Témoignage de Daniel Cordier, Compagnon de la Libération : « Jean Moulin est à côté de moi, il est là »

Témoignage de Daniel Cordier, Compagnon de la Libération : « Jean Moulin est à côté de moi, il est là »

Il était l’un des deux derniers compagnons de la Libération, et fut par la suite un marchand d’art reconnu. Daniel Cordier est mort ce vendredi 20 novembre à l’âge de 100 ans. Dans le documentaire « Les derniers Compagnons de la Libération » de Jean-Charles Deniau, qui sera diffusé la semaine prochaine sur Public Sénat et déjà disponible en avant-première sur notre site, il confiait le souvenir de Jean Moulin.
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Par Pierre Maurer

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« Se trouver face à vous, c’est se trouver immédiatement, irrésistiblement, face à l’Histoire », lui déclarait le président Emmanuel Macron le 18 juin 2017, en le décorant de la Grand-Croix, le grade le plus élevé de la Légion d’honneur. Ancien secrétaire de Jean Moulin devenu marchand d’art réputé après la guerre, le compagnon de la Libération Daniel Cordier est mort ce vendredi 20 septembre à l’âge de 100 ans.

Longtemps, il s’est rendu à l’hôtel Lutetia à Paris pour attendre le retour de Jean Moulin, en vain. « Je suis allé attendre à tous les trains jusqu’au dernier », relatait-il dans le documentaire « Les derniers Compagnons de la Libération » de Jean-Charles Deniau, qui sera diffusé sur Public Sénat le samedi 27 novembre à 21 h et le dimanche 28 novembre à 9 h. « Et je pensais à une seule chose : que j’allais revoir Jean Moulin. Je ne sais pas comment vous expliquer : Jean Moulin est toujours vivant », confiait le vieil homme, emprunt d’émotion. « Il est à côté de moi, il est là. Il n’est jamais mort. »

Avec le temps pour remède, il clôt ce chapitre de sa vie et se lance dans le commerce d’œuvres d’artistes contemporains. Une vocation qui le rattache encore à « Rex ». « Je dois à Jean Moulin l’amour de la peinture. Il me disait ‘vous verrez, je vous montrerai Goya quand on ira au Prado, vous comprendrez ce dont je parle’ », expliquait-il.

Compagnon de route de « Rex »

Né Bouyjou-Gauthier à Bordeaux le 10 août 1920 au sein d’une famille de négociants aisés, il est placé très jeune dans un pensionnat dirigé par des dominicains. À l’adolescence, il fut camelot du roi à 14 ans et admirateur de Charles Maurras, le théoricien du nationalisme intégral, mais rompra avec son idole d’extrême droite en 1941. Face à la débâcle de l’armée française et à la capitulation du maréchal Pétain, il s’engage à 20 ans à Londres le 28 juin 1940 dans la « Légion française », embryon des Forces françaises libres. Il prend alors le patronyme de « Cordier », nom de famille de son beau-père.

À l’été 1941, il est nommé au service « Action » du Bureau central de Renseignements et d’Action (BCRA), les services secrets des FFL, et suit pendant un an un entraînement spécial sur le sabotage, la radio, les atterrissages et parachutages. Parachuté en France occupée, en juillet 1942, près de Montluçon, il devient le secrétaire de Georges Bidault, responsable de l’agence de presse clandestine de la Résistance. Très vite, il rencontre à Lyon « Rex », alias Jean Moulin, représentant du général de Gaulle et délégué du Comité national français, qui l’engage pour organiser son secrétariat à Lyon. Daniel Cordier est alors le témoin privilégié des immenses difficultés rencontrées par « Rex » pour unifier la Résistance. Il restera son bras droit jusqu’à l’arrestation de Jean Moulin en juin 1943. Il ne connaîtra son véritable nom qu’en octobre 1944. Après l’arrestation de « Rex », il poursuit sa mission en zone nord auprès de Claude Bouchinet-Serreulles, successeur par intérim de Jean Moulin, avant de rejoindre Londres en mai 1944 et continue de travailler pour le BCRA.

Il commence donc une carrière d’artiste et de collectionneur (Braque, Soutine, Rouault, de Staël et beaucoup d’autres). De 1956 à 1964, il tient une galerie à Paris qui lancera de nombreux artistes. À la fin des années 70, furieux des accusations selon lesquelles Jean Moulin aurait été un agent crypto-communiste, il entreprend des recherches pour défendre son œuvre et sa mémoire. En 1983, il publie « Jean Moulin, l’inconnu du Panthéon », une colossale biographie en trois tomes de l’illustre résistant. Seul un compagnon de la Libération, Hubert Germain, lui survit sur les 1038 distingués par Charles de Gaulle pour leur engagement au sein de la France libre pendant l’Occupation allemande.

Jamais le souvenir de son compagnon de résistance ne le quitta. « C’est Jean Moulin qui m’a appris la peinture et c’est dans la peinture que j’ai fait ma vie. Si j’ai eu une vie un peu intéressante, c’est à cause de lui », insistait-il dans le documentaire. Elle le fut.

Hommage national

« Avec lui, c’est la mémoire vivante de la Résistance qui s’éteint. Il avait traversé ce que notre histoire a de plus brûlant, de plus douloureux, mais aussi de plus héroïque, et il en avait livré les témoignages les plus exacts et les plus poignants […] Aujourd’hui les ombres glorieuses de la France Libre, « l’humble garde solennelle » qu’évoquait Malraux lors de son hommage à Jean Moulin en 1964, semblent lui faire escorte. Le Président de la République s’incline avec respect, émotion et affection, devant la mémoire de cet homme dont la vie entière aura conjugué l’amour de la France et la passion de la liberté, le goût du beau et le souci du vrai », a rendu hommage l’Elysée dans un communiqué. Emmanuel Macron a par ailleurs annoncé qu’un hommage national lui serait rendu. « Quand la France était en péril, lui et ses compagnons prirent tous les risques pour que la France reste la France. Nous leur devons notre liberté et notre honneur. Nous lui rendrons un hommage national », a écrit le chef de l’Etat sur Twitter.

« Les derniers Compagnons de la Libération » de Jean-Charles Deniau, est disponible ici et sera diffusé sur Public Sénat le samedi 27 novembre à 21 h et le dimanche 28 novembre à 9h.

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