« Réelle ambition de diminuer le déficit » ou « rendez-vous manqué » : les sénateurs s’interrogent sur le budget de la Sécu

« Réelle ambition de diminuer le déficit » ou « rendez-vous manqué » : les sénateurs s’interrogent sur le budget de la Sécu

Alors que le budget de la Sécurité sociale a été présenté en conseil des ministres ce matin, le texte est pour le moment accueilli froidement au Sénat. En pleine inflation, la trajectoire budgétaire peut faire craindre un manque d’investissement, alors que certaines mesures interrogent, jusqu’à mettre en question leur constitutionnalité.
Louis Mollier-Sabet

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C’est le coup d’envoi du marathon budgétaire, et les parlementaires ont déjà été un peu pris de court. Au Sénat, ceux qui travaillent sur le budget de la Sécu confient avoir reçu les informations extrêmement tard, et surtout celles-ci ont pu fluctuer jusqu’au dernier moment, au rythme des ultimes arbitrages, sans doute. Avant de rencontrer demain l’administration des caisses de la sécurité sociale le matin, François Braun le soir et Élisabeth Borne mercredi, Élisabeth Doineau a pu livrer ses premières impressions sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), dont elle aura la charge de l’examen au Sénat. Sur le fond, la trajectoire financière semble contenter la rapporteure du « PLFSS », Élisabeth Doineau : « Il y a une réelle ambition de diminuer le déficit, c’est incontestable et il faut prendre en compte cette rigueur budgétaire. »

» Pour plus de détails, lire : « Lutte contre la fraude, prix du tabac, prévention : ce que contient le budget de la Sécu »

« Un PLFSS contraint financièrement »

Cependant, la sénatrice centriste s’interroge : « Je ne suis pas sûr qu’un Ondam à 3,7 % puisse satisfaire les besoins de restructuration de nos hôpitaux et de nos Ehpad. » L’Ondam, c’est l’objectif de dépenses publiques fixé dans la loi de financement de la sécurité sociale. Une augmentation de 3,7 % de l’Ondam, cela veut dire que le gouvernement se fixe pour objectif d’augmenter les dépenses de la Sécurité sociale de 3,7 %. Mais pour Élisabeth Doineau, il faudrait sortir les investissements de cet objectif : « Bien sûr que l’augmentation de l’Ondam est faible par rapport à nos besoins. En fait, il faudrait sortir les investissements de l’Ondam, parce que les investissements, c’est l’avenir. C’est à calculer différemment de nos dettes du quotidien, c’est moins toxique. »

En outre, la sénatrice s’inquiète, tout comme le Haut Conseil des finances publiques, du seul milliard provisionné pour faire face à un éventuel retour de la crise sanitaire et des dépenses liées à une résurgence du covid, qui pourrait venir plomber cet équilibre financier le cas échéant. Dans tous les cas, dans un contexte économique où le gouvernement lui-même table sur une inflation à plus de 5 %, cet « effort » – selon les mots de Jean-François Braun – est un peu en trompe-l’œil, de l’avis du chef de file du groupe socialiste sur le budget de la Sécu, Bernard Jomier. Le sénateur de Paris y voit un « PLFSS » plutôt « contraint » en termes financiers, et rappelle que les augmentations antérieures de l’Ondam avaient été consenties avec une inflation presque nulle, ce qui change largement l’évolution du budget de la Sécu en termes réels.

« Une loi de finances doit être structurante, et le rendez-vous est manqué »

Au-delà des équilibres financiers, le sénateur socialiste de Paris se dit surtout « déçu » du premier budget de la sécurité sociale présenté par le gouvernement : « Une loi de finances doit être structurante, là on l’attendait sur l’autonomie et la dépendance par exemple, et le rendez-vous est manqué. Ce PLFSS n’est pas à la hauteur de l’enjeu, il n’y a pas une mesure sur l’hôpital dans les mesures mises en avant par le gouvernement et au fond il n’y a rien de très volontariste. » Sur la prévention, par exemple, qui a symboliquement été rajoutée à l’intitulé du ministère de la Santé après la réélection d’Emmanuel Macron, Bernard Jomier déplore un budget de la Sécu « décevant » malgré « quelques mesures médicalisées » : « On sait bien qu’on ne fera pas la révolution de la prévention en un jour, mais ce n’est pas comme si on découvrait le sujet. Les grands enjeux sont abordés par des mesures trop partielles pour entraîner un véritable changement. »

Le sénateur de Paris, médecin généraliste de profession, regrette notamment l’absence de mesures sur la santé environnementale : « Le dossier des pesticides était entré dans le PLFSS au forceps il y a trois ans parce qu’on l’avait voté au Sénat, mais là il n’y a plus rien. Il y a aussi un lien majeur entre les expositions que vous pouvez avoir dans votre logement, votre travail, votre alimentation et votre santé. Les données épidémiologiques sont indéniables. On avait discuté avec Agnès Buzyn de l’éventualité de financer une consultation de santé environnementale, qui permettrait un bilan personnalisé pour comprendre quelles sont vos expositions dans votre mode de vie, et agir dessus. »

La 4ème année d’internat pour les médecins généralistes dans les déserts médicaux : une mesure inconstitutionnelle ?

Les sénatrices et sénateurs auront l’occasion d’affiner leurs positions sur l’ensemble des mesures contenues dans ce budget de la Sécu, mais quelques tendances se dessinent sur les points chauds du texte. Le gouvernement prévoit ainsi une indexation des prix du tabac sur l’inflation, au nom de la lutte contre le tabagisme. « Les hausses du prix du tabac ont toujours montré une baisse de la consommation de tabac. Il faut effectivement continuer à augmenter le prix du tabac, mais il faut une vraie politique de prévention », abonde Élisabeth Doineau, qui plaide même pour ouvrir le débat à d’autres addictions, comme l’alcool. Bernard Jomier tient tout de même à compléter : « Pour utiliser le facteur prix pour faire baisser la consommation, il faut une hausse significative d’un coup. Donc, à ce stade, c’est une pure mesure budgétaire. On la votera, mais on va la discuter, pour en faire une vraie mesure de santé publique. »

Autre dossier qui s’est invité au dernier moment dans ce budget de la Sécurité sociale, la lutte contre les déserts médicaux. Un problème que le gouvernement entend régler en ajoutant une 4ème année d’internat aux futurs médecins généralistes, pour « améliorer leur formation » par des « stages en pratique ambulatoire et en particulier dans les zones où la démographie médicale est sous dense », a justifié François Braun à la sortie du conseil des ministres. « Je suis très partagée. Cela répond à l’urgence des déserts médicaux, est-ce que c’est la bonne réponse ? On est un des pays où les études sont les plus longues, il aurait fallu une harmonisation des études de médecine au niveau européen. La proposition du Sénat était simple à mettre en œuvre, avec seulement un décret à prendre, pour que la dernière année d’internat se fasse sur les territoires les moins dotés en médecin avec la supervision par des médecins séniors », lâche la rapporteure générale du budget de la Sécurité sociale au Sénat.

Au-delà de l’opportunité de la mesure, Bernard Jomier s’interroge sur la constitutionnalité même de la mesure proposée par le gouvernement : « On réforme les études médicales, donc on change le code de l’éducation et ce n’est pas l’objet d’une loi de finances de réformer les études médicales. Depuis un certain temps, le Conseil constitutionnel écarte même ce qui a lien indirect avec la dépense sociale. On ne voit pas comment la réforme des études de médecine a un lien direct. En plus, la rémunération de ces internes n’est pas traitée. » Le sénateur socialiste de Paris est rejoint, une fois n’est pas coutume, par le président du groupe LR au Sénat, Bruno Retailleau, qui y voit ce que l’on appelle un « cavalier » législatif, c’est-à-dire l’utilisation d’un texte dont ce n’est pas l’objet pour faire passer une autre mesure.

https://twitter.com/BrunoRetailleau/status/1574427894046248961

Le marathon budgétaire est encore long, peut-être le gouvernement reverra-t-il sa copie pour pouvoir intégrer la mesure au PLFSS.

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