Accompagnants scolaires : le chemin de croix des parents d’élèves porteurs de handicap

Accompagnants scolaires : le chemin de croix des parents d’élèves porteurs de handicap

Le manque de personnels accompagnants pour les élèves en situation de handicap laisse des enfants à la porte de l’école et des familles sans solution. Loin de la promesse de l’école inclusive, les parents crient leur détresse. Reportage.
Public Sénat

Par Fabien Recker

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Le soleil brille sur Marseille en ce matin de février. Sur l’aire de jeu pour enfants du jardin du Pharo, le petit Ismaïl s’amuse sous le regard de Rachida Maia-Meftah, sa maman. « Je l’emmène au parc deux fois par semaine. C’est important, sans cela, il ne sera jamais sociable avec les autres enfants », explique-t-elle. Âgé de 8 ans, Ismaïl est atteint du trouble du spectre de l’autisme, ou TSA. Une condition neurologique qui affecte le langage et la communication.

L’enfant ne s’exprime que par des sons, ou compte en anglais. « Seventy one, seventy two, seventy three… ». « Et avec un accent britannique ! » s’étonne Rachida, qui ne parle pas la langue de Shakespeare. « Longtemps, il ne répondait pas à son nom. Et jusqu’à aujourd’hui il ignore complètement le danger, il est capable de foncer directement dans une voiture ».

Sentiment d’abandon

Tous les vendredis, Agnès Fontalba, éducatrice dans une association proposant de l’aide à domicile, vient prêter main forte à Rachida pour s’occuper d’Ismaïl. « On intervient auprès des familles pour offrir un peu de répit aux parents. Beaucoup sont en souffrance et se sentent abandonnés », assure Mme Fontalba.

C’est le cas de Rachida. En 2017, la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) des Bouches-du-Rhône avait pourtant reconnu à Ismaïl le droit à un accompagnement individualisé pour aller à l’école. Une « notification d’attribution d’auxiliaire de vie scolaire individuelle », que Rachida exhume d’une pile de classeurs. Cet accompagnement individualisé, pourtant, Rachida n’en a jamais vu la couleur. Pendant deux ans, Ismaïl a même été déscolarisé faute de solution. Obligeant cette mère célibataire à abandonner son travail de coiffeuse pour s’occuper de son fils. « J’ai pété un câble » admet-elle.

« C’est très compliqué pour Ismaïl »

Les Auxiliaires de vie scolaire (AVS), appelés désormais AESH (Accompagnant des élèves en situation de handicap) sont des personnels rémunérés par l’Education nationale, qui aident les enfants en situation de handicap à suivre les cours en classe. Elles (en écrasante majorité des femmes) seraient 125 500 selon le ministère de l’Education nationale, recrutées en CDI et affectées à une académie.

A l’école d’Ismaïl, on a trouvé une solution provisoire : quatre accompagnantes se succèdent par intermittence aux côtés du petit garçon, de quoi lui permettre d’aller en classe trois heures par jour – quand l’une d’entre elles n’est pas absente. Une catastrophe pour son apprentissage. « C’est très compliqué pour Ismaïl », explique Anne Lévi, orthophoniste, chez qui Rachida emmène son fils une fois par semaine.

Un problème national

« Les enfants avec des troubles sévères des interactions comme Ismaïl, ont besoin de rituels et de stabilité. Et là ce n’est pas le cas », regrette l’orthophoniste, qui alerte sur la situation dans son territoire. « Quatre-vingt pour cent des enfants dans ma patientèle qui ont besoin d’une AESH, n’en ont pas. Cela concerne énormément de familles à Marseille ».

Samy Benoi ne vit pas à Marseille, mais à Choisy-le-Roi dans le Val-de-Marne. Il livre pourtant le même témoignage de souffrance. Son fils cumule plusieurs handicaps, diagnostiqué TSA, TDAH (trouble de l’attention/hyperactivité) et « multi dys » (ensemble de dysfonctionnements cognitifs). Comme dans le cas d’Ismaïl, il s’était vu attribuer par le département le droit à un accompagnement individuel en classe, 24 heures par semaine.

« On tape à toutes les portes, et rien ne se passe »

Mais le jour de la rentrée en CP, mauvaise surprise : « L’école a réparti l’emploi du temps de mon fils sur toutes les classes de l’établissement, et ce sont deux AESH qui se sont partagées les heures. Six changements de classe par jour, vous vous rendez compte ? C’est la cata pour un enfant de 7 ans ! » s’émeut Samy Benoi. Conséquence, les troubles de l’enfant se sont aggravés. « Et l’établissement s’est appuyé là-dessus pour nous dire qu’il n’avait pas sa place à l’école et qu’ils ne pouvaient plus le prendre », poursuit le papa.

Après trois années d’enseignement à la maison par le Cned, Samy a réussi à inscrire provisoirement son fils dans le privé. Mais toujours privé d’AESH, il n’a aucune certitude concernant la rentrée des vacances de février - la nouvelle école lui avait laissé entendre qu’elle ne pourrait pas le garder plus longtemps sans accompagnement. « On essaie de conserver une dose de positivité, sinon on sombre », assure cet enseignant qui a dû, lui aussi, faire une croix sur son travail pour devenir aidant à temps plein. « On tape à toutes les portes, et rien ne se passe. Je suis très en colère ».

Chaises musicales

Le ministère de l’Education nationale assure pourtant poursuivre les efforts pour une école plus inclusive. Et met en avant l’augmentation de 35 % du recrutement des AESH sur le quinquennat, et celle de 60 % du budget alloué à l’inclusion à l’école. En 2019, la loi Blanquer a surtout introduit une autre nouveauté, en centralisant la gestion des AESH au niveau des secteurs. Inventant un nouvel acronyme : PIAL. Ces « Pôles inclusifs d’accompagnement localisés » nouvellement créés devaient permettre une meilleure affectation des ressources sur le terrain.

« On nous a dit qu’on allait gérer ça au niveau local, et que ce serait bien mieux… Sauf qu’on a abouti à l’effet inverse », constate Marion Aubry, de l’association TouPi, qui milite pour l’inclusion des personnes porteuses de handicap cognitif. « Avant, on avait une AESH affectée à un élève, alors que là, en fonction des besoins, l’AESH va être affectée à tel élève, puis à tel autre » poursuit-elle. Les chefs d’établissement « répartissent la pénurie […] C’est le jeu des chaises musicales toute l’année, et on oublie complètement la notion de continuité d’accompagnement ».

Les PIAL, un outil de gestion

« Les PIAL ont complètement déstructuré, émietté, explosé le travail des AESH », énumère Sophie Venetitay, secrétaire générale du SNES-FSU, le syndicat majoritaire chez les AESH dans le secondaire. « C’est un outil de gestion plutôt qu’un outil pédagogique. Des collègues accompagnant un élève au lycée se sont déjà vus demander de compléter leurs heures avec un enfant en maternelle, or ce n’est pas le même travail… Cela rend très difficile le suivi avec les enseignants et les familles ».

Une situation qui aboutit à des conflits. « On se retrouve à s’engueuler entre parents d’enfants avec des handicaps pour les AESH qui restent, c’est horrible », se désole Florence Terki. Son fils Vadim, 11 ans, est titulaire d’une carte d’invalidité à quatre-vingt pour cent. Dans son école élémentaire privée de Bons-en-Chablais (Haute-Savoie), une équipe pédagogique « hyper investie » se démène pour permettre à Vadim de suivre sa scolarité - même si l’AESH individualisée à 100 % à laquelle l’enfant aurait droit n’a jamais été embauchée, et qu’une seule accompagnante doit se partager entre plusieurs élèves de la commune.

Pour Wayann, il est trop tard

Mais l’année prochaine, Vadim doit entrer au collège. « Cela fait un an et demi que je cherche une place », raconte Florence Merki. « Quand on arrive en disant qu’il nous faut une AESH individualisée, on nous répond que c’est impossible […] J’en suis à faire le pied de grue auprès de différentes écoles genevoises privées à vingt ou trente mille euros l’année pour les supplier de prendre mon fils, et à chercher de l’argent par tous les moyens pour qu’il puisse avoir une scolarité décente et un avenir ».

D’autres parents ont d’ores et déjà abandonné tout projet scolaire. Âgé de 5 ans et demi, le petit Wayann souffre du syndrôme de Dravet, une maladie neurologique qui se manifeste notamment par des crises de convulsions et des troubles du langage. En 2019, la MDPH de Paris avait notifié à Wayann le droit à un accompagnement scolaire de 20 heures par semaine. Deux ans plus tard, ses parents n’ont toujours pas vu l’ombre d’une AESH.

Triple peine

« On a même proposé quelqu’un, une étudiante qui était volontaire. Mais sa candidature auprès du rectorat est restée sans réponse », regrette Annabelle Jean-Augustin, la mère de Wayann. N’ayant pu entrer à l’école maternelle, ce dernier est à la crèche grâce à une dérogation qui prendra fin cet été. Désormais, les parents concentrent leurs efforts pour lui trouver une place en institut spécialisé. « Pour l’école primaire, c’est trop tard. On est un peu démunis, mais on garde espoir pour lui trouver une place dans une structure adaptée » poursuit Annabelle.

« Ce sont des situations de double, voire de triple peine », résume Florence Terki. « Quand on a un enfant handicapé, l’enfant et la famille souffrent. Et pour les enseignants aussi c’est difficile », reconnaît-elle. Cette mère de famille rappelle que les enfants porteurs de handicap ont toute leur place à l’école, à condition qu’ils soient accompagnés. « Ils n’entreront pas dans le moule, mais peuvent arriver à quelque chose, et même enrichir les autres enfants […] Faire des économies sur les AESH n’est pas un bon calcul. Si ces enfants ne font rien, ils resteront sur les bras de la société ad vitam aeternam ».

Toujours plus d’élèves porteurs de handicap

A l’unisson, parents d’élèves, syndicats et associations appellent à recruter davantage d’AESH. Encore faut-il susciter des vocations. Si l’Éducation nationale vient de revaloriser leur rémunération, le salaire des AESH reste loin d’être attractif : 783 euros par mois pour 22 heures par semaine en début de carrière, pour un métier réputé difficile. « Certains de nos collègues se retrouvent sous le seuil de pauvreté » constate Sophie Venetitay, du SNES-FSU. « Pour recruter davantage, il faut d’abord mieux les payer ».

Si la promesse d’une école réellement inclusive semble loin d’être tenue, elle ne se résume pas au seul recrutement des AESH. Marion Aubry, de l’association la TouPi, appelle notamment à « faire en sorte que les enseignants soient mieux formés, dans les cas où les AESH ne sont pas la bonne réponse ». Un travail d’autant plus nécessaire que le nombre d’élèves diagnostiqués avec un handicap ne cesse, lui, de grimper : ils étaient 400 000 à la rentrée de 2021 - plus du double qu’à la rentrée de 2006.

A Marseille, Rachida Maia-Meftah a postulé pour une place en Institut médico-éducatif. Son fils Ismaïl est plus de 1000ème sur la liste d’attente. En désespoir de cause, elle a écrit une lettre à Brigitte Macron. L’Elysée lui a répondu, sans apporter de solution pour Ismaïl. Sa maman garde le sourire. « Heureusement qu’on a la mer. »

» Lire aussi : Scolarisation des enfants handicapés : « Zemmour n’a pas de cœur, il n’aime pas les gens », dénonce Jean Rottner

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