Grève dans la psychiatrie hospitalière : « C’est un cri d’alarme ! »

Grève dans la psychiatrie hospitalière : « C’est un cri d’alarme ! »

Confrontés à une « situation catastrophique », les psychiatres des hôpitaux étaient en grève ce mardi. Ils demandent plus de lits, de personnels et des revalorisations. La pédopsychiatrie est aussi touchée. « Il y a une perte de chance très importante pour beaucoup d’enfants », alerte Clotilde Mahaut, cheffe de service à l’hôpital Barthelemy Durand, dans l’Essonne.
François Vignal

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Service après service, c’est tout l’hôpital public qui semble se déliter. Après la pédiatrie, sous l’eau cet hiver du fait d’une épidémie précoce de bronchiolite chez les bébés, c’est au tour de la psychiatrie d’être en crise. La situation n’est pas nouvelle. Ce mardi, les psychiatres hospitaliers étaient appelés à se mobiliser pour dénoncer le « délabrement » du secteur public de la santé mentale.

Les syndicats dénoncent une « situation plus qu’alarmante » et « un abandon de la psychiatrie publique », qui mène à « des difficultés majeures pour soigner nos concitoyens qui souffrent ». Concrètement, il s’agit de moyens insuffisants qui « se caractérisent au quotidien par le manque criant de lits d’hospitalisation complète et des fermetures régulières de centres médico-psychologiques (CMP) ». Une situation liée, comme dans d’autres services, à une pénurie de médecins et d’infirmiers. Selon Norbert Skurnik, président de l’Intersyndicale de défense de la psychiatrie publique (Idepp), faute d’accueil, « rien qu’en Île-de-France, 60 à 70.000 personnes, dont au moins 60 % sont des malades mentaux, errent en dehors de toute institution et de tout domicile », a-t-il expliqué à l’AFP.

Jusqu’à deux ans d’attente pour avoir un rendez-vous en pédopsychiatrie à l’hôpital

La pédopsychiatrie n’est pas en reste face à ces difficultés. « Dans mon service, on vit depuis 10 ans une vraie augmentation des besoins sans augmentation des moyens, avec un accès aux soins extraordinairement problématique pour les petits de moins de 3 ans et les adolescents. Avant, on arrivait à répondre avec un délai raisonnable pour un rendez-vous. Maintenant, on n’y arrive plus. Auparavant, quand on faisait attendre 6 mois un enfant, on était catastrophés. Maintenant, on peut les faire attendre 2 ans… » décrit Clotilde Mahaut, cheffe de service en pédopsychiatrie à l’hôpital Barthelemy Durand, à Etampes, dans l’Essonne. Résultat, « tout s’accentue : les souffrances des jeunes et de leurs familles, les troubles chez les ados, qui sont en grandes difficultés ». La crise du covid-19 est passée par là et n’a rien arrangé. Ce retard pour la prise en charge n’est pas sans conséquence. Aujourd’hui, Clotilde Mahaut alerte :

La situation est catastrophique. Il y a une perte de chance très importante pour beaucoup d’enfants. Et le tableau ne fait que s’amplifier malgré nos demandes pour nous faire entendre.

Il peut en résulter un retard de développement, lié à des diagnostics de trouble du spectre de l’autisme. « Si on ne peut pas donner de soin et une rééducation, le langage ne se met pas en place, comme la communication et l’apprentissage. Ils ont du mal à s’inscrire dans leur famille ou une institution comme l’école », détaille la pédopsychiatre, qui est basée dans le centre médico-psychologique de Grigny. Pour la pédopsychiatrie, la spécialiste insiste surtout sur les besoins en « ambulatoire ».

« Comme il n’y a plus de lit disponible dans les hôpitaux, on est obligé d’attacher des patients au brancard, en salle d’attente, le temps qu’une place se libère »

Clotilde Mahaut, qui fait aussi des gardes en psychiatrie adulte, voit bien « se dégrader la prise en charge pour les patients, avec moins de personnel, donc moins de possibilités de passer du temps, donc plus de mesures qui pourraient paraître coercitives, soit de contention, soit en chambre d’isolement ».

Les médecins en arrivent même à aller plus loin, dans certains cas, aux urgences. « Comme il n’y a plus de lit disponible dans les hôpitaux, pour éviter que le patient se mette en danger ou fasse mal aux autres, on est obligés de l’attacher au brancard, en salle d’attente, le temps qu’une place se libère. Les gens se sentent persécutés, on aggrave la pathologie. Ce n’est pas tous les jours, mais c’est symptomatique de la situation », raconte la cheffe de service.

« La psychiatrie est vraiment le parent pauvre de la médecine »

Au Sénat, Annie Le Houerou a tenté d’alerter le ministre de la Santé, François Braun, sur la situation. La sénatrice PS des Côtes-d’Armor l’a interrogé le 17 novembre, lors des questions d’actualité au gouvernement. « 30 % des postes de psychiatres hospitaliers sont vacants et le nombre de postes d’infirmiers non pourvus a doublé entre 2019 et 2022 », pointait la socialiste, regrettant que « le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2023 n’apporte aucune mesure pour sortir la psychiatrie de cette situation ». « Les personnels de psychiatrie exercent dans des conditions difficiles, qui se sont encore accentuées » avait reconnu François Braun, qui rappelait « les Assises de la psychiatrie et de la santé mentale » en 2021, où Emmanuel Macron avait promis 800 postes en centres médico-psychologiques – largement insuffisant selon les syndicats – et le dispositif « MonPsy », qui facilite l’accès à des psychologues cliniciens.

« La psychiatrie est vraiment le parent pauvre de la médecine », lance ce mardi Annie Le Houerou, « nous manquons de beaucoup de spécialistes, et parmi eux, de beaucoup de psychiatres », souligne la socialiste, qui pointe le manque de « prévention ».

Pour cette ancienne maire, les difficultés se retrouvent ensuite à de nombreux niveaux, que ce soit pour « les étudiants », encore plus en difficulté depuis le covid-19, « dans le monde du travail, où on a une situation de mal-être au travail très élevé », ou dans la rue, avec des personnes qui se retrouvent SDF. « Il y a des difficultés de prise en charge et des personnes se retrouvent dans la rue. Ils sont exclus du monde du travail, voire de leur famille », souligne la sénatrice PS.

« La psychiatrie publique est abandonnée »

Les communistes aussi ont exprimé leur soutien au mouvement de grève, comme la sénatrice PCF Laurence Cohen. « Depuis des années, la psychiatrie publique est abandonnée. Suppression de lits dans les hôpitaux, fermetures de CMP, manque de personnel. Défendons ensemble la psychiatrie de secteur et la qualité des soins ! » lance la sénatrice PCF du Val-de-Marne. Soutien exprimé aussi par le numéro 1 du PCF, Fabien Roussel.

Sur tous les bancs de la Haute assemblée, on est conscient de la gravité. « C’est évidemment un constat qu’on fait depuis plusieurs années. Ce n’est pas nouveau que la psychiatrie est en difficulté, sauf que la pandémie en a rajouté, avec plus de patients et moins de lits, moins de médecins et d’infirmiers », ne peut que constater aussi la sénatrice (rattachée LR), Corinne Imbert. « On manque aussi de pédopsychiatrie dans le pays. J’avais présidé une mission d’information du Sénat sur le sujet, rapportée par l’ex-sénateur Michel Amiel », rappelle la sénatrice de Charente-Maritime, qui ajoute : « C’est un cri d’alarme. Les psychiatres tirent la sonnette d’alarme ».

« Si tout le monde est en burn out, on ne peut plus soigner personne »

Corinne Imbert rappelle que la situation de cette spécialité n’est pas un cas isolé. « C’est tout notre système de santé qui est à genoux, avec des professionnels épuisés », constate la sénatrice du groupe LR, « c’est un cri de désespoir par rapport à leurs conditions de travail qui ne permettent pas de bien prendre en charge leurs patients ». Et « évidemment, il y a l’effet Ségur, qui fait que tout le monde redemande une revalorisation de salaire, car on voit bien des professionnels quitter l’hôpital, d’où la fermeture de lits. Ou certains préfèrent travailler comme intérimaires quand ils souhaitent s’exonérer d’astreintes, de gardes ».

Au sujet des départs, Clotilde Mahaut est par exemple à la recherche pour son service « d’assistants », c’est-à-dire de médecins qui sortent de l’internat. Mais « le service public ne fait plus rêver, du fait de la différence de salaire avec quelqu’un qui s’installe en libéral. Il y a deux ans, un assistant est parti car la charge de travail était trop importante ». Sans parler des « infirmiers, qu’on a énormément de mal à recruter ». Ses équipes se retrouvent logiquement sous pression. Mais « si tout le monde est en burn out, on ne peut plus soigner personne. Il faut garder du sens, et si on perd le sens, il y a souffrance au travail et on s’arrête », met en garde le pédopsychiatre de l’hôpital Barthelemy Durand.

« La santé mentale est encore un gros tabou »

Après la manifestation devant son ministère, François Braun a fait savoir qu’il était « très attentif à la situation de la psychiatrie publique et a fait de cette thématique l’une de ses priorités, notamment pour ce qui concerne l’amélioration des conditions de travail », a assuré son entourage à l’AFP. Le ministre de la Santé s’est engagé à rencontrer les représentants du secteur « dans les prochaines semaines ».

Les soignants, comme l’opposition, attendent du concret. « Je ne vois pas de signe fort qui montre qu’on va mettre le paquet sur la formation des psychiatres », s’inquiète Annie Le Houerou, alors qu’« on entend des appels à l’aide de plus en plus fort ». Pour compliquer la situation, le rapport à ces questions est loin d’être évident dans la société. Au fond, pour la sénatrice PS, « la santé mentale est encore un gros tabou », « car il y a une peur de ce type de maladie. Et peut-être car on ne les comprend pas ».

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