Etat d’urgence sanitaire : le Sénat adopte le texte et impose des «garanties» au «système d’information»

Etat d’urgence sanitaire : le Sénat adopte le texte et impose des «garanties» au «système d’information»

Les sénateurs ont adopté dans la nuit de mardi à mercredi le projet de loi qui prolonge l’état d’urgence sanitaire. Ils ont longuement débattu de la création du « système d’information » pour tracer les malades, mis en place pour les brigades nécessaires au déconfinement. Face aux risques, le Sénat a voulu apporter des « garanties ».
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Après bientôt deux mois de confinement, les cheveux sont un peu plus longs, les mèches parfois rebelles. Mais les débats, même en plus petit comité, sont toujours aussi nourris. Et intenses, comme sur un sujet aussi sensible que le « système d’information », qui sera utilisé par les brigades de lutte contre le Covid-19.

Dans la nuit de mardi à mercredi, à une heure du matin, le Sénat a adopté l’ensemble du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire par 240 voix pour, 25 contre et 80 abstentions (voir le détail du scrutin). La majorité sénatoriale a notamment limité au 10 juillet la prolongation de ce cadre juridique d’exception et a précisé le niveau de responsabilité des maires, pendant l’état d’urgence sanitaire. Les sénateurs ont aussi refusé d'élargir les pouvoirs de constat d’infractions aux agents SNCF, et ouvert les plages et forêts à l’activité sportive individuelle (lire ici pour plus de détails sur les apports du Sénat).

Les députés vont dès ce mercredi matin s’emparer du texte, avec un examen en commission, suivi de la séance. « Je porterai une grande attention à ce que les conditions puissent être réunies, qui puissent autoriser l’espoir d’une commission mixte paritaire qui soit conclusive » a assuré le ministre de la Santé, Olivier Véran, à l’issue du vote. Il s’est félicité que « l’essentiel a été maintenu ». Un accord entre députés et sénateurs permettra une adoption plus rapide du texte par le Parlement d’ici la fin de la semaine. Il y a urgence. Le déconfinement commence la semaine prochaine.

Le système d’information, « dispositif central » du texte

La soirée a été occupée par ce fameux système d’information. « C’est le dispositif central du déconfinement ». En quelques mots, le président de la commission des lois du Sénat, Philippe Bas, a cadré le débat. Un débat long, qui a opposé deux camps. Si tous ont le même objectif – vaincre l’épidémie – le moyen pour y parvenir n’est pas partagé.

Une majorité de sénateur a néanmoins apporté son soutien au dispositif voulu par le gouvernement, par 278 voix pour, 29 contre et 41 abstentions (voir le détail), non sans lui apporter quelques « garanties » supplémentaires.

Plus de « 100.000 » personnes pourront en « théorie » composer les brigades, selon Olivier Véran

Ces brigades seront chargées de remonter les « cas contacts », si une personne est atteinte du Covid-19. Par dérogation au secret médical, des non-médecins, tels des salariés de l’Assurance maladie, auront accès aux données de santé du fichier. Des milliers de personnes sont nécessaires pour former la brigade. Elles devront appeler les personnes contaminées pour remonter les chaînes de contamination, tester et mettre en quatorzaine.

« Quel nombre pour les brigades ? » a demandé Bruno Retailleau, président du groupe LR. 5.000 ? 15 ou 30.000 ? « Tout dépend du périmètre dont on parle » selon le ministre, qui ne veut pas donner de chiffre précis. « Si on parle de l’ensemble des professionnels de santé amenés à faire du suivi épidémiologique, le traçing des patients, c’est potentiellement la totalité des médecins libéraux et hospitaliers, les milliers de salariés de l’Assurance maladie et tous les salariés des agences régionales de santé (ARS) qui sont mobilisables. Ce qui fait un nombre bien au-delà de 100.000 personnes. Ça, c’est la théorie » avance Olivier Véran. Regardez :

Plus de « 100.000 » personnes pourront en « théorie » composer les brigades de lutte contre le coronavirus, selon Olivier Véran
03:32

Le système est composé de trois niveaux. Le niveau 1, ce sont tous les médecins généralistes notamment. Ils sont « extrêmement nombreux ». Mais si on ne prend que le niveau 2, avec la brigade propre à l’Assurance santé, là, « 3.000 personnes sont prévues ». En ajoutant le niveau 3 des ARS, on complète avec « plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de personnes ». En moyenne, l’idée est d’avoir « un salarié mobilisé par jour pour 15 personnes », « c’est-à-dire qu’une personne peut occuper sa journée à s’occuper d’un cas et de ses proches ».

Les six garanties du Sénat

Si le Sénat a symboliquement rejeté le plan de déconfinement lundi, il a cette fois soutenu l’exécutif. Pour le président de la commission des lois, et rapporteur, il n’y a pas le choix. « Si vous voulez le déconfinement, il faut pouvoir identifier les personnes contaminées pour qu’elles acceptent de s’isoler, et qu’on évite la propagation du virus » a soutenu Philippe Bas (voir la première vidéo). Reste que « les questions posées sont considérables », notamment en termes de libertés individuelles.

C’est pourquoi « la commission des lois et des affaires sociales ont voulu accumuler les garanties » explique le sénateur LR de la Manche. Elles sont au nombre de « six » : « La mise en place d’une instance indépendante chargée d’auditer le fonctionnement du système », « un droit d’opposition » pour « ne pas être maintenu » dans le système pour une personne désignée à tort comme ayant été en contact avec un malade, « ne pas mettre d’information médicale autre que "testé positif" ou "testé négatif" au Covid-19 » afin de ne pas intégrer les comorbidités (d’autres maladies du type diabète ou problèmes cardiovasculaires) comme le veut le gouvernement, ou encore des données anonymisées si elles sont utilisées pour la recherche.

Autre exigence : les sénateurs s’opposent à la possibilité, donnée dans le texte, de légiférer par la suite par ordonnance sur le sujet. Et enfin, Philippe Bas veut explicitement ne « pas faire rentrer » dans ce texte « l’application Stop Covid. Ça n’a rien à voir. Nous voulons que les choses soient étanches », « nous ne ferons pas de chèque en blanc ». L’application pourrait arriver le 2 juin.

« La commission des lois a mis ceinture et bretelle »

Avec ces modifications, le Sénat est « prêt à mettre en œuvre ce système d’information (pour le traçing), car nous comprenons qu’il n’y a pas d’alternative, si nous voulons sortir du confinement. Mais pas à n’importe quel prix » dit Philippe Bas.

« La commission des lois a mis ceinture et bretelle, avec six garanties » résume Bruno Retailleau. « Nous en ferons un des points fondamentaux pour un accord éventuel en commission mixte paritaire », a prévenu le président du groupe LR du Sénat, qui parle du virus comme d’une « saloperie contagieuse ».

Olivier Véran ne veut pas rester « dans l’artisanat »

Défendant son texte, le ministre de la Santé, Olivier Véran, a souligné que « si on n’a pas un outil numérique digne de ce nom dans notre pays pour remonter les chaînes de contamination, on va rester dans l’artisanat et ça ne rendra pas service aux gens ». Manière d’évoquer le début de l’épidémie, où le traçage était réalisé par téléphone dans les clusters, et sans fichier national.

Il a semblé ouvrir la porte, voire tendre la main au Sénat, vers des convergences sur le texte. Il n’est « pas opposé » à une instance indépendante. « Pas de problème » à ce que certaines données n’apparaissent pas dans le fichier. Si le droit d’opposition va jusqu’à ne pas être dans le fichier, ce n’est en revanche « pas possible ». Quant au refus des ordonnances, le ministre « prend acte » et ne « présente pas » d’amendement devant le Sénat pour s’y opposer.

« Conditions pas acceptables »

Tour à tour, les opposants au dispositif, bien représentés notamment au groupe Union centriste, se sont relayés au micro. Pour Catherine Morin-Desailly les « conditions ne sont pas acceptables », elle ne « croit pas à un dispositif réversible ». « Les experts nous alertent sur le traitement de données qui seront stockées à grande échelle sur le data hub de Microsoft. Ce n’est pas une solution souveraine » met en garde la sénatrice UDI de Seine-Maritime. Ce qui n’est pas sans danger : « A tout moment, Microsoft USA peut demander, dans certains cas, les données des européens ».

Pour le sénateur UDI Loïc Hervé, membre de la Cnil, les menaces sont réelles de « passer d’une société de la bienveillance à une société de la surveillance ». Il ajoute : 

Ces grands principes, si nous les faisons sauter une fois, ils sauteront une fois pour toutes. Et je ne crois pas du tout à un retour post-confinement où nous remettrions ces verrous.

Risque de « mettre le doigt dans un engrenage qui, un jour ou l’autre, nous dépasse »

Les centristes ont cependant été rassurés par l’adoption d’un amendement de Philippe Bonnecarrère, membre du groupe UC, et un autre de la socialiste Marie-Pierre de la Gontrie, pour que le décret en Conseil d'Etat mettant en œuvre le système d'information recueille l'avis conforme de la Cnil. Mais le sénateur du Tarn ne comprend pas la nécessité de créer un nouveau « fichier central national » et s’en inquiète. Ce que récuse le ministre, soulignant que l’Assurance maladie a déjà de tels fichiers.

Le groupe PS s’est retrouvé divisé sur le sujet. Une majorité soutient le texte issu de la commission, mais son président Patrick Kanner craint qu’on « mette le doigt dans un engrenage qui, un jour ou l’autre, nous dépasse ». Sur le reste du texte, un amendement du groupe PS plafonnant les frais bancaires pour les plus fragiles a pu être adopté.

La sénatrice écologiste Esther Benbassa, membre du groupe communiste, a ironisé sur la terminologie « religieuse » du terme « brigade d’ange gardien », se demandant si le système ne va pas se résumer à « une usine à gaz ». On devrait s’en rendre très vite compte. Le déconfinement commence dans cinq jours.

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