Parquet européen et justice pénale spécialisée : le Sénat entre satisfecit et corrections

Parquet européen et justice pénale spécialisée : le Sénat entre satisfecit et corrections

Les sénateurs entament l’examen d’un projet de loi pour adapter notre législation à la création du Parquet européen. Il fait consensus. Sur un autre volet, le texte comporte des dispositions pour renforcer les juridictions spéciales, notamment dans les affaires environnementales.
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Ce sera bientôt l’épilogue d’un long feuilleton, dont on parle depuis les années 2000. Le Sénat examine ce mardi en première lecture un projet de loi relatif au Parquet européen et à la justice spécialisée. Elle est la première chambre saisie. Ce nouveau texte du ministère de la Justice doit préparer la France à l’arrivée de cette nouvelle autorité judiciaire, en adaptant notamment notre Code de procédure pénale. Le projet de loi propose également de renforcer certaines juridictions spécialisées et d’améliorer la lutte contre la grande délinquance environnementale. Le projet de loi servira également de véhicule législatif pour diverses mesures dans une troisième partie fourre-tout.

Sur les rails depuis un règlement européen de 2017, le Parquet européen est un exemple de coopération renforcée dans le domaine judiciaire en Europe puisqu’il réunira 22 des 27 États membres de l’Union européenne. Son rôle est assez restreint. Il consiste à enquêter et engager des poursuites pour toutes les infractions qui portent atteinte au budget de l’Union européenne. Loin d’être un détail à l’heure le cadre pluriannuel financier de l’UE fait l’objet d’âpres négociations à Bruxelles. Selon le Conseil de l’Union européenne, « la fraude transnationale prive chaque année les États membres d’au moins 50 milliards d’euros de recettes de TVA ».

Un Parquet européen « conforme » aux souhaits du Sénat exprimés en 2013

Le mode d’emploi du futur Parquet européen, qui doit entrer en service en novembre, devrait emporter l’adhésion d’une majorité assez large au Sénat. Lors de l’examen en commission des Lois, le rapporteur Philippe Bonnecarrère (Union centriste) a qualifié ce nouveau cadre d’enquête de « relativement simple et pragmatique », qu’il s’agisse de sa construction ou de son intégration.

En l’occurrence, l’articulation entre l’échelon européen et national fait relativement consensus au Sénat. Le procureur général et son collège de procureurs (un par État) seront essentiellement chargés de la stratégie, de la coordination. Au niveau de chaque État, des procureurs européens délégués seront nommés pour mener les enquêtes et engager les poursuites. Les décisions opérationnelles restent du ressort des chambres permanentes de chaque nation. Pour obtenir, par exemple, des mesures privatives de liberté, le Parquet européen devra solliciter le juge des libertés et de la détention. « La structure du Parquet européen, dans sa conception actuelle, est une victoire du Sénat », a applaudi en commission des Lois la centriste Sophie Joissains. En 2013, la Haute assemblée s’était opposée dans une résolution au premier projet de la Commission européenne, à l’instar d’autres parlements de l’Union.

« Plus respectueux » de notre système judiciaire, ce Parquet européen devrait globalement satisfaire des approches politiques différentes, selon Philippe Bonnecarrère. « Si vous défendez une construction plus intégrée de l’Union européenne, vous saluerez sa création. Si, au contraire, vous êtes souverainiste, vous apprécierez son organisation. »

Principale modification du Sénat en commission : mieux encadrer le pouvoir des futurs procureurs européens délégués pendant la phase de l’instruction. Ils ont tenu à préciser les conditions à remplir pour certaines mesures, comme les écoutes téléphoniques.

Nouvelles innovations pour le traitement des délits environnementaux ou pour le parquet national financier

Le projet de loi présenté par Nicole Belloubet ne se contente pas d’adapter le droit national à une nouvelle institution européenne. Le texte en profite pour servir de véhicule législatif à d’autres dispositions qui vont renforcer plusieurs volets de la justice pénale spécialisée.

Plus que la partie consacrée au Parquet européen, assez technique, la véritable innovation du projet de loi se niche dans l’article 8, avec la création, dans chaque cour d’appel, de tribunaux spécialisés dans les cas d’atteintes à l’environnement, où de gros enjeux financiers sont en jeu. Ces nouveaux pôles seraient compétents en matière civile et pénale. L’idée est de faciliter la réponse dans des affaires dirigées contre des personnes morales. Ce que ne permettent pas les mécanismes actuels, souligne l’étude d’impact du projet de loi. En clair : il s’agit d’en finir avec la faible judiciarisation des dommages environnementaux.

Ces juridictions spécialisées devraient traiter essentiellement d’infractions à la loi pour les établissements classés. Certes, il existe déjà deux pôles spécialisés en France pour les atteintes graves à l’environnement, et six juridictions pour le littoral pour les pollutions marines. Pour autant, le sénateur Philippe Bonnecarrère n’y voit pas un « texte d’opportunité » après le drame de Lubrizol. Mais plutôt une opportunité d’accroître les compétences des magistrats sur ce type d’affaire.

Le projet donne la possibilité aux procureurs de recourir à des conventions judiciaires d'intérêt public, dans le domaine de l'environnement. Complémentaires aux condamnations pénales, ces conventions visent à assurer la réparation des préjudices écologiques. Elles soumettent à l’entreprise fautive une série d’obligations (cumulatives ou non) : amende, mise en conformité ou encore réparation des dommages. Pour Philippe Bonnecarrère, ces conventions ont déjà fait preuve de leur « efficacité » en matière fiscale.

Deux autres juridictions sont abordées par le projet. Le parquet national antiterroriste prendrait en charge les crimes et délits contre les intérêts fondamentaux de la nation, comme des dossiers d’espionnage. Quant au parquet national financier, il pourrait être compétent pour les pratiques anticoncurrentielles (entente, abus de position dominante, abus de dépendance économique).

Retour de la peine d’interdiction de paraître dans les transports en commun

Premier texte judiciaire à l’agenda parlementaire depuis la loi de programmation et de réforme pour la justice de 2018, ce projet de loi est aussi l’occasion pour le gouvernement de corriger certains loupés. Il réintroduit à l’article 11 la peine complémentaire d’interdiction de paraître dans les transports en commun, s’adressant notamment aux « frotteurs » ou aux personnes condamnées pour vol à la tire. Cette disposition avait été introduite dans la loi d’orientation des mobilités de 2019, avant d’être censurée par le Conseil constitutionnel. Il s’agissait d’un cavalier législatif (une mesure sans rapport avec l’objet du projet de loi concerné).

Sensibles au respect des libertés publiques, les sénateurs ont adouci le dispositif en commission. Le juge devrait ainsi tenir des contraintes de la personne condamnée, en autorisant par exemple un usage des transports publics pour se rendre au travail (mais pas pendant les jours de repos). Le champ de l’interdiction est aussi limité : le juge pourra décider d’interdire « tout ou partie » du réseau. Pour les mineurs, la durée de l’interdiction de paraître est aussi ramenée de trois à un an.

Les sénateurs veulent aussi que l’interdiction soit communiquée par les préfets aux réseaux de transport, en se servant du fichier des personnes recherchées. La Chancellerie avait d’ailleurs exprimé sa volonté d’aller dans ce sens.

La première lecture au Sénat, qui précède celle de l’Assemblée nationale, est prévue ce mardi 25 février.

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