Crise politique au Venezuela : “Non, ce n’est pas un coup d’État, mais une transition démocratique” pour Renée Fregosi politologue

Crise politique au Venezuela : “Non, ce n’est pas un coup d’État, mais une transition démocratique” pour Renée Fregosi politologue

Juan Guaido président de l'Assemblée nationale vénézuélienne s’est autoproclamé mercredi 23 janvier « président par intérim » du Venezuela. Une fronde, au régime contesté de Nicolas Maduro, qui a reçu le soutien des États-Unis, et du Brésil notamment de son côté Nicolas Maduro a demandé à l'armée de maintenir l'ordre et l'unité du pays.
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Par Juliette Beck

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Réélu en janvier dernier Nicolas Maduro est contesté par une grande partie de la population vénézuélienne qui le considère comme illégitime. Le 23 janvier, date anniversaire de la chute en 1958 du régime dictatorial mené par Marcos Perez Jiménez, l’opposition a décidé de se soulever en nommant l’actuel président de l'Assemblée nationale président par intérim. Pour comprendre les retombés politiques d’un tel évènement nous avons interrogé Renée Fregosi, philosophe et politologue. Cette spécialiste de l’Amérique latine dénonce depuis des années la dictature de Maduro. Une interview précédée du documentaire "les résistants, le combat des exilés vénézuéliens" un film de François-Xavier Freland.

Les résistants, le combat des exilés vénézuéliens - Documentaire (24/11/2018)
54:56

 

Hier le président de l'Assemblée nationale vénézuélienne, principale force d’opposition à Maduro, s’est autoproclamé « président en exercice », est-ce un coup d’État ?
Non ce n’est pas un coup d’État, d’abord ce n’est pas un homme seul, le président de l’Assemblée nationale est le représentant de la majorité à l’Assemblée, qui a été élu en décembre 2015 et c’est une assemblée qui est légitime bien qu’elle ne soit pas reconnue par le pouvoir exécutif. Une assemblée qui n’a donc pas pu légiférer réellement depuis qu’elle est installée en janvier 2016. Juan Guaido c’est un jeune leader du mouvement Voluntad popular, le parti est membre de l’internationale socialiste. Ce n’est pas du tout une initiative personnelle ce n’est pas un "pronunciamiento" (N.D.L.R. : coup d'État porté par l'armée) avec une force armée derrière, c’est un représentant légitime face à un pouvoir qui ne l'est pas. On est dans une situation de crise politique très grave et l’opposition n’est pas parvenue jusqu’à ce jour à contraindre le pouvoir exécutif nettement minoritaire dans le pays à s’asseoir à la table des négociations. Car il s’agit pour l’opposition de mettre en place une transition démocratique. C’est-à-dire une sortie pacifique et négociée à une dictature. Ce n’est pas du tout un coup d’État. Le problème, c’est que pour faire une négociation, il faut être deux et le "pouvoir exécutif illégitime" refuse de négocier sa sortie pacifique du pouvoir par l’organisation de nouvelles élections démocratiques.

Avec cette nouvelle redistribution politique, le Venezuela a-t-il une chance de sortir de la crise que le pays traverse ou cela peut l’aggraver ?
Non la situation ne peut pas s’aggraver. D'abord parce qu'il n’y a pas pire que la situation actuelle de blocage. L’opposition au gouvernement en place, est majoritaire dans le pays, elle est de plus en plus soutenue internationalement et elle a gagné dans une élection non-libre, en surmontant tous les obstacles, la majorité absolue aux élections de décembre 2015. On a donc une opposition politique qui devrait être la majorité, qui devrait être au pouvoir et qui ne l’est pas à cause d’un gouvernement autoritaire qui s’appuie sur Cuba et sur les forces armées pour se maintenir au pouvoir. Ce petit coup de "putsch politique" s’appuie sur une grande manifestation symbolique le 23 janvier dernier, date anniversaire de la chute du dictateur Marcos Perez Jiménez. Ces manifestations sont traditionnelles au Venezuela depuis l’aire démocratique, c’est-à-dire depuis le 23 janvier 1958. On y commémore la chute de la dictature, et la démocratie vénézuélienne s'est construite là-dessus, sur l’unité démocratique et républicaine autour du refus de la dictature. Donc il y a une portée symbolique très forte, c’est pour ça que l’opposition a choisi ce jour-là pour tenter une nouvelle ouverture vers le pouvoir autoritaire en place, pour négocier.

Peut-on y voir ici un nouveau souffle démocratique, qui débouchera peut-être sur des élections « libres et crédibles » comme le préconise l’Union européenne ?
Je ne sais pas, mais en disant cela l’Union européenne dit à mot couvert, parce qu’ils ne veulent pas braquer Cuba, la Russie et Erdogan qui soutiennent Maduro, l’alliance de tous les autoritaires. L’Union européenne reste prudente, mais en disant nous sommes pour une « élection libre » et bien elle soutient l’opposition puisque c’est la position de l’opposition. Et le président de l'Assemblée nationale s'est proclamé président par intérim justement pas président de la République en titre, mais bien président par intérim et cela veut dire organisateur. Il prend acte que le président n’est pas légitime parce qu’il a été réélu de façon antidémocratique. En revanche l'Assemblée nationale elle est légitime parce qu’elle est majoritaire et représente la majorité du peuple vénézuélien, et donc institutionnellement en tant que second personnage de la république, il déclare la vacance de la présidence et donc un intérim qui à pour but d’organiser de nouvelles élections libres.

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L’adoubement presque immédiat du président américain Donald Trump, est-il un signe de l’influence de Washington sur le Venezuela comme cela a pu être le cas auparavant ?
C’est le jeu classique de la droite internationale et cela fait beaucoup de mal à l’opposition vénézuélienne parce que toute cette droite de Trump à Bolsonaro se montre solidaire avec l’opposition alors que l’opposition est une opposition sociale-démocrate. Donc ils mettent des bâtons dans les roues des démocrates vénézuéliens et de la transition, mais tout cela, ce sont des petits jeux pour tacler Poutine, tacler Erdogan de façon indirecte en se foutant royalement du Venezuela, les États-Unis n'en ont rien à faire du Venezuela.

Maduro a quant à lui décrété rompre ses relations avec Washington et sommé les diplomates américains de quitter le territoire sous 72 heures, mais Trump estime qu’il n’est plus légitime de donner cet ordre. Est-ce que cela peut ouvrir sur une crise diplomatique avec une confrontation ?
Une crise diplomatique ce n’est rien par rapport à la crise humanitaire que vivent les Vénézuéliens depuis des années, ils crèvent de faim, ils meurent de maladie et ils s’exilent parce qu’ils n’en peuvent plus, donc je veux dire qu’une crise diplomatique on en n'a rien à faire et Trump peut dire ce qu’il veut, il s’amuse, il gouverne de façon irresponsable, mais le problème c’est de savoir si finalement les Cubains mais aussi les Iraniens et les Chinois qui ont beaucoup investi au Venezuela, si ces grandes puissances vont enfin laisser le pays tranquille et le laisser faire pacifiquement sa transition démocratique, elle est la vraie question.

 

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