Corse : « Nous avions informé le gouvernement que la cocotte-minute allait exploser », rappelle le sénateur Panunzi

Corse : « Nous avions informé le gouvernement que la cocotte-minute allait exploser », rappelle le sénateur Panunzi

Alors que la manifestation de soutien à Yvan Colonna a fait 67 blessés de dimanche à Bastia et que Gérald Darmanin se rend mercredi en Corse, les élus insulaires restent partagés. Tous dénoncent un manque d’écoute du gouvernement, mais les nationalistes estiment que c’est l’inaction de l’exécutif qui a obligé la jeunesse corse à protester, alors que d’autres dénoncent l’instrumentalisation d’un fait divers. Illustration avec les deux sénateurs corses : Paulu Santu Parigi et Jean-Jacques Panunzi.
Louis Mollier-Sabet

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Au lendemain d’une manifestation de soutien à Yvan Colonna particulièrement tendue à Bastia, Gérald Darmanin a annoncé qu’il se rendrait sur l’île de Beauté mercredi et jeudi pour « ouvrir un cycle sans précédent de discussions avec l’ensemble des élus et des forces vives de l’île », tout en précisant que le « retour au calme » était un « préalable » à tout dialogue éventuel. Après une manifestation « qui a viré à l’émeute » selon les mots du procureur de Bastia, et qui a fait 67 blessés, dont 44 chez les forces de l’ordre, « il était temps », pour le sénateur autonomiste Corse Paulu Santu Parigi. Depuis l’agression du membre du « commando Erignac » à la maison centrale d’Arles, la situation n’a pas arrêté de se dégrader en Corse, malgré l’annonce de la levée du statut « DPS » (« détenu particulièrement surveillé ») d’Alain Ferrandi et Pierre Alessandri, les deux autres membres du commando Erignac incarcérés sur le continent. « Ce que je trouve dommageable, c’est qu’il ait fallu en arriver là », regrette Paulu Santu Parigi. « Cela fait un certain temps que les élus interpellent le gouvernement et que les élections ont validé cette envie d’évolution institutionnelle. C’est triste qu’après nos demandes répétées, il ait fallu en arriver à une violence extrême comme hier soir à Bastia », ajoute le sénateur membre du groupe écologiste au Sénat.

>> Lire aussi : Tensions en Corse : les revendications nationalistes vont-elles s’inviter dans la campagne ?

« C’est difficile de condamner totalement cette colère exprimée par la jeunesse corse »

Le sénateur autonomiste regrette certes la violence, mais fait aussi le constat d’une certaine efficacité face à ce qu’il considère comme un « déni de démocratie » de la part du gouvernement : « C’est difficile de condamner totalement […] cette colère exprimée par la jeunesse corse. J’ai interpellé le ministre des dizaines de fois, avec des réponses totalement à côté. Le gouvernement ne peut pas continuer à faire la sourde oreille, c’est méprisable. On peut le regretter, mais une Corse apaisée et démocratique n’avance pas aussi vite que la violence. » D’après lui, c’est donc au gouvernement qu’incombe la responsabilité de l’escalade de la violence sur l’île : « Chaque fois qu’il y a une manifestation, on frôle le drame d’un côté comme de l’autre. Il est temps de mettre un terme par une écoute réclamée par des élus démocratiquement choisis par les Corses. »

Le sénateur apparenté au groupe LR, Jean-Jacques Panunzi, identifie, lui aussi, un manque d’écoute et un « problème de méthode », de la part du gouvernement : « Cela fait 3 ans que nous demandons, avec plusieurs groupes parlementaires, le rapprochement des prisonniers politiques et la levée du statut DPS. […] C’est resté lettre morte, rien. C’est un manque d’anticipation du gouvernement, nous les avions informés que la cocotte était en train de bouillir et qu’elle allait exploser. L’agression d’Yvan Colonna c’est la goutte d’eau. Si on avait convoqué les parlementaires corses, nous aurions pu conseiller le gouvernement pour leur dire ‘attention, il faut prendre des précautions et se rendre compte de ce qu’il se passe en Corse.’ C’est un manque de méthode de la part du gouvernement. »

« Les jeunes ne sont pas descendus dans la rue tous seuls »

Mais d’après le sénateur Panunzi, l’escalade actuelle provient autant d’un « manque de méthode » du gouvernement, que de l’attitude des nationalistes : « Il ne faut pas non plus minimiser la faute de certains élus indépendantistes. Quel que soit le fait divers qui a pu arriver – ce sont malheureusement des choses qui arrivent dans les prisons françaises – ce n’est pas une raison pour organiser des batailles rangées entre les étudiants et les forces de l’ordre. Parce que tout cela a été organisé par les nationalistes, les jeunes ne sont pas descendus dans la rue tous seuls à 12 ou 14 ans, ils ont été manipulés par les groupes nationalistes qui ne veulent pas se mettre en avant. » Côté autonomistes, Paulu Santu Parigi réfute ces accusations : « Cela n’a jamais été l’objectif de Gilles Simeoni, qui pensait entamer une réforme constitutionnelle validée par Régions de France. On n’est pas là pour contrôler, on fait ce que l’on peut. Aujourd’hui la balle est dans le camp de l’Etat, à lui de faire le geste important pour qu’on rentre dans un processus de dialogue. »

L’ouverture d’un « dialogue de fond sur l’évolution institutionnelle de l’île », c’est d’ailleurs aussi ce qu’ont demandé les parlementaires corses Jean-Félix Acquaviva, Paul-André Colombani et Michel Castellani, lors d’une conférence de presse au Palais Bourbon ce lundi. Rejoints par les députés d’opposition Éric Coquerel (LFI), Stéphane Peu (PCF), Isabelle Santiago (PS), Pascal Brindeau (UDI) et François Pupponi (MoDem), ils ont aussi à nouveau réclamé la création d’une commission d’enquête parlementaire – tout comme le groupe écologiste au Sénat – pour faire « la vérité sur la tentative d’assassinat d’Yvan Colonna. » La venue de Gérald Darmanin devrait être l’occasion d’ouvrir ce dialogue, mais la présidente de l’Assemblée de Corse, Marie-Antoinette de Maupertuis reste prudente : « Cela nous semble être un bon début mais nous attendons des signes forts avant d’y croire » (AFP).

« Maintenant, c’est la course à l’échalote chez les nationalistes »

Difficile de faire le tri dans les revendications autonomistes, qui varient du rapprochement des prisonniers politiques à leur libération, en passant par un nouveau statut administratif pour l’île sans bien préciser lequel. C’est tout le problème, d’après Jean-Jacques Panunzi (rattaché LR), pour qui les revendications des nationalistes évoluent avec le rapport de force : « Je regrette que Gérald Darmanin se rende sur l’île avec la pression de ce qu’il s’est passé. Le gouvernement se retrouve dans un entonnoir et il est difficile d’en sortir. Les revendications sont parfois la libération des prisonniers politiques ou des négociations pour un nouveau statut, dont on saura de quoi il s’agit, si les négociations ont lieu. Le gouvernement se retrouve acculé par ces revendications, alors qu’elles n’existeraient pas s’il avait écouté. Maintenant, c’est la course à l’échalote chez les nationalistes, vous n’avez pas qu’un seul interlocuteur, il y a plusieurs branches qui ne sont pas d’accord entre elles. »

D’après le sénateur corse, le gouvernement, et Gérald Darmanin mercredi et jeudi prochain, vont devoir « mettre les acteurs de ces manifestations en face de leurs responsabilités » : « Il faut de la fermeté, sinon on ne va pas s’en sortir. Pendant que tout le monde casse, il y a le président de l’exécutif corse qui regarde. À un moment, je me suis demandé s’il allait falloir lancer un appel à un comité de salut public pour rétablir l’ordre. Ils ont saccagé le Trésor public à Bastia, le tribunal à Ajaccio, c’est tout juste si on a sauvé la Préfecture, et à chaque fois l’Etat recule. Le gouvernement veut négocier avec ces gens-là, mais avant de négocier, il faut leur faire comprendre qu’ils doivent prendre leurs responsabilités et faire cesser la violence. »

« Ce n’est pas en dépêchant 10 fois plus de soldats en Corse qu’en Ukraine qu’on va régler la situation »

Un problème très concret va alors se poser pour les autorités : les forces de l’ordre sur place n’ont pas les moyens humains et techniques de contenir les manifestants. Le Monde fait état de « difficultés logistiques » – notamment dans l’approvisionnement de grenades et d’effectifs – et Jean-Jacques Panunzi confirme : « Il y avait déjà un problème d’effectifs à Bastia et Ajaccio. J’ai rencontré des représentants des syndicats de police qui m’ont fait part de leur inquiétude quant au manque de personnels et de moyens pour l’île. Cela m’a été confirmé aujourd’hui par des personnes qui ont assisté aux manifestations et qui ont trouvé scandaleux qu’il y ait aussi peu de forces de l’ordre pour protéger les biens communs. » De son côté, Paulu Santu Parigi trouve au contraire « désolant » que « l’on dépêche 10 fois plus de soldats en Corse qu’en Ukraine. » « Cela ne va pas régler la situation » ajoute-t-il. En attendant, ce ne sont pas des soldats, mais Gérald Darmanin qui débarque mercredi sur l’île. Pas sûr qu’il soit bien mieux accueilli.

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