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Fin du retrait de points pour les petits excès de vitesse : le risque d’un « relâchement dans notre politique de prévention » ?

Le ministre de l’Intérieur a indiqué qu’il n’y aurait plus de retrait de points pour les excès de vitesse de moins de 5 km/h à partir de 2024. L’amende, en revanche, sera maintenue. Bien qu’elle trouve son origine du côté du Sénat, cette mesure fait débat chez les élus.
Caroline Deschamps

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Les excès de vitesse inférieurs à 5 km/h ne seront plus sanctionnés par un retrait de point à partir du 1er janvier 2024. Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, a pris cet engagement dans un courrier adressé à la sénatrice LR du Var Françoise Dumont, daté du 11 avril, et révélée par le quotidien Nice Matin. L’élue avait interpellé à plusieurs reprises le locataire de la place Beauvau sur ce sujet. « Lorsque vous faites un excès de vitesse d’à peu près 5 km/h supplémentaire par rapport à la vitesse autorisée, aujourd’hui vous avez un retrait de points et une amende. Nous garderons l’amende, puisqu’évidemment il n’est pas bien de faire un excès de vitesse même si celui-ci est très modéré, mais on vous laisse le bénéfice de vos points », a détaillé Gérald Darmanin ce jeudi matin, devant plusieurs journalistes.

La fourchette de tolérance de 5 km/h appliquée par les forces de l’ordre et les radars automatiques – qui fait qu’un automobiliste sanctionné pour avoir roulé à 113 km/h au lieu de 110 km a, en réalité, était contrôlé à 118 km/h – continuera d’être appliqué, a-t-il précisé. Actuellement, le Code de la route sanctionne un excès de vitesse inférieur à 20 km/h d’une amende de 68 euros pour les routes où la vitesse maximale autorisée est supérieure à 50 km/h, ou de 135 euros sur les routes où cette vitesse maximale est inférieure ou égale à 50 km/h. Dans les deux cas, l’amende s’accompagne également du retrait d’un point sur le permis de conduire, récupérable au bout de six mois sans aucune infraction.

« Puisque les politiques de prévention et de sécurité routière ont plutôt porté leurs fruits ces dernières années, j’avais écrit au ministre pour lui signifier qu’il serait bien d’avoir une tolérance pour les petits excès de vitesse, les petits dépassements, qui doivent être distingués des conduites à risque, sous l’emprise de l’alcool ou des stupéfiants », explique Françoise Dumont à Public Sénat. « C’est aussi une mesure importante pour les territoires ruraux où la mobilité routière est essentielle à la vie de tous les jours. »

Une annonce en porte-à-faux des politiques de sensibilisation ?

Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur communiqué après une question écrite de la sénatrice, 7,2 millions de procès-verbaux ont été envoyés en 2020 pour des excès de vitesse compris entre 1 et 5 km/h au-dessus de la vitesse limite autorisée, détectés par radars. La majorité de ces avis de contravention concernaient des infractions commises hors agglomération (5,8 millions). « Aujourd’hui, un peu plus de 50 % des points que l’on retire aux Français relèvent d’excès de vitesse de moins de 5 km/h », a souligné le ministre de l’Intérieur.

Saluée par les associations d’automobilistes, cette annonce n’a pas manqué de faire bondir les organismes dédiés à la sécurité routière et certains élus d’opposition. « C’est une mesure irréfléchie et irresponsable, injuste et incohérente », a dénoncé Pierre Lagache, le vice-président de la Ligue contre la violence routière, sur RMC. « On sait depuis très longtemps que, contrairement à une idée reçue, les petits excès de vitesse génèrent des accidents graves. Les chiffres dont on dispose démontrent que 46 % des accidents graves, c’est-à-dire avec mortalité, sont générés par de petits excès de vitesse. En distillant l’idée que les petits excès de vitesse ne sont pas si graves, on ne va pas améliorer la situation. »

La sénatrice LR Alexandra Borchio-Fontimp, co-auteure d’une proposition de loi « pour une meilleure prévention des violences routières », reprend la même argumentation : « La vitesse tue et banaliser les excès est un mauvais signal. Avec cette annonce de Gérald Darmanin, il ne faut pas que cela soit perçu comme un relâchement dans notre politique de prévention », explique-t-elle à Public Sénat par SMS. « C’est une mesure populiste et incohérente. »

« Gérald Darmanin essaye de corriger les excès d’une suradministration »

Il semble que le chiffre invoqué par Pierre Lagache – 46 % des accidents graves provoqués par des petits excès de vitesse – soit tiré d’une étude de l’Institut Français des Sciences et Technologies des Transports, de l’Aménagement et des Réseaux (Ifsttar) datée de 2011, et intitulée « Part des accidents mortels attribuable aux excès de vitesse : évolution sur la période 2001-2010 en France ». Elle relève la forte baisse de la mortalité routière liée aux « grands excès de vitesse » (à 20 km/h au-dessus de la limite autorisée) sur les neuf années étudiées, mais pointe en revanche, sur la même période, une hausse sensible de la mortalité liée à des excès de vitesse inférieurs à 10 km/h. « Ces résultats soulignent l’efficacité des politiques mises en place sur la période étudiée vis-à-vis des grands excès de vitesse. Ils suggèrent également que les politiques à venir devraient se concentrer tout particulièrement sur les petits excès de vitesse », lit-on dans cette étude.

3 541 personnes sont décédées en 2022 sur les routes de France, selon les données de l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière. Ces chiffres sont en forte hausse par rapport à 2021 (+ 10,1 %), une année encore marquée par la crise du covid-19, avec une période de confinement en avril et des couvre-feux ayant limité les déplacements des Français. Les chiffres de l’année 2022 sont en revanche équivalents à ceux de 2019 (+1,3 %). Toujours au regard de l’année 2019, le nombre de tués en agglomération ou sur des routes de campagne est resté stable, il a en revanche grimpé de 14 % sur les autoroutes. Notons toutefois que ces données sont encore provisoires et ne comportent pas d’indicateurs sur les causes des accidents. Les chiffres définitifs de l’année 2022 seront publiés, avec des éléments supplémentaires d’analyse, courant mai.

« Je trouve que Gérald Darmanin à mille fois raison », défend le sénateur LR Philippe Dominati, rapporteur au nom de la commission des finances du volet « sécurité et éducation routière » du budget 2023. « Il essaye de corriger les excès d’une suradministration. Les contraventions sont dressées par des machines, face auxquels les recours, nombreux et souvent justifiés des usagers, restent trop souvent sans réponse. »

Une forme d’opportunisme politique ?

Le sénateur socialiste Jean-Luc Fichet, qui a travaillé au sein de la Chambre haute sur les questions de sécurité routière, s’interroge sur le signal réellement envoyé par l’annonce de Gérald Darmanin. « Cette mesure peut alléger la situation des gros rouleurs, davantage exposés à la perte de points, ce qui, pour certains professionnels, peut devenir très problématique. Mais d’un autre côté, c’est aussi une autorisation tacite à rouler au-dessus 5 km/h au-dessus de la limite autorisée. Car même si l’amende est maintenue, on sait la perte de points plus dissuasive. Le système par points, fonctionne bien. Depuis sa mise en place [en 1992, ndlr], il a permis de modifier le comportement de nombreux chauffards. »

L’opportunisme de cette annonce interroge également, à l’heure ou l’exécutif, empêtré dans la crise politique et sociale déclenchée par la réforme des retraites, est à la recherche de mesures d’apaisement qui lui permettraient de renouer le dialogue avec les citoyens. « La seule solution pour sortir de cette crise, c’est d’avancer sur les sujets qui intéressent les Français », expliquait le sénateur François Patriat, chef de file des macronistes au Palais du Luxembourg, ce jeudi dans notre matinale. « Ce ne sont pas les grandes lois qui mettent en colère les gens, mais leur quotidien. Je ne connais pas un gouvernement qui a autant agi sur le quotidien depuis six ans. Il faut continuer. »

Or, depuis la polémique déclenchée par la limitation à 80kmh sur les routes départementales, et plus encore par la crise des « Gilets Jaunes », on sait le fort écho que trouvent les sujets liés à l’automobile chez de nombreux Français. « J’espère qu’il ne s’agit pas d’une stratégie de séduction », pointe Jean-Luc Fichet. « Si dans la période actuelle on assiste à une série de mesurettes de cette nature, cela va finir par devenir gênant. »

« Un grand texte de loi » sur la place de la voiture

Le socialiste dénonce également les incohérences de la politique routière conduite depuis 2017. Il rappelle le rétropédalage sur les 80 km/h et l’annonce en février de la création d’un délit d’« homicide routier », en réaction à l’affaire Pierre Palmade, ce qui laissait présager d’un tour de vis répressif. Et maintenant ce discours de tolérance sur les petites infractions. « On est sur des choses très confuses. Tout cela manque d’une réflexion globale, à la fois sur la sécurité routière, mais aussi sur la place de la voiture dans notre société. On pourrait imaginer un grand texte de loi sur le sujet, en prenant soin de ne pas créer de rupture entre le monde rural et le monde citadin ».

« Gérald Darmanin avait annoncé durcir les sanctions pour les conducteurs sous stupéfiants et rien n’a été fait à ce jour », soupire Alexandra Borchio-Fontimp. « En tant que coauteure, avec mon collègue sénateur de la Somme Laurent Somon, d’une proposition de loi visant à améliorer la prévention des violences routières, je regrette que le ministre de l’Intérieur ne propose pas des mesures efficaces pour améliorer la prévention routière et l’effectivité des peines pour les auteurs condamnés. Avec Laurent Somon nous avons sollicité un rendez-vous avec Gérald Darmanin pour lui présenter nos travaux. »

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