Violences conjugales en ruralité : la double peine

Violences conjugales en ruralité : la double peine

Elles vivent loin de la ville, mais pas forcément loin des violences conjugales. Pendant plusieurs jours Sandra Cerqueira a suivi dans sa région, Marie-Pierre Monier, sénatrice socialiste de la Drôme et membre de la délégation aux droits des femmes du Sénat, pour comprendre comment les victimes et les associations luttent contre les violences conjugales en milieu rural.
Public Sénat

Par Nils Buchsbaum

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Publié le

Quand on évoque la question des féminicides, on pense rarement que les femmes qui habitent en milieu rural seraient plus touchées que celles qui vivent en ville. Pourtant c’est le douloureux constat qu’a fait Marie-Pierre Monier, sénatrice socialiste de la Drôme pendant les travaux de la commission « J‘ai découvert que 50 % des féminicides en France ont lieu en milieu rural alors que 31 % de la population y habitent. ». Un phénomène dont elle ne soupçonnait pas l’ampleur y compris sur le territoire dont elle est l’élue.

 

En milieu rural, les femmes victimes de violences font face à des difficultés spécifiques

Des femmes qui utilisent moins la ligne d’écoute nationale, mais lorsqu’elles appellent, elles décrivent souvent le même moyen de contrôle employé par leur conjoint pour les surveiller : comme l’interdiction d’utiliser le véhicule ou le contrôle du kilométrage. « En ruralité la mobilité est vraiment le sujet. On est loin des services publics. Il faut avoir une voiture, donc les moyens de se la payer. On doit se déplacer avec pour tout, les courses comme les soins. Ça veut dire aussi que si elles veulent porter plainte, il faut qu’elles se déplacent à la gendarmerie, c’est un peu une double peine pour les femmes qui vivent en milieu rural par rapport à d’autres qui vivent en ville. »

Face au manque de structures c’est le tissu associatif qui prend le relais dans la prise en charge des victimes. Françoise Mar a co-fondé en 2020 une association d’aide aux victimes. « Notre disponibilité est précieuse pour les femmes. C’est souvent difficile pour elles d’appeler, elles hésitent, cela peut prendre des semaines voire des mois avant qu’elles se décident », déclare-t-elle.

 

En milieu rural difficile de trouver un refuge quand on est une femme victime de violences

Dans le village de Die (Drôme), il n’y a pas de lieu de soutien et d’accueil pour les femmes dans des situations d’urgence. Avec un budget annuel de 200 euros, son association ne peut pas louer de local. Elle reçoit donc à son domicile. « Il existe des permanences mensuelles avec un juriste à Valence mais la distance et le fait de devoir prendre rendez-vous découragent beaucoup de femmes. La plupart des femmes que l’on accompagne ne sont pas prêtes à aller déposer plainte. C’est une étape lointaine et hypothétique de leur parcours. »

Pour Françoise Mar, le rôle de l’association est d’abord de conforter les femmes qui viennent vers elles « dans les petits pas qu’elles font sans aller encore en justice. Elles n’iront peut-être pas, ce n’est pas indispensable. C’est très coûteux d’aller en justice sur le plan psychologique et émotionnel. Donc ce sont elles qui prennent les décisions. Nous, on sait que ça va prendre du temps et on vise leur mieux-être immédiat. »
Sandra Cerqueira a pu recueillir le témoignage d’une victime aidée par l’association. Actuellement en pleine procédure judiciaire, elle témoigne anonymement : « J’avais besoin de dire stop. Ce qui fait hésiter aussi à aller porter plainte c’est le fait de ne pas être entourée, le fait peut-être d’être mal reçue à la gendarmerie, pas crue, qu’il faille se justifier sur ce que l’on a vécu et le fait que cela puisse être classé sans suite, on se dit à quoi bon. »

 

La difficulté à préserver l’anonymat en milieu rural, pèse aussi sur la libération de la parole

Lorsqu’elles décident de parler, les femmes victimes de violences se retrouvent face à de multiples interlocuteurs pour porter plainte, obtenir de l’aide, trouver un logement… « Cela touche plein de choses donc c’est un peu le parcours du combattant, une personne vous renvoie vers une autre personne… L’association nous aide en faisant le lien avec tout ça. Je ne sais pas si j’aurais eu la force d’aller déposer plainte. J’y serai allée les mains dans les poches sans attestation sans rien préparer et ça aurait eu peu de chance d’aboutir », déclare celle qui préfère se faire appeler Sarah face à la caméra… La difficulté à préserver l’anonymat en milieu rural pèse aussi sur la libération de la parole, En zone rurale seule 12 % des femmes poussent la porte d’une gendarmerie contre 36 % en ville.

 

« Au village tout le monde se connaît, je pensais qu’en en parlant à des personnes j’allais recevoir un soutien et ça a été le contraire »

Lorsqu’elle a porté plainte, Marie (ndlr : prénom modifié) s’est sentie plus isolée que jamais : « Je n’avais pas vraiment conscience de ça jusqu’ici, mais le milieu rural c’est le village, tout le monde se connaît et à partir du moment où j’ai parlé de ma situation à plusieurs personnes de mon entourage, que j’avais subi des violences, les personnes à qui j’en ai parlé ne m’ont plus adressé la parole, je n’ai plus eu de contacts avec elle. Je pensais qu’en en parlant à des personnes que je connaissais j’allais recevoir un soutien et ça a été le contraire. Ça a été extrêmement dur. »

A ce risque d’isolement s’ajoutent les difficultés qu’ont les femmes à réunir des témoignages. Dans des villages où tout le monde se connaît, se mettent parfois en place des alliances entre voisins et familles pour décrédibiliser la parole de la femme, quand ce ne sont pas la peur des représailles qui empêche de prendre parti et de témoigner.
Marie-Pierre Monier ajoute qu « une femme qui est victime de violences, au moment où elle part, elle risque sa vie. Cela peut aller jusqu’au féminicide, donc c’est important de pouvoir les extraire quand elles ont décidé de franchir le cap […] Ensuite c’est compliqué de trouver un lieu, beaucoup ne savent pas où aller et les places dans les centres d’hébergement ne sont pas si nombreuses que ça ».
Selon elle, « Le Grenelle a annoncé 100 places d’accueil, mais dans la Drôme je ne les vois pas et le besoin est toujours aussi important. On a entendu que la cause des femmes était la grande cause du quinquennat, mais concrètement sur le terrain les moyens on ne les voit pas ».

Dans la Drôme, neuf maisons de bénévole offrent un refuge temporaire aux femmes qui ont quitté leur domicile. Ce Réseau d’Accueil Citoyen a été mis en place en août 2019. « C’est un accueil qui se fait au sein de familles. Des participants s’engagent dans l’accueil de femmes victimes de violences, soit seule soit avec leurs enfants. La durée d’accueil s’étend de quinze jours à un mois et demi, maximum », explique Vanessa Perez qui est coordonnatrice de cette initiative. Pour son film Sandra Cerqueira a pu rendre visite à un couple de retraités engagés dans le Réseau d’Accueil Citoyen depuis un an. Eux aussi pointent le manque de moyens accordés par l’Etat et de structures adéquates : « Il y a peu de lieux d’accueil. Nous avons déjà accueilli 5 femmes dont trois avec des enfants. »

Vanessa Perez décrit ce qui l’a poussé, avec d’autres à créer cette association : « On a réfléchi aux difficultés des femmes victimes de violences lors d’accueil à l’hôtel, ce que ça implique de se retrouver seule dans un hôtel au moment du départ du domicile. Nous avons alors réfléchi à une solution d’accueil qui permet aux femmes d’être accompagnées dans leur reconstruction ».
Du point de vue judiciaire, le constat est accablant. Parmi la totalité des plaintes déposées pour violences, seule 12 à 13 % voient l’agresseur condamné. « Le règne de l’impunité des agresseurs continue », déclare désemparée, Marie-Pierre Monier. Elle pense que de plus grands moyens doivent être donnés à la justice, notamment via la création de tribunaux spécialisés, comme ils en existent en Espagne.

Deux ans après le Grenelle lancé par le gouvernement, beaucoup dénoncent les lenteurs de la mise en place de mesures de lutte contre les féminicides et un manque de financement, alors qu’en France une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint.

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