Ukraine : « Le président russe aime souffler le chaud et le froid », estime Christian Cambon

Ukraine : « Le président russe aime souffler le chaud et le froid », estime Christian Cambon

Américains et Européens espèrent qu’un sommet entre Joe Biden et Vladimir Poutine permettra d’entamer une désescalade en Ukraine. Mais le Kremlin se montre plutôt réservé sur la perspective d’une telle rencontre. Interrogé par Public Sénat, Christian Cambon, le président de la commission des affaires étrangères du Sénat, estime que le président russe ne reculera pas « sans avoir obtenu quelque chose. »
Romain David

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La partition diplomatique entre la Russie et les Occidentaux ressemble de plus en plus à une valse-hésitation au son du fifre et du tambour. Dans la nuit de dimanche à lundi, l’Élysée s’est félicité d’avoir obtenu du président américain Joe Biden et du président russe Vladimir Poutine un accord de principe sur l’organisation d’un sommet entre les deux hommes pour désamorcer la crise ukrainienne. Ce sommet « ne pourra se tenir que si la Russie n’envahit pas l’Ukraine », précise un bref communiqué de la présidence. Emmanuel Macron se serait entretenu deux fois par téléphone avec son homologue russe, qu’il avait déjà rencontré personnellement à Moscou le 7 février. Les deux chefs d’État auraient acté la nécessité de revenir à un cessez-le-feu dans l’est de l’Ukraine, où l’armée fait face depuis 2014 à des séparatistes pro-russes. Mais voilà, lundi matin, Moscou se montrait beaucoup plus réservée sur une éventuelle rencontre avec Joe Biden. « Parler de plans concrets d’organisation de sommet est prématuré », a déclaré Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin, sans pour autant claquer la porte au dialogue diplomatique avec les Occidentaux.

Après de longs mois d’une irrésistible montée des tensions entre, d’un côté, la Russie, et de l’autre l’Ukraine, les États-Unis, l’UE et la Grande-Bretagne, la semaine dernière a été marquée par de multiples rebondissements. Mardi, les Russes ont annoncé le retrait d’une partie des troupes qu’ils massent à la frontière ukrainienne – jusqu’à 190 000 soldats, selon un décompte des Américains – une annonce qui a soulevé le scepticisme des Occidentaux. « S’agit-il d’une rotation ou d’un retrait ? Ayant été moi-même ministre de la Défense, je connais la différence entre une rotation et un retrait… À vérifier », a interrogé Jean-Yves Le Drian, le ministre des Affaires étrangères, lors d’une audition au Sénat. Les États-Unis, de leur côté, continuent d’alerter contre l’imminence d’une invasion, et estiment que la Russie pourrait utiliser les affrontements dans la région du Donbass comme prétexte de déclenchement. Sur Twitter, le ministre ukrainien des Affaires étrangères indique que Kiev va demander une réunion « immédiate » du Conseil de sécurité de l’ONU. Moscou se défend de tout projet d’attaque, mais refuse catégoriquement de voir Kiev adhérer à l’OTAN, et refuse plus globalement l’élargissement de l’Alliance aux anciens pays du bloc soviétique.

Auprès de Public Sénat, le sénateur LR du Val-de-Marne, Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, nous livre son analyse de ces derniers développements. S’il n’évacue pas la possibilité d’une action russe dans le Donbass, une invasion de l’Ukraine lui semble très peu probable.

L’Élysée et la Maison-Blanche nous annoncent dimanche soir un accord de principe sur une éventuelle rencontre entre Joe Biden et Vladimir Poutine. Quelques heures plus tard, le Kremlin se montre beaucoup plus nuancé. Que faut-il en conclure ? Est-ce une manière d’empêcher les Occidentaux de se targuer d’une quelconque victoire diplomatique ?

Christian Cambon – « Le président russe aime souffler le chaud et le froid. Mais au vu de la situation, on ne peut que saluer ces petits pas. L’annonce d’un sommet va dans le bon sens. C’est aussi une bonne nouvelle pour le président de la République en tant que président du Conseil de l’Union européenne. Toutefois, il faut toujours rester prudent avec ce type d’annonce. Il y aura en amont de ce sommet une rencontre entre les ministres des Affaires étrangères [prévue le 24 février à Genève entre le ministre russe Sergueï Lavrov et l’Américain Joe Blinken. Une autre rencontre entre Sergueï Lavrov et le Français Jean-Yves Le Drian se tiendra le lendemain à Paris, ndlr], on verra ce qu’il en sort. Mais la belle diplomatie se gère toujours dans le silence.

Le risque d’une invasion de l’Ukraine, constamment agité par les États-Unis, est-il bien réel ? Est-ce que la Russie instrumentalise la situation dans le Donbass à cette fin ?

Je reste sceptique sur un envahissement de l’Ukraine dans sa totalité. On parle d’un pays de plus de 40 millions d’habitants. De ce que l’on sait, 70 % de la population est opposée à la Russie. Notons aussi qu’ils se sont sensiblement améliorés sur le plan militaire ces dernières années. Les Ukrainiens sont de fiers combattants. On imagine mal la Russie se lancer dans une entreprise pareille. L’enlisement des Américains en Afghanistan et en Irak a servi de leçon. Dans cette affaire, la Russie cherche à s’affirmer comme grande puissance mondiale. Est-ce qu’aujourd’hui une grande puissance a besoin d’envahir son voisin direct pour de prétendues questions de sécurité ? Nous ne sommes plus dans les années 1930, cela décrédibiliserait Moscou aux yeux d’une partie du monde.

En revanche, si action russe il doit y avoir, c’est effectivement dans la région du Donbass qu’elle pourrait se concrétiser. Vladimir Poutine pourrait notamment exiger la reconnaissance des deux républiques séparatistes pro-russes, la république populaire de Donetsk et la République populaire de Lougansk. De toute façon, il n’engagera pas la désescalade sans avoir obtenu quelque chose. Au fond, ça a toujours été la tactique de Poutine pour étendre la domination russe : grignoter des petits bouts de territoire, en invoquant un motif sécuritaire, dans l’espoir de reconstituer la Russie de la grande Catherine.

Vous nous disiez, il y a quelques semaines, que les Européens « subissaient » la stratégie de Vladimir Poutine, qui ne souhaite dialoguer qu’avec les Américains. On voit pourtant qu’Emmanuel Macron ne ménage pas ses efforts dans ce dossier. Selon vous, a-t-il réussi à remettre l’UE au centre du jeu ou s’agit-il plutôt d’un exercice de communication pour un président en précampagne ?

Je pense qu’il a fait son devoir. En tant que président du Conseil de l’Union européenne, Emmanuel Macron reste un interlocuteur privilégié. Mais il faut se méfier des images. La petite histoire nous raconte qu’il n’est pas le seul dirigeant à s’être assis à cette grande table blanche, en face de Poutine, lorsqu’il s’est rendu au Kremlin le 7 février. D’autres responsables politiques ont été reçus au même moment, avec les mêmes égards.

Plusieurs candidats à la présidentielle l’accusent d’utiliser le dossier ukrainien pour retarder le plus possible son entrée en campagne. Cette critique vous semble légitime ?

Je pense que la situation l’empêche et le sert en même temps. Effectivement, on ne voit pas le président de la République se déclarer candidat à sa propre succession en plein milieu d’une crise diplomatique. Mais elle lui permet aussi de cultiver son image de leader international. S’entretenir avec les grands dirigeants mondiaux lui donne un avantage qui n’est à la portée d’aucun de ses concurrents. Mais soyons honnêtes, tous les présidents sortants ont plus ou moins profité de leur position pour cultiver leur stature internationale.

Devant le Sénat, Jean-Yves Le Drian assure que les Américains et les Européens se sont mis d’accord sur un paquet de sanctions inédites. Elles sont à « la fois techniques, financières et économiques », a-t-il déclaré, sans en dire davantage pour des raisons stratégiques. Pensez-vous qu’il y ait matière à effrayer les Russes ? Les sanctions prises en 2014 ne les ont pas fait reculer en Crimée.

Toutes les sanctions que nous avons prises n’ont jamais eu pour effet que de pénaliser notre économie agroalimentaire ! [En réaction aux sanctions qui ont suivi la guerre en Crimée en 2014, la Russie a décrété un embargo sur les produits alimentaires venus de l’UE, de la Norvège, des États-Unis, de l’Australie, et du Canada, ndlr] À l’inverse, elles ont donné un coup de booste à la Russie en l’obligeant à investir et construire des filières qu’elle n’avait pas, et vis-à-vis desquelles elle dépendait de ses partenaires commerciaux. Certes, des sanctions peuvent provoquer une gêne, mais ce n’est pas ça qui va changer la donne. D’une manière globale, je ne crois pas aux sanctions économiques. Elles ont pour premier effet de pénaliser les populations locales, à moins que des mesures spécifiques et ciblées ne soient prises, comme, par exemple, des interdictions de déplacement pour certains dirigeants. »

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