Vache folle : quand le Sénat remontait la piste des farines animales

Vache folle : quand le Sénat remontait la piste des farines animales

Alors que la commission d’enquête du Sénat sur le coronavirus reprendra ses travaux en septembre, retour sur un autre scandale sanitaire qui, il y a 20 ans, a également donné lieu à une mission de contrôle de la Haute assemblée. Elle conduira notamment à imposer la mention de la catégorie et de la race sur l’étiquetage de la viande bovine. Premier épisode de notre série d’été sur les grandes commissions d’enquête du Sénat.
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Lors de ses vœux du 31 décembre 2000, le Président, Jacques Chirac dresse un bilan de la dernière année du millénaire : « Un temps de prise de conscience (…) des risques que peuvent engendrer l'activité humaine. » Parmi ces risques, le chef d’État, de sa voix enrouée, cite « la crise de la vache folle », « conséquence directe ou indirecte d’une modernité insuffisamment contrôlée, insuffisamment soucieuse des hommes et de leur avenir », met-il en garde.

La viande bovine interdite dans les cantines scolaires

À l’époque cela fait pourtant 15 ans que l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), autrement appelée la maladie de la vache folle, est connue. Mais ces derniers mois, la psychose est montée d’un cran en France, allant jusqu’à conduire à l’adoption d’une résolution au Sénat le 20 novembre 2000, « tendant à la création d'une commission d'enquête sur les conditions d'utilisation des farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage et les conséquences qui en résultent pour la santé des consommateurs ». En cause ? La détection dans un abattoir normand d’un animal suspect qui entraînera le rappel de la viande issue du même troupeau par le distributeur Carrefour. 

S’en suit, une série de reportages très alarmistes, montrant des vaches peinant à se déplacer ou de cadavres de bovins incinérés, dont une soirée spéciale sur M6 intitulée « Vache folle, la grande peur » qui, selon le rapport d’enquête de la commission, s’attardait « avec une certaine complaisance sur les derniers moments et l’agonie de jeunes malades touchés par le nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob ». De quoi selon les sénateurs, « troubler profondément l’opinion ». La viande bovine est d’ailleurs interdite pendant plusieurs mois dans les cantines scolaires.

« La modélisation de la contamination tablait sur des milliers de morts »

« Remettons-nous dans le contexte de l’époque. Le scandale du sang contaminé est encore dans toutes les têtes. La modélisation de la contamination tablait sur des milliers de morts. Au final, il n’y en a eu qu’une centaine », se souvient Jean Bizet, le rapporteur LR de la commission d’enquête.

La découverte de l’ESB remonte à 1986, par le laboratoire vétérinaire du secrétariat d’État britannique de l’Agriculture qui diagnostique cette maladie chez plusieurs bovins au Royaume-Uni. La contamination est due à l’absorption de farines animales par les bovins, plus précisément de farines de viandes composées de déchets en tout genre : cadavre de vaches, de poissons, de chiens, de chats, d’animaux de laboratoires, de zoo ou encore d’abats. La méthode de fabrication de ces farines permet le développement d’un agent infectieux, le prion, qui infecte la cervelle de plus de 200 000 vaches anglaises.

En 1988, le gouvernement anglais interdit l’utilisation de ces farines mais son exportation reste autorisée. Les prix baissent mécaniquement et la France en achètera 16 000 tonnes en un an, quatre fois plus que les années précédentes avant d’en interdire l’importation en 1989. L’année suivante, la France interdira l’utilisation des farines de viande dans l’alimentation des bovins.

« La présentation initiale était pour calmer les foules »

Auditionné par la commission d’enquête du Sénat, le ministre de l’agriculture socialiste entre 1988-1990, Henri Nallet, indiquera n’avoir « aucun souvenir » que la question de l’ESB ait été évoquée auprès de lui. « Je pense que les autorités publiques britanniques en 1988-1989 n’ont pas joué le jeu. (…) Elles ont retenu l’information. On ne m’a pas prévenu. (…) Du point de vue de la responsabilité publique, une telle attitude est injustifiable », fustigera-t-il.

L’information a pourtant bien été transmise à la France et aux autres États membres. « La présentation initiale était pour calmer les foules tournées vers le fait que c’était une maladie animale et qu’il n’y avait donc pas de problèmes particuliers vis-à-vis de l’homme, point à la ligne. (…) Il y a une tradition britannique de faire de petits communiqués de presse sans faire de publicité particulière », expliquera à la commission d’enquête Jean-Marc Bourginal, conseiller agricole de l’Ambassade de France à Londres entre 1988 à 1990.

« Le credo de l’Europe, c’était le marché unique »

Dès 1990, la France, l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie interdisent les importations de viande bovine britannique, mais menacés de sanctions par la Commission européenne pour une infraction à la libre circulation, l’embargo est levé quelques semaines plus tard. « À l’époque, la sécurité sanitaire n’était pas une compétence d’appui de l’Union européenne. Il n’y avait pas d’investissements communs, d’échanges de matériels ou de transferts de malades comme on a pu le voir avec la crise de la Covid-19. Le credo de l’Europe, c’était le marché unique. Pour autant, dès l’année 1989, la directive 662 imposait aux États membres de veiller au strict respect des conditions de police sanitaire et d’inspection de tous les produits animaux expédiés vers les autres États membres. Une directive que n’a pas respectée le Royaume-Uni », rappelle Jean Bizet

En 1996, l’inquiétude monte d’un cran avec les premiers cas de décès d’éleveurs britanniques atteints par un nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (une dégénérescence du système nerveux). La Commission européenne adopte un embargo total sur les exportations de viandes bovines d’Outre-Manche, le 27 mars 1996. Mais cet embargo est levé partiellement, là encore, quelques semaines plus tard. Cette « attitude de la Commission européenne, plus préoccupée à l’époque par la mise en place du marché unique que de la sécurité sanitaire des aliments, est pour l’essentiel à l’origine de la crise actuelle de la filière bovine », notent les sénateurs dans leur rapport.

Le mur du silence

Si l’utilisation des farines de viande est interdite en France pour l’alimentation des bovins depuis 1990, comment expliquer les cas de vaches contaminées sur le sol français durant la décennie suivante ? La commission d’enquête chiffrait « à quinze fois plus de cas d’ESB français nés après l’interdiction des farines que de cas nés avant l’interdiction des farines ». Importation frauduleuse ? réétiquetage ? En déplacement dans les Côte d’Armor, chez les fabricants d’aliments importateurs de farines, les sénateurs se heurteront au mur du silence. « Tout le monde dit : j’ai respecté la législation et je n’ai pas de preuves que ce ne soit pas le cas » répondra doctement un intervenant.

La piste de la contamination croisée sera celle privilégiée par la commission d’enquête. « L’absence de séparation des circuits industriels des aliments destinés aux ruminants et autres espèces a occasionné la présence de reliquats dans les chaînes de fabrication, les cellules de stockage et les véhicules de transport, réalisant des contaminations croisées réduites mais significatives », précisera à la commission, Jean-Jacques Réveillon, directeur de la Brigade nationale d’enquête vétérinaire (BNEV).

Pour les sénateurs de gauche, « la commission n’a pas poussé très loin ses investigations »

Le 17 mai 2001, la commission d’enquête rend son rapport et formule 13 propositions. Parmi lesquels l’interdiction définitive de l’utilisation des farines carnées ou encore imposer la mention de la catégorie et de la race sur l’étiquetage de la viande bovine. Les sénateurs socialistes et communistes de la commission n’adopteront pas le rapport et s’abstiendront considérant que les conclusions de la commission dédouanent les fabricants d’aliments.

« La commission n’a pas poussé très loin ses investigations puisque certaines affaires sont aujourd’hui portées en justice et c’est à la justice de faire son travail », regrettera, lors de la conférence de presse, le sénateur socialiste François Marc.

« Les fabricants d’aliments nous disaient qu’ils n’étaient pas suffisamment informés sur les farines animales », répond aujourd’hui Jean Bizet, qui reconnaît toutefois que « la nature humaine est faible et l’appât du gain n’est pas à exclure ».

Le principe de précaution inscrit dans la constitution

L’actuel président de la commission des affaires européennes du Sénat préfère retenir de l’épidémie de la vache folle, « une crise qui a fait progresser l’Union. Cet épisode a peu de chances de se reproduire, car l’Europe est désormais dotée d’une autorité de Santé » (Centre européen de prévention et contrôle des maladies NDLR). « En France, la crise de la vache folle a également conduit à l’inscription dans la Constitution en 2005 du principe de précaution », ajoute-il.

Toutefois, chat échaudé craint l’eau froide, Jean Bizet, co-auteur d’un rapport d’information du Sénat sur le Brexit, met en garde : « Au 1er janvier 2021 (date de l’entrée en vigueur de l’accord UE / Royaume-Uni NDLR), il sera impératif de mettre en place des contrôles sanitaires et phytosanitaires aux frontières et dans les ports ».

Pour en savoir plus sur ce sujet : voir ou revoir le documentaire de Public Sénat « Farines animales : les coulisses d'une enquête » (2002)

[Doc] Farines animales : les coulisses d'une enquête (2002)
51:33

 

 

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