Réforme des retraites : participer à une manifestation non déclarée est-il illégal ?

Réforme des retraites : participer à une manifestation non déclarée est-il illégal ?

Alors que les manifestations spontanées en réaction au 49-3 se multiplient dans toute la France, avec des heurts particulièrement violents à Paris, la question de l’encadrement juridique du droit de manifester se pose. Participer à une manifestation non déclarée ne constitue pas un délit, mais la Préfecture de police assure que les manifestants arrêtés l’ont été pour des « infractions caractérisées. »
Louis Mollier-Sabet

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Pour justifier les scènes observées dans des manifestations spontanées lors des soirées qui ont suivi l’activation du 49-3 par le gouvernement jeudi dernier, et les 287 arrestations en France ce lundi soir – dont 234 à Paris – Laurent Nunez, préfet de police de Paris, a déclaré sur BFM – TV ce mardi que ces manifestations « n’étaient pas déclarées, organisées. » Pourtant, le simple fait de participer à une manifestation non déclarée ou interdite n’est pas illégal, et ne peut justifier à lui seul d’une arrestation.

Le préfet de police poursuit en expliquant « laisser se dérouler tous les cortèges qui démarrent dans le calme » et « intervenir » en cas « d’exactions » seulement. Pourtant, jeudi dernier, place de la Concorde, 292 personnes ont été interpellées, et neuf ont finalement été déférées, un ratio qui pose question sur la pertinence des arrestations dans ces manifestations, puisque les exactions décrites par Laurent Nunez peuvent évidemment donner lieu à une judiciarisation. Mais alors, quel est l’encadrement précis du droit de ces manifestations non déclarées ou interdites en France ?

En France, les manifestations sont soumises à une déclaration préalable

« La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi », peut-on lire à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. La décision du Conseil constitutionnel du 4 avril 2019 considère explicitement que « le droit d’expression collective » des idées, comme la manifestation, découle de cet article 11 et que par conséquent, le droit de manifester est un droit fondamental.

Cependant, ce droit fondamental, aussi garanti par le droit international, est encadré par le droit français, et notamment le décret-loi du 23 octobre 1935, qui réglemente les manifestations sur la voie publique, et les soumet à une déclaration préalable. Cette déclaration doit être faite auprès de la mairie – ou de la Préfecture de police à Paris – et comporter certaines informations obligatoires sur les organisateurs, le motif de la manifestation ainsi que le parcours.

Le droit français laisse une assez grande marge de manœuvre aux autorités compétentes pour interdire une manifestation : celle-ci doit représenter un « réel danger » de troubles graves à l’ordre public et il ne doit pas exister d’autre moyen efficace que l’interdiction pour empêcher ces troubles. Une fois interdite, les organisateurs doivent être notifiés et peuvent saisir le juge administratif, qui peut statuer sur la proportionnalité de l’interdiction.

Mais la simple participation à une manifestation non déclarée ne constitue pas un délit

Par conséquent, une manifestation qui n’a pas été (correctement) déclarée ou qui n’a pas été autorisée devient – de fait – illégale. Mais, si elle se déroule quand même, c’est son organisation qui est punie par la loi. L’article 431-9 du Code pénal punit effectivement de six mois d’emprisonnement et de 7500 euros d’amende l’organisation d’une manifestation sur la voie publique n’ayant pas fait l’objet de déclaration préalable, ayant été interdite légalement ou bien ayant fait l’objet d’une déclaration inexacte.

Tant que les forces de l’ordre n’enjoignent pas à la dispersion – tel que codifié par l’article L211-0 du Code de la sécurité intérieure, avec notamment deux sommations – la simple participation à une manifestation spontanée, même interdite, ne constitue pas un délit. En effet, l’article 431-3 du Code pénal précise que tout attroupement – rassemblement de personne sur la voie publique susceptible de troubler l’ordre public – peut être dispersé par les forces de l’ordre. Celles-ci doivent procéder à deux sommations avant la dispersion, sauf s’ils font l’objet de « voies de fait ou de violences », auquel cas ils peuvent « immédiatement faire usage de la force. »

Le préfet de Police assure que les manifestants ont été arrêtés pour des « infractions constituées »

Si participer à une manifestation non déclarée ne constitue pas un délit, théoriquement, une contravention de 4ème classe peut être délivrée : la désormais fameuse amende de 135 euros. Mais une décision de la Cour de cassation du 14 juin 2022 a conclu que cela ne s’appliquait pas à la seule participation à une manifestation non déclarée. Une manifestante avait été verbalisée pendant une manifestation interdite lors de l’état d’urgence sanitaire. Sans contester la légalité de l’interdiction de la manifestation, la Cour de cassation a tout de même jugé qu’aucune « disposition légale ou réglementaire n’incrimine le seul fait de participer à une manifestation non déclarée », et qu’il ne pouvait donc pas donner lieu à une contravention.

Toutefois, ceci ne concerne que la simple participation à une manifestation non déclarée. Beaucoup d’autres motifs constituent des délits et justifient une arrestation dans une manifestation spontanée comme la dissimulation du visage lors de troubles à l’ordre public, la rébellion, l’outrage, le port d’une arme, la destruction du bien ou des violences commises à l’encontre des forces de l’ordre.

C’est ce que Laurent Nunez a expliqué à BFM-TV pour justifier les interpellations sans suites judiciaires de ces derniers jours : « On interpelle les gens pour des infractions qui – à nos yeux – sont constituées. Ensuite, c’est l’officier de police judiciaire (OPJ) qui décide du placement en garde à vue et, dans les 48h de la garde à vue, sous l’autorité du parquet, on essaie de matérialiser l’infraction. Mais 48h c’est court et parfois on n’a pas caractérisé l’infraction. On est dans un Etat de droit, c’est heureux, donc il n’y a pas de poursuite et un classement. »

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