Violences conjugales : « Beaucoup de femmes victimes, vivent dans des camisoles de force qui entravent leurs libertés »

Violences conjugales : « Beaucoup de femmes victimes, vivent dans des camisoles de force qui entravent leurs libertés »

Auditionné par la Délégation aux droits des femmes du Sénat, Luc Frémiot, ancien Procureur de la République de Douai, et fervent combattant des violences faites aux femmes souligne l’importance de la prise en charge des hommes violents. Engagé depuis près de quinze ans dans cette lutte, il estime que les lois existent pour lutter contre les féminicides, mais il regrette l’absence de volonté politique pour les faire respecter.
Public Sénat

Par Flora Sauvage

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Éviction du conjoint violent du domicile, ouverture systématique d’enquêtes et d’informations judiciaires, stages de responsabilisation pour les auteurs de violence : Luc Frémiot avait mis en place des mesures efficaces pour lutter contre les violences faites aux femmes du temps où il était procureur à Douai, dans les Hauts de France. Devant les sénateurs de la Délégation aux droits des femmes, l’ancien procureur de la République a tenu à rappeler que selon lui « la libération de la parole n’a pas encore eu lieu en France, les mouvements comme ‘Metoo’ ou ‘Balance ton porc’ sont la preuve que la parole des victimes n’a pas encore été libérée ».

L’arsenal législatif existe

Si la présidente de la Délégation aux droits des femmes est convaincue qu’il n’est pas nécessaire de modifier la loi, car les outils pour lutter contre les violences faites aux femmes existent, Annick Billon s’interroge sur la possibilité de « réduire le taux de récidive des conjoints violents », actuellement de 45% en France. Rappelant que du temps où Luc Frémiot était procureur au tribunal de Douai le taux de récidive a baissé à 6%, la présidente de la Délégation aux droits des femmes a interpellé l’ancien magistrat sur les solutions à trouver pour infléchir ce taux.

Mieux appliquer la loi

Selon Luc Frémiot, « tant qu’il n’y aura pas un contrôle précis des fonctionnaires de police, des gendarmes ou des parquets qui doivent mettre en place ces nouvelles dispositions législatives on n’y arrivera pas. Le bracelet anti-rapprochement c’est bien, mais c’est déjà trop tard ». Pour l’ancien magistrat, il est absolument nécessaire de contrôler les services dédiés aux dépôts de plainte et à l’application de la loi. « Qu’un auteur de violences reconnu comme tel soit condamné à un stage de 2 jours sur les violences conjugales, alors qu’il faut minimum de 4 mois, voir que des magistrats utilisent de tels subterfuges ce n’est pas acceptable ». A Douai, Luc Frémiot avait mis sur pied un protocole avec l’idée de faire travailler les auteurs sur les conditions du passage à l’acte. « Dans ces stages qui doivent prendre naissance avant même le jugement, il y avait des séances hebdomadaires jusqu’au jugement et parfois cela continuait après ».

Maintenues sous le joug de leur agresseur

Interrogé sur les violences conjugales pendant le confinement, l’ex procureur de Douai a tenu a souligné qu’en dehors du confinement « beaucoup de femmes victimes vivent dans des camisoles de force qui entravent leurs libertés et les maintiennent sous le joug des agresseurs au quotidien ». « À partir du moment où l’on mettra les auteurs de violences dans les mains de psychiatres spécialisés, pour leur faire prendre conscience des conditions dans lesquelles ils deviennent dangereux on avancera », affirme Luc Frémiot, citant en exemple le Canada.

Éloigner les conjoints violents

 « Évidemment il faudra toujours des foyers d’urgence, mais il faut inverser ce processus pour accueillir des auteurs de violence », estime l’ancien magistrat. Plaidant pour la création de centres d’accueil pour les agresseurs, Luc Frémiot affirme qu’il faut « travailler en réseau avec les municipalités, les élus, les hôpitaux, les bailleurs sociaux, c’est une question de volonté car les violences faites aux femmes ne doivent pas rester une fatalité ».

Formation des magistrats lacunaire

Interpellé par Annick Billon sur l’inflation de mesure législative après le Grenelle des violences faites aux femmes, Luc Frémiot a salué les lois votées par le Parlement mais il regrette le manque de moyens pour vérifier que ces nouvelles dispositions sont correctement appliquées. Par ailleurs, « beaucoup de magistrats n’ont pas encore pris en compte l’importance de ce sujet », affirme Luc Frémiot, même s’il existe un module de formation continue à l’École nationale de la magistrature.

Disparités territoriales

Interrogé par le sénateur socialiste de l’Aude Roland Courteau sur la nécessité d’harmoniser les pratiques des juridictions sur l’ensemble du territoire, Luc Frémiot regrette qu’« il y ait des disparités dans les différentes juridictions, aujourd’hui c’est la loterie judiciaire en fonction du magistrat sur laquelle vous tombez, en fonction de l’avocat que vous avez », et les femmes qui viennent porter plainte ne sont pas traitées de la même manière selon le lieu où elles résident. D’où l’intérêt de renforcer la formation des magistrats et de mettre en place des contrôles de l’application des dispositions législatives.

Sanctionner l’État en cas de faute

Selon la présidente de la Délégation aux droits des femmes Annick Billon « que ce soit la justice, les commissariats et la société en général, les différents acteurs ne sont pas formés à entendre la parole des femmes qui se libère ». Pour Luc Frémiot, il faut des sanctions de l’État en cas de graves dysfonctionnements ou de faute.

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