« J’ai peur pour ma sécurité, mais je ne vais pas les laisser gagner » : au Sénat, Marzieh Hamidi raconte son combat contre le régime taliban en Afghanistan

La championne de taekwondo, réfugiée en France depuis trois ans, a fui son pays avec le retour des talibans au pouvoir. Mais, même ici, Marzieh Hamidi subit harcèlement et intimidations. Devant les sénatrices de la délégation aux droits des femmes, elle porte son combat pour l’accès à l’éducation et la reconnaissance de l’ « apartheid de genre » en Afghanistan comme un crime contre l’humanité.
Rose-Amélie Bécel

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« J’ai commencé le taekwondo quand j’avais 14 ans, j’avais l’impression que ça me donnait plus de pouvoir en tant que jeune femme. Mais, en grandissant, plus qu’un sport de compétition, c’est devenu un combat contre le terrorisme », explique Marzieh Hamidi. Il y a trois ans, la championne de taekwondo a trouvé refuge en France, pour pouvoir continuer de pratiquer son sport après l’arrivée des talibans au pouvoir en Afghanistan.

Mais, depuis le 26 août dernier, la jeune femme vit de nouveau un enfer. Depuis qu’elle a dénoncé sur les réseaux sociaux les nouvelles règles édictées par le régime, empêchant les femmes de faire entendre leur voix en public, en lançant le #LetUsExist et en dénonçant la proximité de sportifs afghans avec les talibans, Marzieh Hamidi est victime d’une violente campagne de cyberharcèlement. Chaque jour, des centaines de menaces de mort et de viol envahissent son téléphone.

« Les talibans sont contre toutes les femmes, ils peuvent agir en Europe aussi »

C’est ce calvaire que l’athlète est venue raconter à la délégation aux droits des femmes du Sénat, ce 24 octobre. « Après avoir dénoncé sur les réseaux sociaux les liens entre l’équipe nationale de cricket et les talibans, les fans de l’équipe afghane ont commencé à m’insulter en commentaires. Depuis le 1er septembre, j’ai reçu plus de 8 000 appels et messages de haine sur WhatsApp », explique Marzieh Hamidi. Depuis, la jeune femme vit sous protection policière : « J’ai très peur pour ma sécurité. Quand je marche dans la rue, même avec mon garde du corps, je me prépare à être attaquée, poignardée, tuée… Je suis toujours sur le qui-vive. Souvent, je fais des cauchemars où les talibans me kidnappent. »

Si la jeune afghane tient à partager son histoire avec les sénatrices, c’est aussi parce qu’elle porte désormais un combat judiciaire contre ses harceleurs : « C’est encore plus important aujourd’hui pour moi de parler. Ils veulent me réduire au silence, j’ai peur pour ma sécurité, mais je ne vais pas les laisser gagner ! » En septembre, Marzieh Hamidi a porté plainte en France et le pôle national de lutte contre la haine en ligne a annoncé l’ouverture d’une enquête. « Je veux obtenir justice, en France et en Europe. Il faut retrouver mes harceleurs. Car leurs numéros ne viennent pas seulement d’Afghanistan, du Pakistan ou d’Iran, ils appellent depuis des pays européens, de France, d’Allemagne, de Belgique… », explique Marzieh Hamidi. Pour l’athlète, trop de talibans passent au travers des mailles du filet et parviennent à gagner l’Europe, d’où ils poursuivent les menaces contre les militantes. « J’ai très peur qu’un jour le monde reconnaisse les talibans. Je trouve qu’on est trop complaisants à leur égard. Pourquoi devrait-on leur permettre de venir en Europe et leur donner le droit de représenter l’Afghanistan ? », interroge Marzieh Hamidi.

L’athlète en a elle-même fait les frais, dès son arrivée en France : « Il y a trois ans, alors que je prenais des cours de français, j’ai dû faire face à deux jeunes garçons qui supportaient les talibans et qui étaient en contact avec eux. J’ai été contrainte de quitter le cours ». Pour Marzieh Hamidi, des communautés relayent l’idéologie du régime taliban en ligne, au-delà des frontières afghanes, et font courir un risque aux réfugiées. « Je ne suis pas la dernière à qui cela arrive, il y a eu des femmes menacées avant moi et il y en aura après. Mais ça ne concerne pas seulement les Afghanes, les talibans sont contre toutes les femmes, ils peuvent agir en Europe aussi », alerte-t-elle.

« Si on n’agit pas pour reconnaître l’apartheid de genre, c’est comme si on reconnaissait le régime taliban »

Outre son action en justice, Marzieh Hamidi mène aussi un combat politique. Dans ses messages postés sur les réseaux sociaux cet été, l’athlète réclame aussi la reconnaissance par la communauté internationale de l’ « apartheid de genre » en cours dans son pays comme un crime contre l’humanité. « On ne voit cette situation nulle part ailleurs dans le monde. Les femmes ne peuvent pas sortir dans la rue sans être accompagnées d’un père ou d’un frère. Elles sont réduites à l’état d’esclaves, elles ne servent qu’à avoir des enfants qui pourront eux-mêmes servir le régime. Si on n’agit pas pour reconnaître l’apartheid de genre, c’est comme si on reconnaissait le régime taliban », insiste-t-elle.

Pour libérer les Afghanes du joug des talibans, Marzieh Hamidi prône l’éducation, « la meilleure arme contre le terrorisme ». « Le contenu des programmes scolaires est aussi important que l’accès à l’éducation. Aujourd’hui, on voit une tendance horrible se développer. Les talibans préparent une nouvelle génération de filles à leur idéologie. Même si demain des écoles ouvrent, si le programme est porté sur les normes du régime, cela n’aidera pas les femmes Afghanes à s’émanciper », explique-t-elle. Si la résistance s’organise à l’intérieur du pays, notamment grâce à des cours secrets en ligne, leur accès reste extrêmement limité.

Enfin, la militante reste avant tout une athlète. À ce titre, elle n’a qu’une idée en tête : se qualifier pour les Jeux olympiques de Los Angeles en 2028, après avoir été privée de compétition à Paris cet été en raison d’une blessure. « Mon objectif, c’est de représenter mes sœurs Afghanes aux JO, c’est mon devoir de parler pour celles qui sont réduites au silence », martèle-t-elle avec détermination.

« Là où nous libérons les femmes, nous libérons toute l’humanité »

De son côté, le Sénat appelle le gouvernement et l’Union européenne à l’action. Dans une proposition de résolution européenne, déposée par le sénateur Les Républicains Pascal Allizard et adoptée par la commission des affaires européennes le 17 octobre, les sénateurs invitent à « intensifier l’action humanitaire internationale » et à « accroître la pression sur le régime tyrannique des talibans ».

En conclusion de l’audition de Marzieh Hamidi, alors que seules des sénatrices sont venues écouter son témoignage, la présidente de la délégation aux droits des femmes a tenu à rappeler que le combat pour la liberté des Afghanes devait être partagé par tous. « Partout où on libère les femmes, cela sert à tout le monde, y compris aux hommes. Car là où on empêche les femmes de respirer, on empêche les hommes de penser », affirme Dominique Vérien. « Nous resterons à vos côtés pour nous battre, parce que nous savons que là où nous libérons les femmes, nous libérons toute l’humanité », insiste la sénatrice.

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