Le Conseil d’Etat suspend l’essentiel de la circulaire Castaner : un camouflet pour l’Intérieur

Le Conseil d’Etat suspend l’essentiel de la circulaire Castaner : un camouflet pour l’Intérieur

Saisi par plusieurs partis d’opposition, le Conseil d’Etat a suspendu les points essentiels de la circulaire du ministère de l’Intérieur : l’attribution des nuances dans les seules communes de plus de 9.000 habitants et les conditions d’attribution de la nuance « liste divers centre ». L’opposition salue « une victoire pour la démocratie ».
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C’est un véritable camouflet pour le ministère de l’Intérieur. Le Conseil d’Etat a pris la décision de suspendre l’essentiel de la circulaire de Christophe Castaner sur les nuances à attribuer pour les élections municipales de 2020. Six recours avaient été déposés, notamment par Les Républicains, le Parti socialiste, Debout la France et des élus communistes.

Selon le communiqué de l’institution, « le juge des référés du Conseil d’État suspend trois séries de dispositions de la circulaire du 10 décembre 2019 : l’attribution des nuances dans les seules communes de 9.000 habitants ou plus, les conditions d’attribution de la nuance « Liste divers centre » et le classement de la nuance « Liste Debout la France » dans le bloc « extrême droite » ».  L’Etat devra par ailleurs verser à chacun des requérants la somme de 2.000 euros.

Le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner et son secrétaire d'Etat Laurent Nuñez ont rapidement réagi par communiqué. Ils annoncent que la circulaire sera « modifiée sans renoncer à répondre aux demandes des élus locaux et à correspondre aux mutations du paysage politique français ».

Second désaveu du gouvernement par le Conseil d’Etat en quelques jours

En quelques jours, c’est la seconde fois que le Conseil d’Etat désavoue le gouvernement, après un avis qui étrille le projet de loi sur la réforme des retraites et son étude d’impact.

Cette circulaire envoyée aux préfets, que le ministre de l’Intérieur n’avait pas rendue publique, mais publiée par publicsenat.fr (voir ici), a créé une vive polémique.L’opposition a accusé la majorité présidentielle de chercher à minimiser, pour ne pas dire masquer, les éventuels mauvais résultat de LREM et de ses alliés aux scrutin local de mars. Cette circulaire « casse le thermomètre », a estimé le président LR du Sénat Gérard Larcher. Le gouvernement a récusé ces accusations.

Revoici l'intégralité de la circulaire du ministère de l'Intérieur :

Le seuil de 9.000 habitants retoqué

La circulaire vise à appliquer un nuançage politique aux listes des seules villes de plus de 9.000 habitants. Ce seuil était jusqu’ici fixé à 1.000 habitants. Pour LREM, qui a tendance à réaliser de meilleurs scores dans les grandes villes qu’en zones rurales, cette règle permettrait de gonfler artificiellement ses résultats.

Sur ce point, le Conseil d’Etat a repris l’argument des partis d’opposition. « Le juge des référés a relevé qu'une telle limitation conduit, dans plus de 95% des communes, à ne pas attribuer de nuance politique et exclut ainsi de la présentation nationale des résultats les suffrages exprimés par près de la moitié des électeurs », peut-on lire dans l'ordonnance. Soit environ 20 millions de personnes…

Il souligne que les maires de ces petites communes ont souvent une couleur politique. Si dans « plus de 80% des listes présentes dans ces communes, les nuances attribuées lors des élections municipales de 2014 ne correspondaient pas à celles d’un parti politique, (…) pour les trois quarts d’entre elles, il avait été possible d’attribuer des nuances intitulées "divers droite" et "divers gauche" ».

En conséquence « l’erreur manifeste d’appréciation dont (la circulaire) est entachée », en raison de ce seuil de 9.000 habitants, « est propre à créer (…) un doute sérieux quant à sa légalité »… D’autant que l’objet de la circulaire est « d’analyser le plus précisément possible les résultats électoraux », rappelle le Conseil d’Etat dans sa décision. Ce que ne permet pas un seuil fixé à 9.000 habitants. « Le juges des référés du Conseil d'État en a déduit qu'une telle limitation ne pouvait être appliquée, au regard de l'objectif d'information des citoyens poursuivi par la circulaire » explique le communiqué. Ce sont ces chiffres du ministère de l’Intérieur qui permettent, le soir des élections, aux médias de donner les résultats globaux du scrutin. Et donc d’en faire la lecture et l’analyse politique.

La création de la nuance « divers centre » « contraire au principe d’égalité » entre les partis

Les suspicions de l’opposition ont été renforcées par la création d’une nuance « divers centre ». Selon la circulaire, elle concerne « les listes d’union entre plusieurs partis dont au moins LREM ou le Modem » ainsi que les « listes de candidats qui, sans être officiellement investies par LREM, ni par le Modem, ni par l’UDI, seront soutenues par ces mouvements ». Une description qui colle parfaitement à la stratégie mise en place par LREM pour les municipales, où le flou existe dans certaines communes. Toutes ces listes « divers centre » seraient comptées dans le bloc présidentiel, alors que certains candidats ne s’en revendiquent pas toujours clairement.

Un deux poids, deux mesures, estime en substance le juge, qui souligne « que le soutien d'un parti de gauche ou d'un parti de droite à une liste ne permet pas de prendre en compte ses résultats au titre respectivement des nuances « divers gauche » et « divers droite » ». Le juge du Conseil d’Etat y voit par conséquent une « différence de traitement (…) entre partis politiques », ce qui est donc « contraire au principe d’égalité » et crée là aussi, « un doute sérieux quant à la légalité » de la circulaire.

Les listes Debout la France ne seront pas classées « extrême droite »

Quant au classement de la nuance « Liste Debout la France » dans le bloc de clivage « extrême droite », le juge souligne « qu'un tel classement ne s'expliquait que par le soutien apporté par le président de « Debout la France », à l'issue du premier tour des élections présidentielles de 2017, en faveur de la présidente du Rassemblement national, et n'avait pas pris en compte, notamment, le programme de ce parti et l'absence d'accord électoral conclu avec le Rassemblement national », souligne le communiqué.

Dans le détail de la décision, le juge ajoute qu’il n’a pas non plus été pris en considération le fait que les élus de Débout la France, lors des élections européennes, « ne siègeraient pas dans le même groupe que les élus du RN, mais siègeraient dans le groupe des conservateurs britanniques et polonais ». Le Conseil d'État estime ainsi que le classement de la nuance « Liste Debout la France » (LDLF) dans le bloc de clivage « extrême droite » « ne s'appuyait pas sur des indices objectifs ».

« Encore un désaveu cinglant et mérité pour Emmanuel Macron »

L’annonce de la décision du Conseil d’Etat a rapidement été saluée par les membres de l’opposition. Pour eux, c’est une forme de victoire. « Le Conseil d’Etat condamne la manipulation du scrutin et l’effacement des résultats de 97% des communes. Non, Monsieur le Président, on ne tripatouille pas les résultats des élections quand on les craint ! » a lancé sur Twitter Patrick Kanner, président du groupe PS du Sénat. « La manœuvre politicienne d’En Marche et du Christophe Castaner a été stoppée par l’Etat de droit » s’est réjoui le PS.

« Et pan sur les doigts ! Voilà ce qui arrive lorsque l'on tente honteusement de jouer avec les règles démocratiques » réagit le groupe communiste de la Haute assemblée, qui y voit « encore un désaveu cinglant et mérité pour Emmanuel Macron ».

« Les tentatives de tripatouillage du gouvernement ont heureusement échoué »

Même satisfaction à droite. « Cette suspension est une bonne nouvelle pour la démocratie. Les tentatives de tripatouillage du gouvernement pour réussir artificiellement son implantation locale ont heureusement échoué » a tweeté Bruno Retailleau, président du groupe LR du Sénat.

« C'est un revers pour Christophe Castaner et une victoire pour la démocratie », a réagi son homologue de l’Assemblée, Damien Abad. Pour Philippe Bas, président LR de la commission des lois du Sénat, « le gouvernement doit se soumettre au droit et à la Constitution ». Il ajoute « C’est bien le moins en démocratie ! »

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