Ehpad : le Conseil d’Etat suspend l’interdiction de sortie des résidents, une décision saluée au Sénat

Ehpad : le Conseil d’Etat suspend l’interdiction de sortie des résidents, une décision saluée au Sénat

Le ministère de la Santé avait recommandé d’interdire totalement les sorties aux résidents d’établissements pour personnes âgées. Des sénateurs de la commission des Affaires sociales se félicitent de la décision du juge administratif.
Public Sénat

Par Pierre Maurer

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Aller faire du shopping, se promener avec sa famille dans un parc… Depuis le 24 janvier, les résidents des Ehpad en sont totalement privés. Mais une décision du Conseil d’Etat vient rebattre les cartes et leur donner une lueur d’espoir. Mercredi 3 mars, la haute juridiction a jugé « disproportionnée » la recommandation du ministère des Solidarités et de la Santé d’interdire totalement les sorties aux résidents d’établissements pour personnes âgées. Résultat, le juge administratif « suspend » cette interdiction estimant que « la majorité des résidents ont été vaccinés » et que des mesures peuvent désormais être prises par « les directeurs d’établissement au cas par cas ». S’appuyant sur la vaccination, cela fait quelques jours que des directeurs d’établissements et des fédérations d’Ehpad ont demandé au gouvernement d’assouplir ces mesures.

« Uniformité de règles brutales »

Une décision logique à écouter les sénateurs de la commission des Affaires sociales, qui ont eux-mêmes enquêté sur la situation des Ehpad pendant la crise sanitaire. Présidente de la commission, Catherine Deroche salue cette décision : « Les résidents vaccinés, qui plus est prioritairement, doivent ne plus être privés de cette liberté de sortir qui était très difficile psychologiquement. Il convient bien évidemment que les consignes de précaution des gestes barrières soient maintenues », insiste la sénatrice LR, par ailleurs médecin. Dans son arrêt, le Conseil d’Etat souligne que ce « confinement imposé » peut « altérer l’état physique et psychologique de nombreux résidents, ainsi que plusieurs études l’ont démontré ».

Selon les derniers chiffres officiels, 82 % des résidents avaient reçu le 1er mars la première injection du vaccin contre le covid-19 et 57 % la deuxième injection. Près de 42 % des soignants ont aussi reçu une dose de sérum. « Dans mon département, 75 % des résidents d’Ehpad sont vaccinés. Cela doit leur permettre d’avoir une vie sociale quasi normale. Tout en gardant les mesures barrières, en faisant confiance aux familles, en pratiquant les tests. De façon que ces personnes retrouvent le goût de vivre », fait valoir le sénateur LR de la Marne, René-Paul Savary. Lui aussi médecin, il estime que l’interdiction du ministère est « une mesure disproportionnée par rapport à la situation », et qu’il faut rester « dans une juste mesure sans entraver la vie sociale de ces gens ».

Président de la mission d’information du Sénat sur l’évaluation « des effets des mesures de confinement » et médecin en exercice, Bernard Jomier vilipende la politique sanitaire du gouvernement. « Il y a un ensemble de règles non fondées. Je sors de la table ronde du Sénat sur le covid-19 et la culture, Antoine Flahaut (épidémiologiste) a rappelé qu’il n’y avait aucun cluster en plein air et donc que l’interdiction des activités culturelles en extérieur est infondée. C’est un peu la même chose pour les Ehpad », estime le sénateur socialiste. Selon lui, l’interdiction du ministère est donc bien une « atteinte à la liberté qui n’est pas fondée sur des critères sanitaires ». Il poursuit : « Et la majorité des résidents en Ehpad sont protégés ! Le vaccin Pfizer (injecté aux résidents en Ehpad) a une efficacité d’au moins 95 %. L’uniformité de règles brutales entraîne des annulations de décisions. Il faut arrêter ces mesures de contrainte », plaide-t-il. La ministre chargée de l’Autonomie, Brigitte Bourguignon, a quant à elle dit « prendre acte » de cette décision, qui « encourage l’Etat à toujours mieux proportionner les réponses ».

Les Ehpad, des lieux de privation des libertés ?

À la faveur de la crise sanitaire, les Ehpad sont peu à peu devenus des lieux où les libertés ont été drastiquement réduites. Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, l’ancienne journaliste Dominique Simonnot s’en est inquiétée dans un entretien à Public Sénat. « Ce n’est pas véritablement un lieu de privation de liberté où l’on est envoyé par l’autorité judiciaire ou administrative ou par le préfet. Mais, il n’empêche que dans les faits, ça l’est quand même puisqu’on n’a pas le droit de sortir de sa chambre. On n’a pas le droit de voir ses proches. On vit enfermé alors qu’on est très vieux. Nous en sommes soucieux. On est en train de créer un groupe de travail pour voir comment on pourrait y aller. Nous ne sommes pas tous d’accord. De toute façon, il faudra une loi, je pense », indiquait-elle.

Catherine Deroche tempère, mais acquiesce. « Je ne sais pas si c’est le terme juste qui fait penser à d’autres lieux mais il est certain que pour protéger nos anciens, on a pris des décisions jusqu’au-boutistes qui ont fait des deux dernières années une période extrêmement liberticide et ont enlevé à certains le goût de vivre. On a parfois arrêté de les considérer comme des personnes responsables et adultes. Il y a eu une infantilisation ! », tonne-t-elle.

Bernard Jomier abonde. « Il y a des privations de libertés qui peuvent être légitimées pour protéger les autres résidents en Ehpad. En soi, elles sont acceptables. Le problème c’est qu’on a vu des règles infondées. Je me souviens d’un cas bien précis au printemps dernier : on a empêché des proches d’aller voir une personne en fin de vie parce qu’elle avait le virus. C’était inhumain, on aurait dû leur fournir les équipements pour se protéger », affirme-t-il. « Toute limitation des libertés doit être fondée sur un impératif sanitaire. Mais aujourd’hui le débat devient indéfendable », martèle-t-il.

« C’est déjà compliqué la vie en Ehpad au départ. Donc on peut effectivement dire qu’avec la crise sanitaire, ça devient un lieu de privation de liberté », convient René-Paul Savary. « Mais le personnel médical n’est pas suffisamment motivé pour se faire vacciner », estime-t-il.

Une obligation vaccinale pour les soignants ?

« On peut se poser des questions de la vaccination obligatoire pour les personnels soignants. Il y a un vrai geste altruiste à avoir », poursuit René-Paul Savary. Depuis quelques jours certains médecins réclament d’en faire une obligation pour les professionnels de santé, que d’autres praticiens jugent contre-productive. « On ne peut plus accepter que des personnels refusent la vaccination », a lancé le professeur François Chast mardi sur France Inter. Dans les Ehpad et les unités de soins de longue durée, moins de 200 000 professionnels ont ainsi reçu au moins une dose de sérum.

Devant le CESE, le ministre de la Santé, Olivier Véran, avait déjà ouvert le débat fin février. « Il y a des clusters qui peuvent encore arriver et ce peut être potentiellement les soignants qui peuvent être les premiers malades. Où est l’éthique, est-ce que c’est laisser le libre choix aux soignants de se vacciner ou non ? […] Est-ce qu’il n’est pas plus éthique de poser la question d’une incitation plus forte, voire une forme d’obligation vaccinale ? », s’interrogeait le ministre. Selon les Echos, l’inquiétude est remontée jusqu’au chef de l’Etat. Emmanuel Macron envisagerait de rendre la vaccination obligatoire pour les soignants. La décision n’a pas encore été tranchée.

Bernard Jomier considère, lui, qu’il n’y a pas de débat et n’a pas constaté sur le terrain de refus particulier des soignants à se faire vacciner. « En ce qui concerne les professions de santé, ça ne pose pas de question éthique. Il faut qu’ils soient vaccinés. Quand je suis allé me faire vacciner, j’ai fait la queue pendant une heure devant l’Hôtel-Dieu. Je n’ai pas constaté que les soignants ne veulent pas se faire vacciner », assure-t-il.

En conférence de presse jeudi soir, le Premier ministre Jean Castex a appelé « solennellement » les personnels des résidences pour personnes âgées à se faire vacciner « très rapidement » pour permettre le retour d’ « une vie sociale apaisée » dans ces établissements. « Trop d’entre eux ne l’ont pas encore fait », a-t-il regretté.

Un avis prudent du Haut Conseil de la santé publique

Finalement, le bout du tunnel ne devrait pas être immédiat pour les 600 000 résidents en Ehpad. Le Haut Conseil de la santé publique (HCSP), dans un avis confidentiel remis le 2 mars à la direction générale de la santé – révélé par le Monde –, estime qu’il va falloir attendre « les semaines qui viennent » pour être sûr qu’un « cocon vaccinal » protège les pensionnaires des maisons de retraite. Brigitte Bourguignon réunira vendredi « un groupe de réflexion éthique », composé de représentants des familles de résidents, de professionnels, d’éthiciens et de juristes, pour « proposer de nouvelles recommandations dans les Ehpad, soulignant que le contexte sanitaire était « très préoccupant ».

L’avis du Haut conseil, qui estime qu’il est trop tôt pour « définir » des « stratégies » d’assouplissement des « règles collectives » sanitaires, devrait avoir son importance dans les décisions finales. Le HCSP estime néanmoins que « les sorties peuvent être autorisées » « pour les résidents vaccinés sans nécessité de test virologique au moment du retour ». René-Paul Savary espère qu’il sortira de la réunion de vendredi des « mesures acceptables » et la possibilité « pour les familles de résidents » de se faire vacciner, quand de plus grandes quantités de vaccins seront disponibles.

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