Flambée des prix de l’énergie : « La crise est essentiellement conjoncturelle », assure l’économiste Frédéric Gonand

Flambée des prix de l’énergie : « La crise est essentiellement conjoncturelle », assure l’économiste Frédéric Gonand

Alors que le coût du gaz flambe, la commission des Lois a auditionné le professeur d’économie et ancien commissaire de la Commission de régulation de l’énergie, Frédéric Gonand, mercredi 13 octobre. Ce dernier s’est montré assez critique sur certaines mesures gouvernementales, comme le chèque énergie.
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Par Héléna Berkaoui

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Les chiffres ne sont pas bons. « Si on regarde l’évolution depuis le 1er janvier 2019, on est à plus 29 % » d’augmentation du prix du gaz, observe Frédéric Gonand, professeur d’économie et ancien commissaire de la Commission de régulation de l’énergie.

Une envolée fulgurante qui se fait ressentir sur le budget des ménages. 6 Français sur 10 déclarent avoir diminué le chauffage dans leur logement pour réduire leur facture, selon le baromètre annuel du Médiateur national de l’énergie. En parallèle, la précarité énergétique se creuse : 20 % des ménages rapportent avoir souffert du froid dans leur logement pendant au moins 24 heures, en 2021.

La commission des Lois du Sénat a auditionné, mercredi 13 octobre, Frédéric Gonand, professeur d’économie à l’université Paris Dauphine et ancien commissaire de la Commission de régulation de l’énergie sur ce sujet hautement sensible.

Une envolée des prix principalement due à des facteurs conjoncturels

Première interrogation : quelles sont les causes qui ont conduit à cette augmentation brutale des prix de l’énergie ? « L’explosion du prix du gaz sur le marché en 2021 est le résultat d’un concours de mauvaises circonstances un peu extraordinaires. 7 ou 8 facteurs se cumulent et sont pour l’essentiel conjoncturels », expose Frédéric Gonand. Parmi ces facteurs, il cite la reprise mondiale et simultanée de l’activité économique après la crise sanitaire. Une demande forte qui affecte forcément les prix du marché.

Par ailleurs, la France et l’Europe sont largement dépendantes de la Norvège et de la Russie. Pour la Norvège, la baisse de la production s’explique par les arrêts des travaux de maintenance en mer du Nord durant l’année 2020 à cause de la pandémie. Le dossier Russe est, lui, plus complexe. Frédéric Gonand souligne que notre dépendance au gaz russe est raisonnable, « nous ne sommes pas aux mains des Russes ».

L’entreprise russe, Gazprom, reste par ailleurs « liée par des contrats de longs termes qui définissent très précisément le montant de gaz qui doit être livré en fonction de la demande de ses clients ». Cependant, Gazprom bénéficie d’une « petite marge de manœuvre » en choisissant ou non d’alimenter une partie du tuyau ukrainien. « Ils ne l’ont pas fait […] donc évidemment il y a une explosion du prix du gaz et on a toutes les raisons de penser qu’ils ne s’en sont pas privés », explique l’économiste.

Hausse des prix : « Il est plutôt raisonnable de penser que ça va se calmer »

Les prix du gaz ont augmenté d’environ 12,5 % en octobre et ceux de l’électricité pourraient augmenter dans une même proportion en février. Pour autant, l’économiste s’est montré relativement optimiste pour la suite. « Les prix vont sans doute rester sensiblement plus hauts que leur niveau moyen dans les prochains mois. La bonne nouvelle est que, vu le concours de circonstances un peu incroyable, il est plutôt raisonnable de penser que ça va se calmer dans les mois qui viennent », avance le professeur d’économie.

Si la flambée des prix impressionne, il rappelle que les prix de l’énergie sont parmi les plus volatils. « Depuis deux semaines, le prix du gaz a été divisé par deux », pointe-t-il. Selon l’économiste, « le prix du gaz va redescendre, la question est de savoir à quel rythme ». Deux éléments seront déterminants : « les Russes et la météo. L’évolution du prix du gaz sera en partie liée à la météo, s’il fait froid cet hiver, la baisse du prix du gaz ne sera pas pour cet hiver », prédit-il.

Sur le long terme, les avancées technologiques permettront le stockage de l’électricité. Une source d’optimisme. « Ce mécanisme de stockage va lisser les prix, le coût de production baisserait de 20 à 30 % », assure Frédéric Gonand.

Stocks de gaz européens : une fausse bonne idée

La création de stocks de gaz européens a été évoquée pour résoudre la crise, a rappelé Dominique Estrosi Sassone, sénatrice LR des Alpes-Maritimes. Une fausse bonne idée pour l’économiste. « Normalement, on essaie de faire en sorte que l’activité de stockage soit plutôt gérée dans le cadre d’un environnement de marché, avec des opérateurs privés qui compriment leur coût avec la concurrence. La Commission européenne n’y consentirait pas facilement et ce serait une inflexion très sensible du marché européen du gaz », argue Frédéric Gonand.

En outre, ces stocks européens ne sauraient garantir une indépendance énergétique : « Il faut bien remplir ces stocks, si vous les remplissez avec du gaz russe vous n’avez pas diminué votre dépendance énergétique ».

Pour le professeur d’économie, une des solutions à la crise énergétique pourrait plus simplement prendre la forme d’une « sobriété énergétique » à grand renfort de pulls en laine et de maillots de corps. Une proposition qui n’a pas fait sourire le sénateur communiste, Fabien Gay. « Certains sont obligés parce qu’ils ne peuvent pas payer le chauffage », a grincé le sénateur.

Les sénateurs taclent « la réaction balbutiante des pouvoirs publics »

Toujours sur le volet solutions, les sénateurs ont étalé leurs désaccords avec la réponse du gouvernement. Laurent Duplomb, sénateur LR de Haute-Loire, a fustigé l’absence de stratégie révélée par cette crise. Dominique Estrosi Sassone a, elle, épinglé « la réaction balbutiante des pouvoirs publics ».

Le Premier ministre a annoncé le 30 septembre dernier la mise en œuvre d’un bouclier tarifaire avec un blocage des tarifs réglementés du gaz à partir d’octobre. Une limitation à 4 % de la hausse des tarifs réglementés de l’électricité, ainsi que la mise en place de chèques énergie (lire notre article).

Cette dernière mesure chiffonne l’économiste : « Quand vous donnez un chèque de 100 euros à quelqu’un en précarité énergétique, il y a quand même une probabilité assez élevée qu’il soit dans une passoire énergétique. Si on a de l’argent à mettre sur la table à court terme, pourquoi on n’en mettrait pas davantage sur une isolation thermique un peu accélérée et au forceps », interroge-t-il. Faut-il mettre d’autres mesures d’urgence en place ? La réponse est non pour l’économiste : « Comme le gouvernement a pris des mesures relativement temporaires, j’aurais tendance à lui suggérer de ne pas en faire plus, de ne pas creuser le déficit ».

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