Festivals : « On demandait un cadre, on a eu un carcan » dénonce Jean-Paul Roland, directeur des Eurockéennes

Festivals : « On demandait un cadre, on a eu un carcan » dénonce Jean-Paul Roland, directeur des Eurockéennes

Douche froide pour les uns, espoir pour les autres, la possibilité d’organiser des festivals de 5.000 personnes et assis, annoncée par le ministère de la Culture, fait débat selon le type de festival. « On ne peut pas imaginer un concert de musique électro si on est assis » pointe Jean-Paul Roland, directeur des Eurockéennes. « Ce sera mieux que rien » tempère la sénatrice PS Sylvie Robert.
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Faut-il voir le verre à moitié plein ou à moitié vide, suite aux annonces jeudi du ministère de la Culture sur les festivals ? Après une réunion avec les représentants du secteur et Roselyne Bachelot, on en sait un peu plus sur l’avenir des festivals pour l’été prochain. Ou plutôt les conditions : ce sera 5.000 personnes maximum, que ce soit en salle ou en plein air, assis, à distance et avec masque.

« Opération de com’ »

Derrière ce qui pourrait s’apparenter, au premier abord, comme une bonne nouvelle, les réactions sont en réalité mitigées. « On demandait un cadre, on a eu carcan » déchante Jean-Paul Roland, directeur du festival des Eurockéennes, à Belfort, interrogé par publicsenat.fr. Il dénonce « une grande opération de com’ ».

Celui qui est aussi l’un des responsables du Prodiss (Syndicat national des producteurs, diffuseurs, festivals et salles de spectacle dans le privé) ne cache pas sa déception :

On est sous le choc. Je pense qu’on ne comprend pas tout à fait qui sont les festivaliers. Ce ne sont pas des spectateurs qu’on pose assis comme des Playmobils à deux mètres de distance pendant huit heures, et on les ressort. Nous, on fabrique de l’interaction sociale.

« La question, ce n’est pas les gros ou les petits festivals, c’est debout ou pas debout »

Dans un communiqué commun, le SMA (syndicat des musiques actuelles), Technopole, De concert ! et AJC Jazz soulignent que « si l’obtention d’un cadre répond bien à la demande des festivals, il semble, en l’état, difficile de considérer que l’ensemble de nos manifestations puissent s’en satisfaire. De nombreuses esthétiques musicales (électro, hip-hop, métal, rock, etc.) sont incompatibles avec la configuration assise et cette annonce menace leur tenue ». En effet.

« Le message très grave envoyé à notre jeunesse, c’est que les esthétiques que vous défendez ne pourront pas être montrées. On ne peut pas imaginer un concert de musique électro si on est assis. Je pense à des confrères comme ceux des festivals Nuits Sonores à Lyon, ou Panorama à Morlaix. C’est un message de non-espoir qui est envoyé. Sans parler de l’impact sur les territoires » alerte Jean-Paul Roland. « Pour ceux qui sont déjà en position assis, ce sera beaucoup plus facile » reconnaît le patron des Eurockéennes. Mais pour les autres… « La question, ce n’est pas les gros ou les petits festivals, c’est debout ou pas debout » dit-il. Le responsable du Prodiss y va de son image : « Si on disait aux spectateurs de cinéma d’assister au film debout avec la lumière allumée, certes ils verraient un film. Mais est-on proche de l’expérience du cinéma ? Ou si les gens de l’opéra regardent debout, un par un, je ne sais pas s’ils accepteraient… »

Un festival, c’est de la chaleur humaine, de la sueur, des sourires et des cris

Concrètement, le protocole assis s’adaptera bien aux concerts de jazz, de classique ou de chanson française. Les fans de rock, de techno ou de hip hop peuvent eux aller se rhabiller. Ou plutôt rester assis. Pas pratique pour slamer, pogoter ou tout simplement danser. Car un festival, un concert ou un DJ set, c’est avant tout de la chaleur humaine, de la sueur, des sourires et des cris. C’est vivant et ça se partage. La musique live est finalement devenue l’une des rares occasions, dans une société individualiste, de partager quelque chose en commun, notamment pour les jeunes. Une bulle sociale où l’addition des individualités forme un tout. C’est la magie rencontrée sur un dancefloor, qui mène à une forme de transe collective. C’est l’énergie d’un concert de rock et d’un morceau fédérateur. Quelque chose d’impalpable, mais bien réel. Or le protocole du ministère, tel que proposé, ne laisse pas la place à ce vécu-là.

Certains festivals sont néanmoins prêts à s’adapter. C’est le cas des Vieilles Charrues, à Carhaix. « Le ministère de la Culture donne enfin le cadre que nous lui réclamions depuis des semaines. Des réponses engageantes et motivantes » salue auprès du Monde son directeur, Jérôme Tréhorel. Pour l’un des plus gros festivals de France, avec 70.000 personnes par jour, la formule sera donc revue, avec « dix soirées de concerts, du 8 au 18 juillet 2021 », sous un format assis, au lieu des quatre journées prévues.

« Il faut saluer ce début de cadre et de dialogue » selon Sylvie Robert

La sénatrice PS Sylvie Robert, qui est notamment en lien avec les Vieilles Charrues et qui est montée au créneau depuis l’été dernier pour défendre les festivals, voit aussi « le verre à moitié plein ». « Il faut saluer le fait qu’il y ait un début de cadre. C’est le début d’un dialogue. La ministre l’a ouvert. Il faut continuer » réagit la sénatrice d’Ille-et-Vilaine. La ministre Roselyne Bachelot s’est d’ailleurs engagée à revoir chaque mois les acteurs du secteur. Sylvie Robert ajoute : « Ça me satisfait car on ne va pas vivre l’été silencieux qu’on a vécu l’été dernier. C’était tellement difficile pour tout le monde, les festivals, les artistes, le public. Il se passera quelque chose l’été prochain. Mais ce sera différent ».

Pour la socialiste, « il faut toujours essayer de cranter quand il y a une ouverture. Ce sera mieux que rien finalement ». Mais Sylvie Robert reconnaît que « ça peut changer la nature même des festivals. Je comprends leur déception. Il faut se réadapter ».

Du côté des Francofolies, organisées mi-juillet, à La Rochelle, les annonces sont vécues aussi comme une éclaircie. « L’an dernier, en avril, on en était nulle part, sans décision, et là on est en février et on nous dit qu’il pourra y avoir des festivals, c’est déjà formidable » se réjouit le patron du festival, Gérard Pont.

Peu d’espoir pour les Eurockéennes

D’autres, à l’inverse, ont déjà annoncé leur annulation. C’est le cas du Hellfest, organisé à Clisson, en Loire-Atlantique. Pour le plus grand festival de métal, organiser des concerts assis est inimaginable. « Vous allez avoir une vague d’annulation » prévient Jean-Paul Roland. Pour les Eurockéennes, on sent que les choses sont très mal engagées. La perspective d’une autorisation des concerts debout, évoquée par le ministère si les conditions sanitaires le permettent, lui donne cependant un mince espoir. « C’est la chose à laquelle je m’accroche pour ne pas dire que les Eurockéennes sont annulées » avoue-t-il.

Mais Jean-Paul Roland devra prendre « une décision en mars. Donc ça laisse peu d’espoir d’évolution de ce côté-là ». Trop tôt pour voir si l’épidémie aura suffisamment reculé. « Nous avons déjà vendu 40.000 billets. Donc dans les conditions annoncées hier, on ne pourrait pas le faire tel que prévu. Est-ce qu’on fera quelque chose ? A mon avis, on n’ira pas vers une adaptation. On ira vers une animation territoriale. Mais ça ne s’appellerait pas les Eurockéennes » confie son directeur général.

« Non-distinction entre plein air et in door »

Il s’étonne surtout de « la non-distinction entre plein air et in door. La ministre dit qu’il n’y a pas de différenciation, alors qu’on avait cru comprendre que le virus était plus dangereux en intérieur qu’en extérieur… » Lui, comme de nombreux organisateurs, misent maintenant sur les concerts-tests qui vont être organisés à Marseille et Paris en salle. Il est d’ailleurs partie prenante pour celui organisé dans la capitale (lire notre article sur le sujet). « Il faudra analyser les choses scientifiquement » soutient-il.

Sylvie Robert ajoute qu’un autre concert test, celui-ci en plein air, « sera organisé en avril au festival No Lolo, à Saint-Malo ». « Il faut être vigilant et voir si on peut pousser un peu plus la porte, si les conclusions sur ces concerts sont optimistes. Je parie beaucoup sur le résultat des concerts-tests. On verra s’il faut différentier les conditions selon l’extérieur et l’intérieur » imagine la socialiste.

Le gouvernement prévoit aussi un fonds d’aide de 30 millions d’euros. De quoi compenser les pertes ou aider ceux qui se maintiennent. D’autant que les bars et la restauration, source importante de recettes, ne sont pour le moment pas prévus au protocole. « Il faudra bien vérifier si le fonds de compensation suffit », souligne Sylvie Robert, « c’est un premier pas, mais je pense que ça ne suffira pas ».

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