSA ! »

Aurélien Lambert, agriculteur : « On nourrit la France et le revenu moyen, en 2017, était de 350 euros. C’est moins que le RSA ! »
03:30

Aurélien Lambert, agriculteur de 31 ans de Mayenne, exprime le malaise ressenti par de nombreux agriculteurs dans le pays, notamment au sujet de leurs revenus (voir la première vidéo) :

« Les métiers manuels sont des métiers nobles et mériteraient une très bonne rémunération. Surtout dans l’agriculture. On nourrit la France et le revenu moyen, en 2017, était de 350 euros. C’est moins que le RSA ! Les gens se lèvent tous les jours, 7 jours sur 7, pour soigner des bêtes, pour nourrir la France ».

Aurélien Lambert demande « que les agriculteurs soient rémunérés justement. On ne demande pas énormément, on demande de partir un peu en vacances, pouvoir être fiers de notre métier, avoir un revenu décent. On ne demande pas énormément de choses. On fait un métier qu’on adore, on le fait par passion et on n’arrive pas à en retirer de l’argent et de la gratitude. Et derrière ça, on se fait attaquer par l’agribashing, les sans OGM, on nous dit qu’on maltraite nos animaux… »

« Ça arrive » souligne François Grosdidier, sénateur LR de la Moselle. « C’est sûr que si vous allez voir des gens qui sont au bord du suicide, ils vont peut-être mal les traiter… » répond l’agriculteur.

Installation des médecins : « A 28 ans, on en a marre, on veut gagner de l’argent et se poser avec notre famille »

Dialogue citoyen : « A 28 ans, on en a marre, on veut gagner de l’argent et se poser avec notre famille »
08:39

Claire Rameaux, médecin généraliste dans la Nièvre, a fait le choix d’exercer en milieu rural. Au quotidien, elle rencontre un problème de « surcharge de travail » et d’« éloignement des structures hospitalières ».

Concernant le rééquilibrage territorial, elle n’a « pas d’idée géniale ». Elle constate qu’ « on a essayé la carotte, en promettant des sommes pharaoniques, ça ne marche pas », pas plus que « de toucher à la liberté d’installation, ce qui braque tout le monde ».

Elle considère que « quand on a fini l’internat, on n’a pas envie de se faire encore imposer quelque chose ». Pour la médecin, « à 28 ans, on en a marre, on veut gagner de l’argent et se poser avec notre famille ».

Sur la télémédecine, Claire Rameaux a un avis partagé. Elle est « en train de la mettre en place pour la dermatologie et la cardiologie ». Elle reconnaît que « ça va beaucoup plus vite que si on était passé par le secrétariat ».

Toutefois, en médecine générale, elle « ne se voit pas ne pas voir son patient et ne pas le toucher ». Elle considère qu’ « en médecine générale, c’est rarement un problème isolé. […] Ce n’est pas en regardant la gorge de mon patient que je vais résoudre son syndrome dépressif ».

Au programme:

De 18h à 18h30 :
-Claire Rameau, 34 ans, Médecin généraliste, Corbigny (Nièvre, 58)
-Georgette Bernier Morel, 85 ans, Retraitée, Bonneval (Eure-et-Loir, 28)
-Aurélien Lambert, 31 ans, agriculteur en Mayenne (53)
Les sénateurs :
-Julien Bargeton, sénateur LREM de Paris 
-François Grosdidier, sénateur LR de la Moselle

De 18h30 à 19h
-Philippe Machepy, 62 ans, Retraité de la fonction publique, Lunéville (Meurthe-et-Moselle, 54)
-Dieunor Excellent, 42 ans, Attaché territorial, élu au conseil municipal, Villetaneuse (Seine-Saint-Denis, 93)
-Bertille Louveau, 27 ans, journaliste, Rennes (Ille-et-Vilaine, 35) :
Les sénateurs :

-Eliane Assassi, sénatrice CRC de Seine-Saint-Denis et présidente du groupe CRC
-Jean-Marc Gabouty, sénateur RDSE de la Haute-Vienne 

De 19h à 19h30 :

-Frédéric Tabary, 50 ans,  Auto-entrepreneur, Nantes (Loire-Atlantique, 44)
-Rémy Beurion, 50 ans, Journaliste, Vierzon (Cher, 18)
-Eve Lopez, 41 ans, Employée dans un restaurant universitaire, Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine, 92)

Les sénateurs :
Laurence Rossignol, sénatrice PS de l’Oise
Françoise Gatel, sénatrice Union centriste d’Ille-et-Vilaine

L’émission sera diffusée en live sur publicsenat.fr et les réseaux sociaux ainsi que sur notre chaîne partenaire Accropolis et la plateforme collaborative Twitch.
Jean Massiet, le fondateur de la chaîne Accropolis relaiera en direct les questions des “twitcheurs”

Les temps forts de l’émission à suivre sur  publicsenat.fr, les réseaux sociaux et twitch.fr
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