Feux de forêt : la gestion du massif des Landes, un modèle à suivre ?

Feux de forêt : la gestion du massif des Landes, un modèle à suivre ?

Bien que durement frappé par les incendies cet été, l’Aquitaine a développé un dispositif d’entretien des espaces forestiers présentés comme particulièrement efficace face aux nombreux départs de feux. Il repose notamment sur un système de taxation des propriétaires qui n’existe nulle part ailleurs.
Public Sénat

Par Romain David et Jonathan Dupriez

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La Gironde est de nouveau la proie des flammes. Un nouvel incendie s’est déclaré lundi sur la commune de Saumos, à proximité de Lacanau, et a parcouru plus de 1 800 hectares. Quelque 540 personnes ont été évacuées et 400 pompiers sont mobilisés, appuyés notamment par deux canadairs, trois hélicoptères et un Dash. Des renforts étaient attendus dans l’après-midi. Depuis le début de la semaine, l’Aquitaine, comme une large partie de l’Hexagone, connaît une forte hausse du mercure avec des températures supérieures aux 30°. À Begaar, dans les Landes, le record national de chaleur pour un mois de septembre a même été battu avec 40,7°c. Cette situation laisse craindre un épilogue à l’été de feux qu’a connu l’Hexagone, marqué par des incendies records : 30 000 hectares partis en fumée entre juillet et août, notamment à La Teste-de-Buch et à Landiras. Liée au réchauffement climatique, l’intensification du risque incendie interroge sur la stratégie à déployer pour préserver les 17 millions d’hectares de forêts qui couvrent la France métropolitaine.

Le massif des landes de Gascogne – un territoire qui s’étire depuis la pointe de Gave jusqu’à Hossegor et, d’est en ouest, d’Agen jusqu’au littoral atlantique - a développé depuis plusieurs décennies un dispositif original d’entretien des espaces forestiers et de prévention du risque incendie, reposant à la fois sur une contribution financière des propriétaires terriens et la mobilisation des associatifs. Certes, la zone n’a pas été épargnée cet été par les feux de forêts, mais elle affiche depuis plusieurs années des chiffres plutôt encourageants en la matière. Car si l’Aquitaine est la région qui concentre le plus de départs d’incendie par an (plus de 300), elle est également celle dont le taux d’extinction des feux naissants est le plus important : ils sont jugulés dans 80 % des cas selon les chiffres de la Base de Données sur les Incendies de Forêts en France (BDIFF). « On note depuis 1985 que la taille moyenne des surfaces brûlées diminue grâce à l’efficacité du réseau de pistes qui facilite un accès rapide au massif, des moyens de lutte mais aussi des pratiques sylvicoles régulières qui font de ce massif une forêt gérée durablement », lit-on sur le site internet de l’association de Défense des Forêts Contre l’Incendie en Aquitaine (DFCI).

Un système de taxation unique en France

La mise en place dans la région d’une défense des forêts contre le risque incendie remonte à la fin du XIXe siècle, en raison notamment du caractère hautement inflammable des essences de pin. Le dispositif se structure à la fin des années 1940, après deux incendies particulièrement dévastateurs – celui de 1949 reste le plus meurtrier qu’a connu la France, avec 82 victimes. « Lorsque ce système a été mis en place, les forestiers avaient tout perdu. C’est lorsqu’ils ont tout perdu qu’ils se sont autotaxés, c’est-à-dire qu’ils ont demandé à l’Etat de créer une taxe obligatoire sur le périmètre des Landes de Gascogne », explique à Public Sénat Bruno Lafon, maire de Biganos et président de l’antenne girondine de la DFCI. « Tout propriétaire d’un terrain boisé, ou non boisé, à l’intérieur de ce périmètre doit payer une cotisation. »

Celle-ci est actuellement fixée à 2,40 euros par hectare et par an. Elle concerne environ 55 000 propriétaires. Elle permet de lever chaque année environ un million d’euros, que viennent compléter des aides des collectivités territoriales, de l’Etat et de l’Union européenne pour financer l’aménagement de pistes forestières, de pare-feu – des chemins très larges qui évitent que le feu ne saute d’une parcelle à une autre -, ou encore des points d’alimentation en eaux pour faciliter le travail des pompiers. « On fait environ 3 à 4 millions de travaux chaque année dans le massif des Landes de Gascogne », indique Bruno Lafon. Ces aménagements sont supervisés par les quatre antennes départementales de la DFCI Aquitaine (Dordogne, Gironde, Landes, Lot-et-Garonne), qui regroupent elles-mêmes plus de 200 associations, soit 2 500 bénévoles qui participent à l’entretien et à l’aménagement du massif. La DFCI déploie également des conseillers techniques auprès des mairies, susceptibles d’orienter les pompiers en cas de sinistres, par exemple en les informant sur certaines spécificités du terrain non répertoriées sur les cartes.

Une extension du dispositif ?

La forêt de la Teste-de-Buch, dont 7 000 hectares ont été ravagés par les flammes cet été, était régie par une réglementation du XVe siècle et ne bénéficiait pas des aménagements que l’on trouve dans le reste du massif landais, en dépit des tentatives de la DFCI. Inversement, la forêt de Landiras, qui a vu 13 800 hectares ravagés par les flammes au même moment, avait été aménagée par la DFCI Aquitaine. Mais pour Bruno Lafon, il s’agit de deux cas de figure différents : « On va me dire que la forêt aménagée de Landiras a brûlé comme celle de la Teste, mais si la Teste n’avait pas brûlé, nous aurions eu beaucoup plus de moyens au départ du feu à Landiras », pointe-t-il. « Je ne dis pas que ce système doit se faire partout en France, mais il faudra se poser la question », observe encore l’édile. Et d’ajouter : « Il a montré ses preuves ! »

« Ce dispositif pourrait être étendu à l’ensemble du territoire », estime pour sa part la sénatrice LR de Gironde Florence Lassarade. « Il permettrait de dégager davantage de moyens pour entretenir les forêts, mais il y aura sûrement des réticences », observe-t-elle. Dans les zones où les forêts ne font pas l’objet d’une activité économique particulière, une piste de financement consisterait à flécher une contribution issue des industriels de la filière bois. « La prévention coûtera toujours moins chère que la lutte active », relève Bruno Lafon.

Toutefois, la DFCI Aquitaine présente aussi ses limites. « Les travaux d’aménagement d’une parcelle à l’autre dépendent du bon vouloir des propriétaires, et face à l’augmentation du risque d’incendie, peut-être faudrait-il aller plus loin et être plus contraignant », observe Florence Lassarade. « Il arrive que le système de contribution soit remis en cause par des propriétaires qui, malgré les aménagements, subissent des sinistres. Cela fait partie du jeu », ajoute-t-elle. « Par ailleurs, certains conseillers techniques de la DFCI ont eu du mal à se faire entendre cet été. Dans plusieurs zones, on a vu débarquer une armée de pompiers, certains venus de l’étranger, et ne prenant les consignes que d’en haut. La DFCI n’a pas toujours été écoutée, et il y a eu une perte de chances pour la forêt. Sur ce point, il va falloir mettre de l’huile dans les rouages », souligne encore la sénatrice.

« Il ne faut pas laisser entendre qu’il existe un modèle à dupliquer partout »

La mission d’information du Sénat sur les mégafeux porte un regard plutôt positif sur le bilan de la DFCI Aquitaine, comparée notamment à l’approche du risque incendie dans les forêts méditerranéennes, « caractérisées par un morcellement de la propriété et une absence de gestion ». « [En Aquitaine] les départs de feux ont certes été nombreux, mais la politique de prévention ainsi mise en place a jusqu’à récemment limité le risque de propagation : en moyenne, le nombre d’hectares brûlés par incendie y a donc été plus faible qu’en zone méditerranéenne », pointe la Chambre Haute dans un rapport rendu public début août.

Toutefois, la sénatrice centriste Anne-Catherine Loisier, qui a participé aux travaux de la mission d’information, estime que ce système « n’est pas forcément transposable ». « Il ne faut pas laisser entendre qu’il existe un modèle à dupliquer partout. La culture du risque doit se développer, mobiliser l’ensemble des acteurs locaux, mais aussi intégrer les spécificités du territoire, les situations ne sont pas les mêmes suivant les essences d’arbres, la géographie, le climat… », pointe-t-elle. Elle se montre également sceptique sur une généralisation de la taxation : « Elle ne devrait être envisagée qu’en ultime solution, s’il n’a pas été possible de développer une économie forestière, liée ou non à la filière bois. Car sans cela, l’entretien de la forêt peut coûter très cher. »

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