Laurence Rossignol : « Le gouvernement est composé de quelques ministres anti-féministes »

Laurence Rossignol : « Le gouvernement est composé de quelques ministres anti-féministes »

Laurence Rossignol est en colère. La sénatrice socialiste de l’Oise, ancienne ministre déléguée à la famille, à l’enfance et aux droits des femmes, ne comprend pas les nominations de Gérald Darmanin au ministère de l’intérieur et d’Éric Dupond-Moretti à la Justice. A ses yeux, le gouvernement Castex enterre définitivement la grande cause nationale de l’égalité entre les femmes et les hommes. Entretien
Public Sénat

Par Marion Vigreux

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L’entourage du président de la République annonçait de grosses surprises pour ce remaniement. Des surprises dont visiblement vous vous seriez bien passées ?

Oui à commencer par la nomination de Gérald Darmanin à l’intérieur. Pas tant sur le plan politique, il en rêvait depuis tant d’années, mais sur le plan moral de la fonction.

Gérald Darmanin est mis en cause dans une affaire, en gros si je résume les faits, d’échanges de faveurs sexuelles contre une protection. Donc une affaire sexuelle. Déjà sa présence dans le gouvernement était gênante mais sa présence à la tête du ministère chargé de la sécurité est encore plus troublante. Et ce qui est encore plus gênant, c’est que l’entourage du Président de la République a fait savoir que ce n’était pas un obstacle qu’il soit mis en cause dans une telle affaire. Et donc je suis très contrariée du signal qui est envoyé aux femmes et aux victimes. Et déjà je rappelle que pour les victimes, aller devant la police et devant la justice, porter plainte, expliquer ce qui est arrivé, est déjà un parcours compliqué. Beaucoup renoncent avant même d’avoir commencé parce qu’elles ont peur du parcours. Quel message on envoie à ces victimes quand on leur dit : « Ce n’est pas un problème, le grand chef de la police est lui-même mis en cause mais il pense qu’il s’en sortira très bien. »
Parce qu’en fait, c’est ça le fond de l’affaire.

Laurence Rossignol: "La présence de Monsieur Darmanin à la tête du ministère de l'intérieur est troublante"
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Autre erreur de casting à vos yeux, le choix du très médiatique avocat Éric Dupond-Moretti à la justice. Le ténor du barreau est régulièrement accusé de propos sexistes. Là aussi, vous vous interrogez sur ce choix ?

C’est un sujet différent. Je ne mets pas en cause ni le choix de ses clients, ni qui il défend, tout le monde a droit à une défense.
Tous ceux qui peuvent avoir un bon avocat et bien tant mieux pour eux. Je ne mets pas non plus en cause les propos qu’il tient devant les cours d’assises. Non, je m’en tiens à ses propos publics, hors fonction d’avocat. Et c’est sûr que Dupond-Moretti n’est pas un féministe.
Il a déjà dit tout le mal qu’il pensait de la loi sur l’outrage sexiste et de cette façon qu’on a d’empêcher la séduction de se faire.
En fait, il est sur la ligne de l’appel de Catherine Deneuve.
Donc en ce qui concerne Éric Dupond-Moretti, le nouveau garde des Sceaux, je m’interroge juste. Quelle sera sa détermination à faire appliquer bon nombre de lois qui ont été votées par le passé ? Sur la lutte contre les violences sexistes et sexuelles par exemple.
Ou encore, comment va-t-il faire appliquer la loi sur la pénalisation des clients de la prostitution, la loi contre le proxénétisme ?
Je ne pense pas que ce soit une loi qu’il soutienne beaucoup. Donc de ce point de vue là, j’observe simplement que le gouvernement est composé de quelques ministres anti-féministes assumés et que ces ministres-là occupent des postes clés dans la lutte contre les violences faites aux femmes. 


Emmanuel Macron s’était engagé à faire de l’égalité entre les femmes et les hommes la grande cause de son quinquennat.
Vous y croyez encore ?

On nous avait promis une femme Premier ministre, des femmes dans toutes les fonctions. Résultat, trois ans après, ce sont toujours des hommes qui sont à des postes clés.  Aucun changement là-dessus.
On attendait la grande cause de l’égalité maintenant on sait qu’elle ne viendra pas et qu’elle ne verra pas le jour.

Que pensez-vous de la nomination d’Élisabeth Moreno comme nouvelle ministre déléguée, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes ?

Je la connais peu, c’est un autre profil. Vous savez il y a plusieurs façons d’habiter cette fonction.
Chaque personnalité l’investit différemment. J’attends de voir comment elle va s’en emparer, où est-ce qu’elle va mettre ses priorités, quels liens elle va créer avec le mouvement féministe.
Liens qui ont été très dissolus et très compliqués avec Marlène Schiappa.

Auriez-vous souhaité qu’il y ait un ministère des droits des femmes, plein et entier ?

Maintenant avec mon expérience, je serais favorable à ce que de gros ministères soient présents dans les sujets de l’égalité femmes hommes. Par exemple, je pense qu’on aurait besoin d’un ministère de la justice et des droits des femmes pour mettre en place des tribunaux spécialisés dans les violences sexuelles et sexistes, pour les conflits intra-familiaux. Je suis plutôt favorable à ce qu’un ministre régalien soit également chargé des droits des femmes et surtout de faire évoluer son administration en faveur d’une plus grande égalité.

Le gouvernement Jean Castex doit incarner le nouveau chemin que veut prendre Emmanuel Macron. C’est un chemin qui vous fait envie ?

Je ne vois pas où est le chemin. J’ai l’impression que c’est exactement le même que celui qui est conduit depuis 2017. On a repris les mêmes et on a rajouté des personnalités qui se sont souvent fait connaître pour les prestations télévisuelles. Donc c’est un gouvernement cathodique. Emmanuel Macron s’est pris un bon avocat avec Éric Dupond-Moretti pour sa campagne présidentielle et une femme de culture, Roselyne Bachelot que les Français ont appris à aimer dans le cadre d’émissions qui n’avaient rien à voir avec l’exercice de l’Etat.

"C'est un gouvernement cathodique" dénonce Laurence Rossignol
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