Pour Dominique Rousseau, « Il y a longtemps que l’on est dans la VII, VIII et IXe République »

Pour Dominique Rousseau, « Il y a longtemps que l’on est dans la VII, VIII et IXe République »

Après 60 ans d'existence, et après 24 ajustements ou réformes la cinquième république est-elle toujours fidèle au texte initial de 1958 ? De l’élection du président au suffrage universel voulue par de Gaulle, aux renforcements des pouvoirs des citoyens en 2008 sous Nicolas Sarkozy, l'info dans le rétro revient sur les changements constitutionnels qui ont marqué la constitution.
Public Sénat

Par Adrien BAGET

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En 2012 en pleine compagne électorale, place de la République le candidat Jean-Luc Mélenchon appelle à une VIe République. Pour Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel à l’Université de Montpellier, « Il y a une constance de la gauche depuis 1958 (...) la gauche n’a pas accepté la manière dont le général de Gaulle était revenu au pouvoir. Pierre Mendès France et François Mitterrand étaient hostiles au jeu politique de la 5eme. Et le spécialiste de la constitution d'ajouter « L’actuelle Ve République n’a plus rien à voir avec la République voulue en 1958 par le Général de Gaulle (...) l'élection au suffrage universel du Président de la République, la création du conseil constitutionnel alors qu'il n'existait pas en 1958, il y a longtemps que l’on est dans la 7, 8 et IXe République ».

"Il y a donc un abus de langage car il y a très longtemps que l’on est dans la 7, 8° et 9°République".

La première grande modification de la Constitution

En octobre 1962, soit quatre petites années seulement après son adaptation, la constitution est déjà réformée. Sollicités par référendum, les Français disent oui à plus de 62 % à l’élection du Président de la République au suffrage universel direct. Pour Dominique Rousseau « C’est pour le Général de Gaulle un moyen de faire passer ce qu’il ne pouvait pas faire en 1958, car les forces de gauches étaient hostiles à l’élection populaire du chef de l’État (…) c’est avant tout pour ses successeurs, parce que cela leur donnera une légitimité dont le général de Gaulle n‘a pas besoin (…) le paradoxe c’est qu’il introduit une élection qui va faire du président un capitaine qui appartient à un camp et qu’il dirige, plus qu’un arbitre ». Il s’agit d’un tournant dans la Ve République, car pour Jean-Claude Casanova, fondateur de la revue Commentaire et membre de la Commission pour la révision de la Constitution en 2007, « l’élection du président de la République au suffrage universel modifie fondamentalement le régime et il va préparer toutes les étapes faciles et difficiles qui vont se produire ».

La réforme constitutionnelle qui ne passe pas

En 1969, le général de Gaulle tente de nouveau de réformer la Constitution et propose une fusion du Conseil économique et Social avec le Sénat ainsi qu'un transfert de pouvoir aux régions. Cette fois-ci les Français disent non à la réforme voulue par le chef de l'État ce qui précipite son départ. Pour Dominique Rousseau, « l’objectif de Gaulle, c’était de récupérer une légitimité volée par Georges Pompidou qui devient le véritable chef de la droite après la dissolution de mai 68, ce que de Gaulle n’accepte pas et ce référendum doit lui permettre de se redonner une légitimité, mais nous sommes en 1969 et plus en 1962 et il va perdre ce référendum ». Une défaite expliquée en grande partie par l'opposition des sénateurs qui voyaient dans cette réforme une attaque contre le bicamérisme.

La saisine parlementaire

En 1974, la troisième grande révision de la Constitution vise cette fois plus à renforcer les droits des parlementaires. C’est Valéry Giscard d’Estaing qui propose la saisine du conseil constitutionnel par les parlementaires. Dorénavant 60 députés ou sénateurs peuvent saisir le Conseil Constitutionnel pour demander si une loi est conforme ou non à la Constitution. Pour Dominique Rousseau, « c’est le début d’une garantie de droit car en 1974 on entre dans la pratique de faire contrôler par une juridiction la constitutionnalité des lois comme aux États-Unis (…) autrement dit le vote de la loi au Parlement ne suffit plus pour garantir qu’elle exprime la volonté générale, on permet à la minorité de saisir le Conseil Constitutionnel, c’est un progrès ».

La mise en place du quinquennat

Pour autant certaines réformes constitutionnelles loin d'asseoir le pouvoir du Président, révèlent plutôt des fractures au sein du pouvoir comme en 2000 où les Français lors d’un référendum acceptent le passage du septennat au quinquennat. Jacques Chirac qui s'y était opposé en 1999, contrairement à son Premier Ministre Lionel Jospin qui cherche à passer en force, finit par s'y résoudre et y voit une possibilité de réélection. Un enjeu politique et partisan mais qui n'étonne pas Jean-Claude Casanova pour qui « toute modification de la Constitution est par définition une modification de la vie politique, et donc les acteurs de cette vie politique sont concernés ». Pour Dominique Rousseau, « l’initiative de la Révision n’appartient pas au Président mais au Premier Ministre et le seul pouvoir de Jacques Chirac est de dire oui ou non, on le voit mal dire non à une réforme qui est populaire et qui est proposée par son Premier Ministre, d'autant plus qu'il y a eu aussi une alliance amusante entre Valéry Giscard d'Estaing et Lionel Jospin pour faire en sorte que Jacques Chirac ne fasse pas deux septennats complets, car il avait empêché la réélection de Valéry Giscard d'Estaing – N.D.L.R. : secrètement en 1981 Jacques Chirac aurait soutenu la candidature au second tour de François Mitterrand ».

Révision constitutionnelle
00:29

La révolution de la QPC

En 2008 Nicolas Sarkozy veut lui aussi réformer la cinquième République. Dans les journaux télévisés du soir la réforme est présentée comme une série d'ajustements, et pourtant elle introduit une nouvelle notion de droit : la "QPC" pour question prioritaire de constitutionnalité. Déjà imaginée par François Mitterrand en 1993, la QPC permet désormais aux citoyens demander à vérifier la constitutionnalité des lois qui leur sont opposées. Les premières "QPC" sont déposées dès 2010 notamment sur le droit au mariage pour les couples homosexuels. Pour Dominique Rousseau « cette révision de 2008 c'est davantage de pouvoir donner aux citoyens qu’aux élus (...) QPC est un droit nouveau pour le justiciable de contester la constitutionnalité des lois votées par leurs représentants. Les citoyens peuvent agir sur la fabrication de la loi et peuvent demander au Conseil Constitutionnel de gommer la loi ».

 

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