Thomas Huchon : « Facebook et Twitter sont les armes du crime de ce qu’il s’est passé mercredi aux USA »

Thomas Huchon : « Facebook et Twitter sont les armes du crime de ce qu’il s’est passé mercredi aux USA »

La violente intrusion de centaines de partisans de Donald Trump hier dans le Capitole à Washington a également eu des conséquences inédites sur la toile. Les comptes Facebook et Twitter du président des Etats-Unis sortant ont en effet été suspendus par les deux plateformes, ce qui est une première pour un chef d’Etat dans la plus grande démocratie du monde. Mais pour Thomas Huchon, journaliste chez Spicee et spécialiste des réseaux sociaux, les premiers responsables de cette insurrection conspirationniste sont avant tout les réseaux sociaux eux-mêmes. Entretien
Public Sénat

Par Antoine Comte

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La suspension des comptes Twitter et Facebook du président sortant hier soir est historique, c’est du jamais vu, non ?
Aux Etats-Unis oui, mais cela s’est déjà produit il y a quelques années lorsque Facebook avait supprimé le compte Facebook du chef de la junte militaire birmane parce que la plateforme s’était rendu compte qu’après chaque message posté par ce dernier, il y avait des massacres dans la foulée. Plusieurs rapports d’Amnesty International et d’ONG sérieuses avaient réussi à démonter ce lien de causalité entre les messages postés et les massacres qui ont suivi.

Comment expliquez-vous cette suspension ? C’est quand même un geste fort de la part de Facebook et Twitter…
Vous savez, je crois surtout que ces deux réseaux sociaux ont avant tout suspendu les comptes de Donald Trump au nom de leur image de marque. En fait, c’est comme une campagne de vaccination : il y a un ratio qui est fait entre le bénéfice et le risque qui est pris. Et là, le risque est tellement indéniable que Facebook et Twitter ne pouvaient pas ne rien faire.

Pourquoi, parce que Donald Trump et ses partisans sont allés beaucoup trop loin cette fois-ci ?
Oui, mais pour moi ce sont ces plateformes et ces réseaux sociaux qui sont en fait l’arme du crime. Le problème n’est pas tant qu’ils laissent Donald Trump dire n’importe quoi, le problème c’est que leur modèle économique et le fonctionnement de leurs algorithmes font en sorte que les propos du président sortant sont surexposés par rapport à tous ceux qui vont les déconstruire. Et je ne suis pas le seul à penser cela, loin de là. C’est aussi l’avis de Roger McNamee, l’un des premiers actionnaires de Facebook, du lanceur d’alerte Christopher Wylie, de l’acteur Sacha Baron Cohen ou encore de la plus grande chercheuse en matière numérique Shoshana Zuboff… On parle quand même d’un réseau, en l’occurrence Facebook, qui a décidé d’accepter les publicités politiques et de ne pas fact-checker ces dernières. C’est hallucinant !

Il y a donc une vraie responsabilité des réseaux sociaux, selon vous, sur ce qu’il s’est passé hier à Washington ?
Oui, il est clair que le mouvement extrémiste QAnon n’aurait pas pu exister sans Facebook. Parce que ce mouvement, ce n’est pas trois dingos dans une cave ! Ce sont des millions d’adeptes, des personnes qui ont été élues à la Chambre des représentants sur ces thèses conspirationnistes, c’est le fils de Donald Trump qui les soutient ou c’est encore Michael Flynn, l’ancien secrétaire à la Défense américaine qui a prêté le serment d’allégeance à QAnon. C’est pareil pour le « cousin » éloigné de Jamiroquai qu’on a vu cette nuit dans les couloirs du Capitole, son message est simple : « c’est Q qui m’a envoyé pour libérer l’Amérique ! ». Le problème n’est donc pas la liberté d’expression. Je crois surtout que si nous avons réussi à construire les sociétés dans lesquelles nous vivons aujourd’hui, c’est parce que nous avons réussi à éduquer les gens à préférer la science à l’obscurantisme, et à préférer l’éducation à l’inculture. Et le problème donc, c’est que ces plateformes comme Twitter et Facebook ont retourné tout ça en 20 ans.

Vous êtes en train donc de nous dire qu’il s’agit d’une opération de communication de la part de Facebook et Twitter ?
Oui, et leur but premier est d’essayer de sortir du bourbier dans lequel ils sont, le tout après avoir pris plus de 100 millions de dollars de financements publicitaires de Donald Trump dans lesquels il a consciencieusement et méthodiquement menti au peuple américain, notamment sur le fait que les Démocrates allaient lui voler l’élection. Mais le problème ce n’est pas que Trump ait fait sa campagne sur ce thème-là, le problème c’est que Facebook a diffusé tout cela, et gagné en plus des milliers de dollars en le faisant. Ils viennent nous expliquer maintenant que ce n’est pas bien ? On n’y croit pas une seconde.

Facebook et Twitter auraient dû sanctionner ou refuser les propos de Donald Trump bien avant ?
Oui, pour moi, c’est trop peu et c’est trop tard. Mais surtout nos gouvernements auraient dû imposer à ses entreprises les règles qu’on devrait leur imposer. Ils nous font croire qu’ils sont des tuyaux, mais ce ne sont pas des tuyaux, ce sont des médias. Ils doivent donc être responsables de ce qu’ils diffusent comme n’importe quel média. Tant qu’ils ne le seront pas, il n’y aura pas de solution.

Oui mais l’argument de ces réseaux sociaux, c’est de permettre de laisser la parole à tout le monde. C’est plutôt une bonne chose, non ?
En fait les Américains ont une formule qui résume bien tout cela : « Free speech is not free reach », autrement dit la liberté d’expression n’est pas la capacité d’atteindre tout le monde tout le temps en disant n’importe quoi sans aucune vérification. Et tant que journaliste, il ne faut pas avoir honte de le dire, et de rappeler que ces plateformes ne font pas bien leur travail quant à la vérification des informations. Jean-Luc Godard disait « la démocratie, ce n’est pas cinq minutes pour les juifs, cinq minutes pour Hitler », et bien si, ça s’appelle Facebook.

Que faut-il faire alors pour que tout cela s’arrête ?
Il faut les réguler et les rendre responsables de ce qu’ils diffusent.

Comment ?
Tout simplement en faisant voter des lois dans ce sens. Un journaliste et son média sont responsables de ce qu’ils diffusent. Pourquoi Twitter et Facebook ne le seraient pas ? Marc Zukerberg doit être responsable des propos tenus sur Facebook. Parce que nos sociétés ne tiennent pas uniquement sur des lois, mais aussi sur des principes et quand quelqu’un ne les respecte pas, il faut les faire respecter. Sacha Baron Cohen disait très justement que si Adolf Hitler était encore là aujourd’hui, il se servirait de Facebook pour expliquer sa solution finale pour éradiquer les juifs. On veut vraiment cela ? On n’a pas compris les erreurs du passé ?

Mais alors comment expliquez-vous que les gouvernements ne régulent pas plus ces réseaux sociaux ? Ce n’est pas leur priorité ?
Il y a un état de fait un peu étrange qui s’est institué. Tant que ce qui se passait sur ces plateformes n’avait des conséquences que dans la sphère numérique, personne ne s’en souciait, et donc on a laissé faire et on a accepté l’inacceptable. Donc moi, je ne vois pas trop d’autres solutions que de fermer Facebook en France pendant un temps pour qu’on comprenne comment ça marche, qu’on mette en place une commission indépendante sur les algorithmes et leur impact, et enfin qu’on les rende responsable de ce qu’ils diffusent. Comment est-ce qu’on peut accepter une société dans laquelle l’univers de l’information n’est lu que par la volonté de multinationales de gagner toujours plus d’argent, tout en volant nos données personnelles et en les exploitant à des fins de surveillance et de ciblage publicitaire.

Ce n’est pas un peu radical de vouloir faire fermer Facebook et Twitter quand même ?
Non, il faut faire à ces plateformes ce qu’elles font à Donald Trump. Il faut les fermer temporairement jusqu’à ce qu’elles respectent la loi française, et aussi accessoirement qu’elles paient les impôts qu’elles nous doivent.

Les gouvernements semblent tout de même très impuissants quand même face à ces géants du numérique ?
Non, ils sont impuissants parce qu’ils décident de l’être. Tout cela est en fait un rapport de force. Qui a réussi à imposer quelque chose à Facebook ? Ce sont les Chinois. Je ne dis pas que la Chine doit être notre exemple, mais je dis que le rapport du gouvernement français avec ces plateformes doit être celui de la force. Si le Président français, le pays des Lumières décident de les suspendre au nom du respect de la démocratie, il n’y aura pas d’accusation de censure, mais à l’inverse une vraie volonté affichée de rétablissement du siècle des Lumières. Surtout quand on sait que Facebook ne pourra jamais se passer de la France et de l’Union européenne comme base de clients. Il faut bien se dire que Facebook et Twitter ont besoin de nous et que nous n’avons pas besoin d’eux. Et puis, si on ferme Facebook pendant une semaine, vous verrez que les gens se remettront à se parler entre eux, à se voir, même si le covid-19 restreint les contacts.

Comment voyez-vous l’avenir des réseaux sociaux et de leur influence dans notre société ?
Je suis très perplexe pour notre pays. En fait, je ne vois pas du tout comment la France pourrait résister à la vague populiste d’extrême droite qui touche actuellement le reste du monde, et je suis donc très inquiet pour l’élection présidentielle de 2022. Parce que quand on enferme les gens dans une bulle comme Facebook, on ne lui propose pas de contraction, et surtout on leur donne l’illusion qu’ils ont toujours raison avec des gens qui pensent exactement comme eux. Il est vraiment urgent qu’on fasse du sens critique numérique. Il faut désormais que les gens soient capables de comprendre ce qui se passe derrière leurs écrans, leurs posts, leurs stories…

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