« L’opéra à l’école, une façon d’apprendre aux enfants à se tenir droit face à leur destin » la leçon de vie de cet enseignant de ZEP

« L’opéra à l’école, une façon d’apprendre aux enfants à se tenir droit face à leur destin » la leçon de vie de cet enseignant de ZEP

Pendant deux ans, Gilles Vernet a monté avec ses élèves de primaire un ambitieux projet d’opéra. Un projet soutenu par l’Opéra de Paris, qui bouleversé la vie de ces enfants et de leur maître. Que sont-ils devenus ? Cinq après, rencontre avec ce professeur aussi affectueux qu’ambitieux avec les enfants dont il s’occupe.
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Par Pierre Bonte-Jospeh

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C’est un maître atypique. Depuis 15 ans qu’il a quitté le monde de la finance, Gilles Vernet, enseigne dans une école primaire du 19e arrondissement de Paris. Confiance en soi, expression corporelle, pratique artistique exigeante, confrontation au « beau », voilà comment cet enseignant motive ces élèves, pour les amener à se dépasser.

À la fin de votre film A nous l’Opéra, on voit Fatoumata, Olivier, Cheick, Ella, Amir et tous les autres élèves de votre classe de CM2 sur scène pour la représentation d’Icare et le taureau blanc, les avez-vous revus depuis ?

Oui, nous nous sommes revus au mois de janvier dernier. Aujourd’hui ils ont 15 ans. Tous les élèves ou presque sont venus à ces retrouvailles. Une de mes élèves est même revenue d’Israël pour l’occasion. Nous avons gardé un lien fort. C’était très émouvant de nous revoir. Ce projet d’opéra à l’école a été un cheminement créatif hors normes ; qui s’est déroulé sur deux années, c’est rare, et ça a débouché sur un spectacle écrit, dansé et chanté par les enfants. Ça a bouleversé nos vies. La leur, comme la mienne.

 

Olivier aujourd'hui à la Femis
"À nous l'opéra" de Gilles Vernet

Au-delà du plaisir immédiat de jouer sur scène, ce projet a-t-il modifié leur vie ?

Oui, pour au moins 8 d’entre eux cette expérience a ouvert le champ des possibles. L’une est actuellement à l’école des métiers d’art Boulle. Un autre est entré à la prestigieuse école de cinéma : la Femis. Il s’agit d’Olivier, ce garçon qui dans le film nous raconte du haut de ses 10 ans combien l’écriture est un soulagement et une voie d’expression de ses émotions et des idées, qu’il a du mal à exprimer de vive voix de peur de se tromper.

C’est vrai que cette expérience leur a prouvé qu’il était capables ensemble, d’écrire des textes superbes, de réaliser de belles choses, de sortir du face-à-face asséchant avec les écrans, de se concentrer, de sortir de la valse aliénante du monde qui nous entoure.

J’ai un autre exemple celui de Fatoumata. Elle qui avait des difficultés scolaires, dansait très bien, ça l’a légitimé dans le groupe. Elle qui était dans une forme de rébellion, elle a bluffé ses camarades. Aujourd’hui si elle n’a pas pu continuer la danse, comme je l’espérais, elle suit un parcours classique, elle est en seconde générale. Ça n’avait rien d’écrit, rien d’évident. Elle m’a confié qu’à son arrivée au collège elle sentait mieux armée, qu’elle sentait qu’elle avait plus de culture que les autres. L’opéra y a contribué.

 

Les enfants ont du talent alors ?

Oui j’en suis convaincu. Mais n’en doutez pas, si ce projet a été aussi réussi, il le doit aussi à l’investissement des adultes. Je pense à Sophie Ménissier ou Sébastien Dutertry. On a jamais autant travaillé. On a été chercher le meilleur des enfants. On a fait acte d’autorité à toutes les étapes. Si on avait laissé le choix aux enfants, ils n’auraient jamais choisi l’Opéra, jamais on ne serait arrivés là. Ni eux, ni nous.

Je sais que ça peut paraître à contre-courant de la bienveillance béate que beaucoup portent en drapeau, mais je pense que seule elle n’est pas suffisante. Je pense que son corollaire c’est l’exigence. Il faut aller les chercher le meilleur.

 

Danse
"À nous l'opéra" de Gilles Vernet

Qu’est-ce que leur a permis la pratique de la danse ? Et du chant ?

Au départ, c’est dit dans le film, les enfants surtout à cet âge peuvent être mal à l’aise avec l’expression corporelle. C’est un âge goure. Lorsqu’on leur demande de bouger, il y a la honte, les rapports filles garçons à dépasser. L’art permet de sublimer tout cela, de le dépasser.

Pendant les deux années du projet ils ont été confrontés au beau. On a vu la Traviata, Orphée…On ne va pas se cacher que certains ont dormi, mais l’opéra c’est aussi un vertige, une expérience qui vous bouleverse.

 

Qu’ont-ils gardé de leur pratique d’expression corporelle ?

Avec ce projet les enfants auront surtout appris une chose. C’est à se tenir droit, solides sur leurs appuis pour faire à leur destin, à son sort.  Et  je sais que dans ces quartiers populaires, parfois les vies sont difficiles. Et puis j’ajouterai qu’il faut aussi les aimer ces enfants, les valoriser, les encourager, souvent dans leur environnement ça peut manquer. Il faut qu’ils soient fiers pour les bonnes raisons, parce qu’ils ont réussi.

 

Fatoumata Danse
Fatoumata
"À nous l'opéra" de Gilles Vernet

Avez-vous mené de projets similaires depuis ?

Je n’ai pas fait de projets aussi ambitieux depuis, mais avec mes élèves on continue cette pratique de chant, de danse, mais à plus petite échelle. On écrit des chansons, et on réalise des clips. Un projet aussi ambitieux que l’opéra nécessite des moyens, des compétences et des espaces dont on ne dispose pas forcément en dehors du partenariat tel qu’on l’a eu avec l’opéra de Paris.

De cette expérience, j’ai aussi gardé une pratique de la méditation. Au début de chaque journée j’invite mes élèves à se concentrer sur eux, à respirer, et c’est toute la classe qui se met au diapason.

 

Que nous enseigne cette période de confinement qui empêche enseignants et élèves d’être ensemble ? La distance nuit-elle aux enseignements ?

Oui la période est particulièrement difficile pour les enfants. L’accès au numérique, la solitude face à l’enseignement. C’est une question sociale, mais aussi de maturité. Les enfants les plus autonomes s’en sortent, les autres plongent.

Mais si cette période a une vertu c’est qu’elle replace la confrontation, l’échange, le contact au cœur de l’enseignement. À distance difficile de ressentir la difficulté d’un élève, de calmer une saute d’humeur, à distance impossible  pour l’élève de s’adresser à son maître de façon simple et directe comme c’est possible parfois dans le quotidien d’une classe. On est ensemble huit heures par jour quand même. Vivement qu’on se retrouve.

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