Retraites : après le 49-3, découvrez le 47-1, l’autre arme du gouvernement pour faire passer la réforme à l’Assemblée

Retraites : après le 49-3, découvrez le 47-1, l’autre arme du gouvernement pour faire passer la réforme à l’Assemblée

Alors que le gouvernement s’apprête à réformer les retraites dans un budget rectificatif de la Sécurité sociale, cette option pourrait permettre à l’exécutif d’éviter d’avoir recours à un 49-3 en jouant sur les délais d’examen des lois de financement de la Sécu prévus à l’article 47-1 de la Constitution. Au bout de 20 jours de débat à l’Assemblée, le texte pourrait être transmis sans vote au Sénat.
Louis Mollier-Sabet

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47-1 is the new 49-3. La réputation de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution n’est plus à faire, notamment après son utilisation par Manuel Valls à six reprises, au moment des lois Macron et Travail en 2015-2016, et par Élisabeth Borne à dix reprises pour faire passer les textes budgétaires de l’automne dernier. L’engagement de la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale, qui permet à l’exécutif de faire passer un projet de loi à l’Assemblée – sauf motion de censure – est une arme constitutionnelle bien connue. Mais elle comporte aussi un risque politique fort, tant ces trois chiffres sont devenus synonymes de passage en force dans l’opinion.

47-1 : le budget de la Sécu peut être transmis au Sénat sans vote après 20 jours de débat à l’Assemblée

D’autant plus que cette arme a un coût : le gouvernement ne peut – en dehors des textes budgétaires – y recourir qu’une fois par session parlementaire. Une sorte de quota qui date de la réforme constitutionnelle de 2008, particulièrement important dans un contexte de majorité relative à l’Assemblée nationale. En effet, jusqu’en juin, l’exécutif ne pourra donc recourir au 49-3 que sur un seul texte. Une petite musique court donc depuis septembre dernier et la mise à l’agenda de la réforme des retraites : l’exécutif pourrait avoir recours à un budget rectificatif de la Sécu. Une contrainte de forme qui l’oblige à envisager cette réforme sous un angle financier uniquement, mais qui présente un avantage certain : en cas de minorité à l’Assemblée, Élisabeth Borne pourrait recourir au 49-3 « gratuitement », sans entamer le quota de la session parlementaire qui court jusqu’en juin prochain, puisqu’il s’agirait alors d’un texte budgétaire.

Même avec l’accord qui semble se dessiner avec la droite, qui assurerait une majorité de députés à l’exécutif, l’obstruction parlementaire, et le dépôt de milliers d’amendements comme en 2019-2020 pourrait obliger le gouvernement à recourir au 49-3 pour faire adopter le texte à l’Assemblée nationale. Mais le climat social s’annonçant déjà tendu dans un contexte de fortes tensions inflationnistes, le gouvernement pencherait sur une autre option d’après Politico : l’article 47-1 de la Constitution. Assez différent dans sa conception de son illustre aîné, cet article régit simplement les délais d’adoption des lois de financement de la Sécurité sociale. Son deuxième alinéa prévoit que « si l’Assemblée nationale ne s’est pas prononcée en première lecture dans le délai de vingt jours après le dépôt d’un projet, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de quinze jours. »

« Je n’ai pas souvenir que ce soit arrivé sous la Vème République »

Les délais d’adoption des textes budgétaires sont en effet contraints. D’ailleurs si, pour une raison ou une autre, le Parlement n’arrive pas à trouver d’accord sur le budget de l’Etat ou de la Sécu, la Constitution prévoit que le gouvernement peut « mettre en vigueur les dispositions » du projet de loi de finances par ordonnance. L’exécutif pourrait ainsi bien laisser traîner les débats à l’Assemblée et transmettre le texte au Sénat sans vote, où il pourrait ainsi directement se mettre d’accord avec la majorité sénatoriale en vue de la commission mixte paritaire où les parlementaires de la majorité présidentielle auraient la majorité avec les parlementaires de droite.

« Théoriquement, c’est possible », confirme Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’université Paris Panthéon-Assas. « Le gouvernement reste relativement maître de la chose et peut transmettre le texte directement au Sénat. » Le texte n’étant pas considéré comme voté par l’Assemblée, le gouvernement « redéploie le texte tel quel au Sénat et peut réintroduire des dispositions par amendements tels qu’ils ont été adoptés à l’Assemblée », précise-t-il alors.

Toutefois, toutes ces considérations sont à prendre avec des pincettes, insiste bien le constitutionnaliste, notamment parce qu’il n’existe – à sa connaissance – pas de précédents : « On a eu des précédents sur les lois de finances, notamment sur la question de l’application par ordonnance à la suite d’un rejet. Mais si on parle de ne pas respecter les délais pour des raisons liées au Parlement, ce qui conduit à une transmission automatique, je n’ai pas souvenir que ce soit arrivé sous la Vème République. »

« On a peu de jurisprudence parce que personne n’a jamais essayé de faire ça »

Une situation inédite, donc, qui tient à la stratégie politique du gouvernement « d’instrumentaliser le budget rectificatif de la Sécu pour faire passer des ronds dans des carrés », estime le Benjamin Morel. « Chaque constitutionnaliste à son avis sur la question. La réalité c’est qu’on n’a peu de jurisprudence sur le sujet, parce qu’en fait personne n’a jamais essayé de faire ça. On n’a donc pas beaucoup de réponses, mais des interprétations doctrinales que le Conseil constitutionnel n’est pas obligé de suivre », tempère-t-il.

Cette démarche inédite pose d’ailleurs la question des thématiques que le gouvernement pourra constitutionnellement aborder au sein de ce budget rectificatif de la Sécurité sociale sans être censuré par le Conseil constitutionnel. Contactés par publicsenat.fr, plusieurs publicistes et juristes parlementaires avaient déjà exprimé les incertitudes qui pesaient sur ce que le gouvernement pourrait intégrer par ce véhicule législatif, notamment en matière de pénibilité, de réforme des régimes spéciaux ou d’emploi des séniors.

Censure du Conseil constitutionnel ? « Je ne mettrais pas ma main à couper »

Deux constantes ressortent tout de même, résumées par le constitutionnaliste : « Si vous vous lancez dans une réforme globale du système, ça ne passe pas par un budget de la Sécu, ce n’est pas dans l’esprit de la Constitution. Maintenant, la jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière de ‘cavaliers sociaux’ n’est pas extrêmement sourcilleuse, notamment parce qu’elle accepte un impact indirect sur les finances de la Sécu. Donc est-ce que ça mènerait à une censure ? Je ne mettrais pas ma main à couper. »

En clair : si l’utilisation d’un budget rectificatif de la Sécu pour une réforme sociale d’ampleur est inédite et semble contrevenir à l’esprit de la loi, elle apparaît – au cas par cas – techniquement envisageable. Serait alors évoquée la possibilité d’un projet de loi ultérieur qui comprendrait les dispositions qui n’auraient pas pu être intégrées dans un budget de la Sécu. En revanche, si le gouvernement choisit effectivement de laisser courir les débats parlementaires et d’utiliser les contraintes sur les délais fixées par la Constitution sur les textes budgétaires, l’exécutif entrera alors en terrain inconnu. « Il faut être prudent, on est dans le flou », conclut Benjamin Morel.

En passant par un texte budgétaire, le gouvernement se dote donc de plusieurs armes pour contrer une éventuelle obstruction parlementaire, voire une mise en minorité à l’Assemblée nationale. Mais il s’engage aussi sur une ligne de crête juridique qui sera peut-être plus difficile à tenir. Élisabeth Borne devrait apporter les premiers éléments de réponse ce soir lors de la présentation du projet de réforme du gouvernement.

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