Rejet du CETA au Sénat : quels sont les scénarios pour la suite ?

Rejet du CETA au Sénat : quels sont les scénarios pour la suite ?

Au-delà de la dimension politique évidente, le refus de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada par les sénateurs pose des questions sur l’avenir de l’accord. À ce stade, le vote du Sénat ne devrait pas signifier un coup d’arrêt dans l’application provisoire de cet accord.
Guillaume Jacquot

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C’est non. Ce jeudi 21 mars, une majorité importante au Sénat a voté, dans un climat houleux, contre la ratification du Ceta, l’accord économique et commercial global signé en octobre 2016 entre l’Union européenne et le Canada. Accord mixte, c’est-à-dire comprenant à la fois des dispositions relevant des compétences exclusives de l’Union européenne, mais aussi des compétences partagées avec les États membres, le Ceta doit recueillir une ratification par l’ensemble des parlements des 27 États membres pour être pleinement mis en œuvre. Approuvé par le Parlement européen et 17 Etats membres à ce jour, l’accord est entré provisoirement en vigueur depuis septembre 2017.

Et maintenant ? Le rejet au Sénat est loin de signifier la fin de l’histoire pour l’application provisoire de ce traité commercial. Déjà lors de l’examen commission des affaires étrangères, certains sénateurs se questionnaient sur les conséquences d’un tel rejet.

Une navette parlementaire à l’issue plus que précaire

À ce stade du parcours législatif, l’Assemblée nationale et le Sénat actent un désaccord sur le projet de loi de ratification, la première ayant voté pour en juillet 2019 à une courte majorité. C’était avant la perte de la majorité absolue pour le camp présidentiel en juin 2022. Un retour du projet de loi devant les députés se solderait, quasiment à coup sûr, par un rejet.

Le gouvernement a dans sa main plusieurs options. Il peut demander à l’Assemblée nationale d’examiner le texte en deuxième lecture. Interviewé le 18 mars sur France Info, le ministre du Commerce extérieur, Franck Riester n’en menait pas large au sujet de l’avenir du texte. « S’il n’est pas voté au Sénat, il faudra voir de quelle manière le processus parlementaire continue », s’interrogeait l’ancien ministre des Relations avec le Parlement. Hier soir, Franck Riester est resté évasif, sur le calendrier : « Dans le semaines et mois qui viennent, nous avons besoin d’alimenter le débat, de donner des éléments concrets pour que, le moment venu, l’Assemblée nationale puisse de nouveau se prononcer sur la ratification de cet accord ».

« Mais il peut aussi ne rien faire », rappelait aux sénateurs le président de la commission des affaires étrangères, Cédric Perrin (LR). C’est dans les faits ce qu’il s’est produit de l’été 2019 jusqu’à aujourd’hui. De report en report, l’exécutif a finalement joué la montre pour s’éviter un vote à haut risque. « Le gouvernement craignait un débat difficile au Sénat et il avait raison. Il redoutait surtout que le texte ne puisse être adopté par l’Assemblée nationale en cas de deuxième lecture », expliquait en commission le rapporteur Pascal Allizard (LR) le 13 mars.

Le projet de loi de ratification n’est revenu dans l’agenda qu’à l’initiative du groupe communiste, qui l’a inscrit dans sa journée réservée dans l’objectif d’obtenir le rejet du texte. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, un groupe à l’Assemblée nationale pourrait user du même procédé. Et c’est bien ce qu’il va se passer puisque les députés communistes annoncent vouloir imiter leurs homologues sénateurs, en inscrivant le projet de loi dans leur espace réservé du 30 mai, à seulement dix jours des élections européennes. Riche d’enseignements, la séance au Sénat du 21 mars montre qu’il n’est pas du tout assuré que la séance se déroule sans accidents, ni que l’examen s’achève dans les temps. Certains députés pourraient être tentés de jouer la montre pour éviter un nouveau vote, très mal engagé pour le gouvernement.

Les suites incertaines d’un refus de ratification par le parlement d’un État membre

Il suffirait d’un rejet par un Parlement national pour menacer l’application provisoire du CETA depuis 2017. Il existe un précédent : le non du Parlement chypriote (monocaméral) en juillet 2020. Mais le gouvernement de Chypre n’a pas notifié ce rejet à l’Union européenne. Le gouvernement chypriote envisagerait une nouvelle délibération, mais redoute un nouveau vote négatif. C’est également une possibilité qui pourrait s’ouvrir pour le gouvernement français.

Ne pas notifier la décision revient à dire en quelque sorte qu’il n’y a pas de dénonciation définitive de l’accord, et ce dernier pourrait donc continuer à s’appliquer provisoirement. Plusieurs sénateurs sont arrivés à la conclusion qu’un statu quo pourrait s’installer après leur vote. « En France, la position finale relève du gouvernement, qui choisira ou non de notifier à la Commission européenne le résultat du vote », analysait le sénateur Didier Marie lors des débats en commission des affaires étrangères au Sénat, la semaine dernière.

« Les conséquences d’un refus d’autoriser la ratification par le Parlement sont incertaines », notait également le sénateur (LR) Laurent Duplomb dans son rapport rendu pour la commission des affaires économiques. Interrogée, la Commission européenne a indiqué que la Cour de justice de l’UE n’avait jamais eu à se prononcer à ce sujet. L’exécutif européen a également souligné : « Il appartient à l’État membre concerné d’apprécier si l’absence de ratification est définitive et qu’il n’a plus l’intention de poursuivre la ratification de l’accord au niveau national. »

Hier au Sénat, l’écologiste Yannick Jadot a mis en garde l’exécutif contre toute tentation d’imiter les Chypriotes, oubliant au passage que la navette n’est pas encore terminée : « Si le gouvernement refuse de notifier à la Commission le rejet du Sénat, à ce moment-là, il fait complètement le jeu du Rassemblement national, c’est un déni de démocratie », s’est exclamé le sénateur.

Notons également qu’en novembre 2022 la Cour suprême irlandaise a considéré que la Constitution irlandaise ne permettait pas au Parlement de ratifier l’accord en l’état.

Un signal politique en Europe

Le « non » du Sénat pourrait donc avoir peu de conséquences sur l’application du Ceta. En pleine campagne pour les élections européennes, les retombées seront essentiellement politiques, à l’échelle nationale national tout d’abord, tout revers au Parlement n’étant jamais très heureux pour le gouvernement. Idem au niveau européen. Le vote au Sénat sera certainement scruté dans toutes les capitales européennes et mettra le gouvernement français dans une position embarrassante vis-à-vis de ses partenaires.

Dans une moindre mesure, le vote pourrait également inciter certains investisseurs à la prudence, dans le développement de leurs échanges avec le Canada. « Ça serait un terrible message envoyé à tous nos exportateurs français, nos viticulteurs, nos producteurs de lait qui sont contents de trouver des débouchés au Canada. Un très mauvais signal aussi pour d’autres industries qui utilisent par exemple les minéraux critiques achetés au Canada », considérait ce lundi Franck Riester. Hier soir, la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux a par exemple dénoncé un rejet « totalement surréaliste », qui portera « mauvais coup à l’ensemble de la filière ».

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