Les annonces de Jean-Baptiste Djebbari pour revitaliser « 1 000 petites gares », accueillies avec prudence au Sénat

Les annonces de Jean-Baptiste Djebbari pour revitaliser « 1 000 petites gares », accueillies avec prudence au Sénat

Le ministre chargé des Transports a annoncé que 7 milliards d’euros allaient être injectés pour redynamiser et remettre de l’humain dans les gares de proximité.
Public Sénat

Par Jules Fresard

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Cerizay, bourgade de 4 700 habitants des Deux-Sèvres, peut se targuer d’une imposante église néogothique, une mairie visible au loin avec son revêtement orange, et d’une gare. Du moins, une moitié de gare. Car la morne maison grise qui habite la station ferroviaire communale rentre dans la catégorie de ce que le jargon de la SNCF nomme un PANG, c’est-à-dire un « point d’arrêt non géré ». Des gares, où des trains s’arrêtent pour récupérer des voyageurs, mais où ces derniers n’ont pas la possibilité d’acheter de titre de transport, de par l’absence de personnel ferroviaire et de distributeur automatique.

Lundi 28 juin, c’est par la voix de la Défenseure des droits que ces points d’arrêt non gérés se sont invités dans l’actualité. Dans une décision publiée lundi 28 juin, Claire Hédon les décrit comme sources « d’inégalités de traitement » entre les voyageurs, se basant sur des témoignages reçus d’usagers.

Des lieux « sources d’inégalités »

« Les gares sans service et les gares de manière plus large sont en effet un point de préoccupation. On a depuis de très nombreuses années, à toutes les échelles, sous-investi dans les gares. En 2019, l’investissement les concernant devait être de 35 millions d’euros, quand en Allemagne la même année cette somme s’élevait à 350 millions. Débouchant sur des services absents, une inégalité de traitement… » précise Stéphane Sautarel, sénateur LR du Cantal, coprésident avec Hervé Maurey d’une mission de contrôle sur la situation financière de la SNCF.

Mais comment se caractérisent concrètement ces « inégalités de traitement » propres au PANG, épinglées par la Défenseure des droits ? Pour mieux les comprendre, il suffit de se baser sur un des témoignages reçus par Claire Hédon, dont certains sont résumés dans sa décision. L’ancienne journaliste y évoque l’exemple de « Monsieur D », qui pour rentrer dans son village du Jura a dû emprunter une gare sans service. N’ayant pas pu acheter de billet en gare, il s’est immédiatement présenté lors de sa montée dans le train au contrôleur, seule solution qu’ont les usagers de PANG pour voyager en règle quand ils n’ont pas accès à internet. L’agent de la SNCF a cependant considéré que « Monsieur D » était en situation irrégulière, l’invitant à payer une indemnité forfaitaire de 50 €, pour un trajet qui en vaut normalement 3,50 €. Avant de lui adresser un procès-verbal de 100 €.

D’autant que comme le détaille Claire Hédon, quand les voyageurs ont en face d’eux certains contrôleurs plus conciliants, ils se voient néanmoins imposés des tarifs plus élevés que s’ils avaient acheté leur billet sur internet. « Si la dématérialisation des services publics peut constituer un progrès pour l’accès aux droits, celui-ci peut être remis en cause par la fracture sociale et territoriale dans l’accès à Internet et aux équipements informatiques » détaille-t-elle.

Un problème dont Philippe Tabarot, sénateur membre de la commission de l’Aménagement du territoire, se dit conscient. « Il y a en effet des gares où vous n’avez pas de distributeurs automatiques ou qui ne fonctionnent parfois pas, avec des voyageurs de bonne foi qui veulent acheter leur titre de transport, mais qui ne le peuvent pas. Tout le monde n’a pas un smartphone et le wifi. Ils se voient alors imposer une tarification différente. Vous devenez fraudeur malgré vous ». « J’ai eu plusieurs exemples dans ma région. Et j’ai eu des discussions avec la SNCF sur ce point », affirme-t-il.

Gares sans guichet : "vous devenez fraudeur malgré vous" regrette Philippe Tabarot
01:35


7 milliards annoncés par le gouvernement

Face à ces problématiques, le ministre chargé des Transports Jean-Baptiste Djebbari a annoncé dimanche sur BFMTV l’allocation de 7 milliards d’euros aux petites lignes et aux gares. « Partout où cela sera pertinent, il y aura à nouveau des gens dans les gares », a-t-il fait savoir, en précisant que le champ d’action du gouvernement se concentrera principalement sur les « 1 000 plus petites gares » de France.

Et concernant les situations pointées du doigt par la Défenseure des droits, le ministre a évoqué des « pertes de chances qui sont tout à fait insupportables », étrillant au passage « les gouvernements successifs qui ont abandonné les petites lignes ferroviaires et les gares de proximité ».

Un investissement salué par Jean-François Longeot, sénateur centriste et président de la commission de l’aménagement du territoire. « C’est une bonne idée de remettre un peu de vie dans nos gares. […] C’est une des premières fois où l’on a 7 milliards sur la table, pour nos territoires, c’est très important » croit-il, en promettant néanmoins d’être « très vigilant » sur l’allocation des sommes.

Une vigilance qui se justifie d’autant plus, que comme le rappelle Stéphane Sautarel, « je ne sais pas d’où il les a pris ces 7 milliards. Les investissements annoncés pour la société Gares et connexions font état de 1,1 milliard sur 4 ans, c’est loin des 7 milliards. Et pourtant, les objectifs affichés sont les mêmes, c’est-à-dire rénover les gares et y réintroduire des services ».

Bientôt La Poste au sein des gares ?

Autre piste évoquée par Jean-Baptiste Djebbari, la possibilité, dans les petites gares, d’implanter des services publics, à l’image de La Poste. Une manière indirecte de ramener une présence humaine dans les points d’arrêt non gérés notamment. « Qu’on puisse réunir des services publics est une bonne chose », salue Philippe Tabarot, qui invite néanmoins « l’État à ne pas se reposer uniquement sur les régions » dans la concrétisation de cette annonce.

Une initiative également approuvée par Jean-François Longeot, mais qui émet là aussi des réserves. Quid des maisons France Service, annoncées dans chaque canton d’ici 2022, appelées à réunir dans un même lieu La Poste, Pôle Emploi ou encore l’Assurance Maladie ? « Comment allez-vous lier ces services nouveaux ? Vous allez enlever un service public de la maison France Service pour le mettre dans une gare ? C’est une question qu’il faut approfondir », croit-il.

Services publics dans les gares : Jean-François Longeot salue "une bonne idée"
01:59

Des annonces reçues également en demi-teinte par Stéphane Sautarel, qui estime que ces implantations ne pourront pas à elles seules « répondre aux enjeux du ferroviaire ». Pour lui, un autre point d’attention concerne « la qualité du matériel roulant ». Car si les TER, à la charge des régions, « ont été massivement renouvelés », ce n’est pas le cas des wagons à la charge de l’État, comme les Trains Entre Territoires (TET). Et concernant les gares, en plus des services, le sénateur du Cantal met en lumière la situation des personnes à mobilité réduite, qui sont encore bien souvent incapables de prendre le train dans certaines petites stations. Autant de points qui lui font dire qu’en France, « on est dans une phase de rattrapage et pas d’innovation. On court un peu derrière, en essayant de rattraper le temps perdu ». Un constat qu’il ne manquera assurément pas de souligner dans son rapport de contrôle sur « la situation et les perspectives financières de la SNCF », qui devrait connaître un premier point d’étape d’ici septembre.

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