Compteurs Linky : « Les usagers sont des vaches à lait », peste Fabien Gay

Compteurs Linky : « Les usagers sont des vaches à lait », peste Fabien Gay

Contrairement à ce qui avait été annoncé en 2011, il reviendrait aux Français de financer les 130 euros liés au déploiement du boîtier connecté, au travers de leurs factures d’électricité. Ce qu’infirme le gouvernement.
Public Sénat

Par Jules Fresard

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Mise à jour : Le gouvernement a assuré que les consommateurs ne « paieront pas plus » en raison du déploiement du compteur d’électricité communicant Linky. Emmanuelle Wargon, la ministre déléguée à la Transition écologique répondait à une question du député LFI, Adrien Quatennens, à l’Assemblée nationale.

 

« Pas un centime au contribuable ! ». C’était, en 2011, ce que l’installation des nouveaux compteurs Linky devait coûter aux clients d’EDF, comme l’annonçait Eric Besson, à l’époque ministre de l’Industrie et de l’énergie. Une décennie et quelques controverses plus tard, alors que 90 % des foyers sont désormais équipés de ces boîtiers gris et vert pomme, plus qu’un virage à 180 degrés, c’est un véritable demi-tour qui a été effectué.

Car comme l’avait révélé la Cour des comptes en 2018, dont le Parisien s’est fait écho dans un article publié mardi 1er juin, ce sont au final les usagers qui vont régler l’addition. Permettant au passage à Enedis, en charge de l’opération de mise à niveau, de réaliser un bénéfice net. « C’est un scandale de plus. On ne peut pas s’étonner après, que la parole publique soit tant discréditée, en tenant ce genre de propos qui sont en complète contradiction avec ce qui était dit il y a 10 ans », fustige Éric Bocquet, sénateur communiste du Nord et vice-président de la commission des finances.

Un mécanisme financier en faveur d’Enedis

Selon les calculs réalisés, là aussi, par la Cour des comptes, l’opération de remplacement des compteurs s’élèverait à 5,7 milliards d’euros, soit 130 euros par compteur, incluant leur fabrication et leur pose. Mais comment financer une telle somme, alors qu’EDF est déjà endetté à hauteur de 42,3 milliards d’euros ? En faisant payer le consommateur, contrairement à ce qui avait été initialement annoncé. Dès 2018, l’institution de la rue Cambon avait, en référence au montage mis en place pour financer l’opération, évoqué un « dispositif coûteux pour le consommateur mais avantageux pour Enedis » avec son financement à la charge des usagers intervenant de manière décalée.

En clair, c’est bien Enedis qui finance la majorité de l’opération – 5,39 milliards sur les 5,7 milliards prévus – en puisant 10 % de la somme sur ses fonds propres, le reste au travers d’un emprunt contracté auprès de la Banque européenne d’investissement (BEI), à un taux très avantageux de 0,77 %.

Mais grâce au principe de « remboursement différé », Enedis compte sur les consommateurs pour financer cet emprunt, en reportant sur leurs factures une partie des coûts. L’objectif annoncé, récupérer 2 milliards d’euros d’ici 2030, en engrangeant au passage un bénéfice d’un demi-milliard d’euros. Les taux d’intérêt prévus pour le remboursement sont fixés à 4,6 %, bien plus élevés que les 0,77 % dont la filiale a bénéficié auprès de la BEI.

Les 3,7 milliards restants seront eux financés via les économies que permettra le déploiement des compteurs connectés. Les nouveaux boîtiers pouvant transmettre en direct les données de consommation, EDF n’aura plus besoin d’envoyer ses agents directement sur le terrain pour effectuer les relevés.

Une situation qui fait dire à Fabien Gay, sénateur de la Seine-Saint-Denis et vice-président de la commission des affaires économiques, que les consommateurs sont vus comme des « vaches à lait ». « Si vous ajoutez au coût des compteurs Linky la hausse du tarif réglementé, la libéralisation du secteur de l’énergie, et la taxe CSPE, censée financer les énergies renouvelables et dont on ne sait plus bien si elle le fait… Tout ça mis bout à bout, c’est un nouveau hold-up ! ».

Un sujet qui mobilise au Sénat

A la haute Assemblée, certains sénateurs et sénatrices se sont mobilisés au cours des dernières années pour alerter sur les potentielles dérives que le déploiement massif des compteurs pouvait causer. Avec des critiques relatives à l’impossibilité des usagers de refuser l’installation du compteur. Dans une question écrite transmise au ministère de la Transition écologique en novembre 2018, Fabien Gay demandait « que la liberté de pouvoir refuser l’installation du nouveau compteur, n’entraîne pas la hausse ni du coût de l’abonnement, ni du relevé des compteurs ». Ce à quoi le gouvernement avait répondu que « le dispositif retenu prévoit la mise en œuvre d’un compte régulé de lissage permettant à Enedis d’avancer les coûts du déploiement de Linky qui lui seront ensuite remboursés à partir de 2021 par les économies réalisées à l’aide des compteurs communicants ». En désaccord donc avec le plan actuel qui vise à faire payer 2 milliards d’euros aux consommateurs sur leurs factures.

La même année, Florence Lassarade, sénatrice LR de Gironde, avait déposé un amendement visant à laisser aux consommateurs le choix de refuser librement l’installation du compteur. Un amendement rejeté à l’époque. En mars 2018, elle avait déclaré à Public Sénat : « Lors des auditions à l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), j’ai pu relever à quel point les gens souffraient de cette intrusion dans leurs données personnelles ».

Un avis toujours partagé trois ans après par Gilles Babinet, coprésident du Conseil national du numérique, qui en audition au Sénat le 18 mars dernier déclarait : « Je me suis intéressé à la contestation qui concerne le compteur Linky et la 5G. Là aussi, j’ai participé à un certain nombre de débats sur le terrain. Il en ressort le sentiment de se trouver dans une situation de passivité face à la mise en œuvre de ces technologies et d’être soumis à la verticalité, à la centralité du pouvoir ».

Une verticalité qui fait dire à Eric Bocquet que « quand même, on a eu un passage en force sur le sujet, avec un total monopole d’Enedis qui n’a pas écouté les craintes ». « Dans une démocratie, il faut dialoguer, et la brutalité avec laquelle s’est faite l’installation explique les réactions multiples. Ce n’est pas une méthode acceptable, un vrai problème de démocratie. L’énergie, c’est un sujet vital, on ne peut pas procéder de la sorte » continue-t-il.

Et en février 2018, les députés Cédric Villani et Célia de Lavergne ainsi que le sénateur Gérard Longuet, avaient, au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, remis un rapport concernant « Les enjeux des compteurs communicants ». « Trop opaque pour les consommateurs, l’opération de déploiement de ces nouveaux compteurs aurait mérité une étude d’impact, quantifiée, lisible et publique, ainsi qu’une plus grande prise en compte des attentes et des droits des citoyens » avaient regretté les parlementaires.

La question des données

Des réticences exprimées également par les craintes liées au non-respect des données personnelles des usagers. Le 11 février 2020, la Cnil, le gendarme français du respect de la vie privée, avait mis en demeure EDF et Engie, leur laissant trois mois pour mettre leurs pratiques concernant la collecte des informations des usagers via leurs compteurs Linky en conformité avec la loi.

Il était reproché au géant de l’électricité de ne pas recueillir le consentement de l’usager concernant la collecte de données relatives à sa consommation de manière « libre, spécifique, éclairé et univoque ». Tout en soulignant que la durée de conservation des données était jugée trop longue par rapport aux finalités avancées.

Des petites boîtes grises et vertes avec des finalités et enjeux multiples et complexes, et dont le revirement du gouvernement sur la question de leur financement par les usagers ne fait que renforcer les débats autour de leur déploiement, aujourd’hui massif. Le groupe communiste, très mobilisé sur le sujet, devrait demain interpeller le gouvernement sur le sujet, lors de la séance de questions au gouvernement au Sénat. « Il faut que le gouvernement réponde si oui ou non ce sont les usagers qui vont payer entre 2022 et 2030. […] Quand Eric Besson a pris la parole en 2011, c’était la parole de l’Etat. On ne peut pas revenir comme ça dessus », estime Fabien Gay.

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