Projet ITER : la fusion nucléaire, avenir du mix énergétique français ?

Projet ITER : la fusion nucléaire, avenir du mix énergétique français ?

Auditionné mercredi au Sénat, le directeur général d’ITER Organization s’est montré « confiant » quant à l’aboutissement du projet de fusion nucléaire, rassemblant 35 pays, mené dans les Bouches-du-Rhône. À l’heure où le mix énergétique français fait débat, l’option de la fusion nucléaire est difficile à refuser sur le papier. Mais ce chantier monumental pose encore des questions, notamment au niveau des délais, qui semblent bien lointains pour répondre aux défis de la transition écologique.
Louis Mollier-Sabet

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Des applaudissements lors d’une audition de la commission des Affaires économiques, on n’entend pas ça tous les jours. Il faut dire que Bernard Bigot arrivait en terrain conquis. Directeur général de l’enseignement supérieur et de la recherche dans le ministère de François Bayrou de 1995 à 1997, l’actuel directeur général d’ITER Organization est un familier des arcanes de la droite chiraquienne. D’autant plus que sur le fond aussi, Bernard Bigot a su toucher la majorité sénatoriale au cœur de ses convictions. Le chef d’orchestre du projet pharaonique de construction du plus grand « tokamak » du monde à Saint-Paul-lez-Durance, dans les Bouches-du-Rhône, a ainsi tenté de démontrer la faisabilité d’une production industrielle d’énergie de fusion nucléaire.

Force est de constater qu’il a, de l’aveu général, brillamment défendu ce projet financé par 35 pays à hauteur de 20 milliards d’euros. La fusion nucléaire serait une alternative énergétique décarbonée, « sans risque d’emballement », presque sans déchets, sans risque d’usage militaire et totalement pilotable. Même le sénateur écologiste Daniel Salmon a témoigné son respect à l’égard de « la foi » qu’avait su mettre le directeur général d’ITER dans son plaidoyer. Mais la fusion nucléaire pourra-t-elle véritablement atteindre un rendement énergétique suffisant pour offrir une alternative crédible aux énergies fossiles, mais aussi à la fission nucléaire, plus risquée et dont l’avenir technologique est parfois flou, et aux énergies renouvelables, en théorie moins flexibles au niveau du stockage, de la pilotabilité et de la distribution ?

Un plasma 10 fois plus chaud que le cœur du soleil

Une cage magnétique de la taille d’un immeuble de 7 étages, le poids de 3 Tour Eiffel et demi, un plasma 10 fois plus chaud que le cœur du soleil … Bernard Bigot a multiplié les comparaisons et les ordres de grandeur pour tenter de faire comprendre l’ampleur de ce projet de recherche qui a mobilisé les chercheurs et les ingénieurs de l’Union européenne, de la Chine, des Etats-Unis, de la Russie, du Japon, de la Corée et de l’Inde. Le but est de construire une cage magnétique qui permettra de faire circuler des gaz, sous l’état de plasma, à si haute température et à si haute vitesse, qu’en y injectant des atomes d’hydrogène, ceux-ci fusionneront en dégageant une chaleur extrême. Ensuite, le mécanisme est beaucoup plus classique : la chaleur dégagée fait chauffer de l’eau dont la vapeur fait tourner une turbine, ce qui permet de produire de l’électricité.

L’objectif d’ITER est d’arriver à dégager 10 fois plus de chaleur par la fusion que de chaleur qu’on injecte pour chauffer le plasma. En prenant en compte l’ensemble des systèmes (cryogénie, alimentation électrique, refroidissement), Bernard Bigot table sur une rentabilité énergétique totale de 3 à 5 pour le prototype qu’est ITER. En bref, le réacteur produirait au moins 3 fois plus d’énergies qu’il n’en consomme pour fonctionner. Les applications industrielles devront ensuite profiter des progrès de l’ingénierie pour augmenter ce facteur de rentabilité énergétique.

« Tchernobyl, Fukushima, ça n’existe pas »

Mais alors pourquoi déployer un dispositif d’une telle ampleur ? Déjà, si les ingénieurs et les physiciens d’ITER arrivent à mettre en pratique la théorie scientifique, une telle réaction dégagerait pour un gramme d’hydrogène « autant de chaleur que 8 tonnes de pétrole » d’après Bernard Bigot. Le directeur d’ITER Organization assure d’ailleurs qu’avec l’hydrogène comme combustible de la réaction, « il y a assez de ressources pour des milliers d’années. » Même si un des isotopes de l’hydrogène nécessaire à la réaction, le tritium, est actuellement un gaz rare, il est prévu d’en produire sur site à partir de lithium. Ensuite, les propriétés physiques de la réaction de la fusion nucléaire sont telles qu’un emballement, comme c’est le cas pour la fission nucléaire utilisée actuellement, est simplement impossible. Cela veut donc dire que les risques d’accidents sont bien moindres : « Tchernobyl, Fukushima, ça n’existe pas ! » affirme Bernard Bigot. Mais cela signifie aussi que cette énergie est pilotable selon les besoins : « C’est une énergie modulable, on allume et on éteint le plasma comme on veut » précise-t-il.

La contrainte technologique est principalement celle d’une « taille minimale » à atteindre pour pouvoir imaginer un système énergétique rentable. L’investissement, à la fois financier, temporel et de mobilisation de main d’œuvre et de compétences, est donc nécessairement très important : il y a un fort coût d’entrée dans la fusion nucléaire. C’est pourquoi autant de grandes puissances se sont rassemblées dans ce dispositif inédit, afin de partager les coûts importants, tout en partageant les bénéfices, puisque toutes les avancées scientifiques et technologiques pourront être utilisées dans les pays participant à ITER. Le sénateur communiste Fabien Gay a d’ailleurs salué cette coopération : « Dans le monde dans lequel nous vivons, fait sur la compétition, là où il y a coopération nous sommes capables d’imaginer des choses extraordinaires, c’est un beau projet. » Un beau projet qui a aussi ses contreparties, comme l’admet Bernard Bigot : « Le prix à payer, c’est que chaque pays veut préparer son futur champion industriel. Donc tout le monde fabrique des composants chez lui que nous devons ensuite assembler, ce qui est loin d’être optimal. »

« Le rêve d’Icare » ?

Présenté comme ça, le plan semble parfait. Mais est-ce réellement faisable ? Et surtout dans quels délais ? « ITER ira au bout » affirme Bernard Bigot, qui se veut « confiant », mais admet aussi être « humble et prudent. » En entendant le directeur général d’ITER Organization détailler le calendrier prévisionnel, on se dit qu’effectivement, beaucoup reste à faire. En 2035, ITER fonctionnera à plein régime, les physiciens auront 5 ans pour « explorer les paramètres et optimiser la machine », puis ce sera au tour des industriels. En 2045, on devrait pouvoir commencer la production de réacteurs, puis « autour de 2055-2060, nous aurons de l’électricité par fusion de l’hydrogène sur cette planète. »

Un long calendrier qui ne répond donc pas aux impératifs de la transition énergétique, qui, comme l’a montré récemment le rapport de RTE, doit passer par des investissements immédiats. Le sénateur écologiste Daniel Salmon n’a pas manqué de pointer les incertitudes qui entourent cette technologie et son calendrier de développement : « Je n’ai pas l’impression que le monde dans lequel on vit nous annonce des années calmes. Vous avez presque une croyance dans cette technologie, mais on est parfois dans le rêve d’Icare. » Bernard Bigot assume, ITER c’est « mettre le soleil en boîte » et Icare n’avait pas de tokamak.

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