Impôt mondial sur les sociétés : ce n’est pas gagné, selon les sénateurs

Impôt mondial sur les sociétés : ce n’est pas gagné, selon les sénateurs

Après l’accord du G7 sur un taux mondial d’« au moins 15% » de l’impôt sur les sociétés, le rapporteur LR du budget au Sénat, Jean-François Husson, salue une « décision qui entrera dans l’histoire ». « Ce n’est que le Conseil finance du G7 », tempère le président de la commission des finances, le socialiste Claude Raynal. « Claironner, c’est très bien. Mais il faut la mise en œuvre », alerte le communiste Eric Bocquet.
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C’est une nouvelle que beaucoup qualifient « d’historique ». Les ministres des Finances du G7 – Royaume-Uni, France, Italie Canada, Japon, Allemagne, Etats-Unis – ont annoncé samedi un accord sur le principe d’un impôt mondial sur les sociétés d’« au moins 15 % ». L’enjeu, sur la table depuis des années, est de taille. Il s’agit de lutter contre l’évasion fiscale des grandes entreprises, au premier rang desquels les géants du Net, qui profitent de la fiscalité clémente voire quasi nulle pratiquée par certains pays. Une concurrence entre pays qui entraîne des milliards de manque à gagner pour les Etats. Un membre de l’Union européenne s’est illustré dans ce dumping fiscal. C’est l’Irlande, qui pratique un taux d’impôt sur les sociétés de 12,5 %. Il faudra encore les convaincre, tout comme la Chine.

Le ministre français de l’Economie, Bruno Le Maire, a salué « un accord historique ». L’OCDE avait entamé les travaux depuis des mois. Mais l’arrivée de Joe Biden à la tête des Etats-Unis à débloquer les choses. Le président américain a lancé un grand plan de relance de 1.900 milliards de dollars. Et la pandémie a vidé les caisses des Etats. Les milliards de pertes dus à l’évasion fiscale se font d’autant plus cruellement sentir. Ce contexte a permis d’avancer.

« C’est un enjeu de solidarité et de justice fiscale à l’échelle mondiale »

Au Sénat, le rapporteur général de la commission des finances, le sénateur LR Jean-François Husson, y voit « une décision qui entrera dans l’histoire. C’est un enjeu de solidarité et de justice fiscale à l’échelle mondiale, où on voit bien que le dumping et les contournements de réglementations nuisent au bon fonctionnement de l’économie mondiale ».

En 2020, faute d’accord, la France avait décidé de se lancer seule dans la taxation des GAFA. De quoi donner une impulsion ? « Un certain nombre de pays du G7 et de l’Europe étaient avec leurs petits poings, mais ça ne suffit pas pour porter un coup décisif à l’adversaire », pense Jean-François Husson. « Quand on peut embrayer et mettre en route un mouvement, ça peut être utile pour débloquer », tempère le socialiste Claude Raynal, président de la commission des finances du Sénat, « mais dire après que les Etats-Unis ont changé d’avis suite à la position française, ce serait aller trop loin. Ils le font car c’est leur intérêt ».

« Il faut élargir la décision aux 139 pays qui travaillent sur le sujet au sein de l’OCDE »

Quoi qu’il en soit, le sénateur PS de la Haute-Garonne salue « une bonne nouvelle. Il fallait absolument sortir de la concurrence à la baisse sur les taxations. Ça met à mal les paradis fiscaux ». Mais Claude Raynal met en garde contre trop d’optimisme. « C’est une nouvelle intermédiaire. Ce n’est que le Conseil finance du G7 pour l’instant. Il faut passer à la décision des chefs d’Etats, puis la décision du G20 et élargir aux 139 pays qui travaillent sur le sujet au sein de l’OCDE », recadre Claude Raynal. Il ajoute : « C’est une étape importante mais c’est une étape. Ça veut dire qu’il y aura encore beaucoup de travail pour arriver à une mise en œuvre effective ».

Le président de la commission des finances alerte sur une autre difficulté : « C’est une bonne chose de fixer un taux minimal, mais il faut définir la masse taxable. Et tous les pays ont des bases taxables différentes. Il faut se mettre d’accord sur une méthodologie. En France, il y a toute la question des crédits d’impôts, comme le crédit d’impôt recherche. C’est très français ». On le voit, le diable se niche dans les détails.

« Un accord a minima »

Le sénateur communiste Eric Bocquet, qui travaille sur les questions d’évasion et de fraude fiscale depuis longtemps, voit dans l’annonce du G7 « un petit pas en avant dans la bonne direction ». Mais à l’image de plusieurs ONG, comme Oxfam ou Attac, qui pointent une mesure trop faible, le communiste raille « un coup de com’ » qui lui rappelle le moment où « Nicolas Sarkozy avait dit en 2009, au lendemain du G20, « les paradis fiscaux, c’est terminé »… » « C’est un accord a minima. Il y a quelques semaines, le taux était à 21%. Et la France, avec Bruno Le Maire, avait œuvré pour baisser ce taux », souligne Eric Bocquet. Par ailleurs, « on fixe à ce taux des limites car seules les grandes entreprises seront ciblées. L’accord prévoit des droits d’imposition de 20 % sur les bénéfices des grandes multinationales dépassant une marge de 10%. Ça veut dire que l’essentiel des revenus restera là où se situe le siège de la multinationale », selon le communiste.

Eric Bocquet pointe aussi la difficulté à « convaincre les partenaires européens », alors que « le Luxembourg a défrayé la chronique avec l’Open Lux et les 55.000 sociétés offshore qui ont des milliards d’actifs ». Le sénateur du Nord cite aussi la situation de Malte ou de la Hongrie, « où le taux de l’impôt sur les sociétés est de 9% ». Or « sur les sujets fiscaux, il faut l’unanimité au sein de l’Union européenne. Vous voyez le chemin qu’il reste à parcourir. Claironner, c’est très bien. Mais après, il faut la mise en œuvre ». Last but not least, cette réforme ne « profitera pas aux pays du Sud ».

« Pour certaines entreprises françaises, ça va se traduire par une augmentation de l’imposition »

De son côté, le socialiste Claude Raynal relève au passage un autre effet d’un taux minimal de 15% de l’impôt sur les sociétés. « Ça permettra de voir que les entreprises en France sont quelques fois en dessous de ce taux. On dit qu’il est trop élevé. Mais quand on regarde les crédits d’impôts, on se rendra compte que certaines grandes et très grandes entreprises ont un taux effectif autour de 10% », glisse le président de la commission des finances. Autrement dit, « pour certaines entreprises françaises, ça va se traduire par une augmentation de l’imposition ».

Jean-François Husson est plus optimiste que ses collègues de gauche. Le rapporteur LR du budget de la Haute assemblée pense que ce premier pas du G7 pourrait en amener d’autres. « Cet objectif doit pouvoir croiser l’idée d’être beaucoup plus attentif au défi climatique qui est devant nous. Ça peut nous amener à redéfinir les modèles de développement à l’échelle internationale, pour les échanges, que ce soit sur le dumping fiscal, mais aussi les conditions de travail et sociales », espère Jean-François Husson, pour qui « il faut remettre un peu de rationalité et de sens dans les décisions ».

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