Covid-19 : la piste des confinements locaux

Covid-19 : la piste des confinements locaux

Face à l’épidémie, des sénateurs comme Bernard Jomier, ou des médecins comme Yvon Le Flohic, défendent l’utilité d’un confinement territorialisé et non général. Le sénateur du groupe PS met en garde l’exécutif, car « mêler une gestion secrète à une conduite autoritaire va finir par provoquer une révolte ».
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« Les prochains jours seront déterminants ». Comme une impression de sursis. En prenant la parole vendredi soir, le premier ministre Jean Castex a annoncé, face à la situation épidémique, la fermeture des centres commerciaux non alimentaires de plus de 20 000 m2, la fermeture des frontières aux pays extérieurs à l’Union européenne, des tests RT-PCR pour les pays membres de l’Union et des contrôles du couvre-feu renforcés. Mais pas de confinement, pour l’heure. « J’ai confiance en nous » a lancé Emmanuel Macron sur Twitter.

« Au final, on annonce qu’il ne faut pas aller chez Ikea, ni aux Maldives… C’est étonnant »

Reste que le déroulé des événements de la semaine passée a de quoi dérouter les Français. Ainsi que certains membres de la majorité présidentielle. « C’est étonnant que ce soit l’aboutissement de la semaine. Jean-François Delfraissy, président du comité scientifique, dit d’abord qu’il y a urgence, puis il dit dans Libé qu’on n’est pas à une semaine près, puis Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement, parle de confinement très serré, pour au final annoncer qu’il ne faut pas aller chez Ikea, ni aux Maldives… C’est étonnant », résume sous couvert d’anonymat un député LREM, qui pointe une communication « incompréhensible », voire « une forme de cacophonie insupportable ». « On a besoin d’une voix » sur le covid-19, selon ce responsable, qui se dit « assez favorable » à l’idée de Xavier Bertrand d’un point sur la situation chaque semaine devant le Parlement, et non à la télé.

Sur le fond, l’exécutif recule-t-il la décision de reconfiner, au risque de mieux sauter ? « L’idée, c’est de gagner du temps, de limiter la casse », a expliqué le ministre de la santé, Olivier Véran, au JDD. Pour le sénateur apparenté PS Bernard Jomier, qui avait été corapporteur de la commission d’enquête du Sénat sur la gestion du covid-19, « la décision qui a été prise, c’est un vrai risque. Ne pas prendre des décisions restrictives, là où les données sont inquiétantes, c’est un refus d’obstacle ». Mais pour le sénateur LR René-Paul Savary, la décision de l’exécutif est plutôt bienvenue. « C’est dans quelques semaines qu’on saura s’il a vu juste. Mais ils ont pris une décision me semble-t-il acceptable, compte tenu de la situation sanitaire et économique. Il faut véritablement que chaque individu comprenne qu’il a un rôle à jouer », souligne celui qui était vice-président de la commission d’enquête du Sénat.

Les contrôles aux frontières se justifient « car le variant brésilien n’a pas encore été détecté »

Sur le contrôle aux frontières, Bernard Jomier souligne que « de toute façon, le variant anglais est déjà largement présent. Mais ça peut se justifier tout de même car le variant brésilien n’a pas encore été détecté. Mais au sein de la commission d’enquête, on avait dit que les contrôles aux frontières étaient mal appliqués. Maintenant, le ministre des Transports dit que c’est le cas. Des mois après… » note le sénateur de Paris. Pour le sénateur LR de la Marne, le renforcement des contrôles du couvre-feu se justifie. « C’est logique. Car on ne peut pas imposer des choses à nos concitoyens et laisser faire des choses inacceptables. Il faut être rigoureux », soutient René-Paul Savary. « Quand une règle est dictée, qu’elle soit appliquée n’a rien de très choquant, au contraire », confirme Bernard Jomier, avant d’ajouter :

Mais le gouvernement doit prendre garde. Il a déjà une gestion secrète. Donc il partage peu les informations. Mêler une gestion secrète à une conduite autoritaire va finir par provoquer une révolte ou une forme de révolte. Donc j’appelle le gouvernement à plus de transparence. Or les concertations sont de fausses concertations.

« Un confinement national ne fait pas nécessairement sens »

Selon Bernard Jomier, « le gouvernement essaie de doser le tempo des mesures en fonction de ce qu’il espère du déploiement du vaccin » dans le but « d’éviter un quatrième train de mesures restrictives », « c’est normal ». En revanche, celui qui est médecin généraliste de profession « critique le fait que le gouvernement n’utilise pas tous les outils ». « Il y a un déni de ce qui se passe dans les écoles », souligne Bernard Jomier, même si les vacances peuvent aider à « freiner un peu le virus. Mais on a beaucoup trop tardé ». Surtout, il faut « sortir d’un raisonnement, confinement ou pas, commerces ou pas, lieux culturels ou pas », pour une approche basée « sur la différentiation. Un confinement national ne fait pas nécessairement sens », soutient celui qui préside maintenant la mission d’information du Sénat sur l’évaluation des effets des mesures de confinement.

Le groupe PS a d’ailleurs défendu la semaine dernière, contre l’avis d’Olivier Véran, un amendement sur la territorialisation du confinement selon la densité urbaine (lire ici). Bernard Jomier a cependant « le sentiment qu’on entre dans une approche plus différentiée, en fermant les grandes galeries marchandes et pas les petits commerces ».

« Des tests préventifs » dans les lieux et groupes à risque, « plutôt que des tests de masse qui ne servent pas à grand-chose »

Des mesures localisées, c’est exactement ce que défend Yvon Le Flohic. Ce médecin généraliste basé dans les Côtes-d’Armor suit avec acuité l’épidémie. Bien avant que le gouvernement ne le décide, il militait avec d’autres médecins pour le port du masque en lieux clos (lire ici). « Ce qui me pose problème depuis le début, c’est qu’on prend des mesures globales sur l’ensemble du territoire. Les pays qui réussissent le mieux prennent des décisions territorialisées », souligne-t-il. « En Bretagne, depuis le début, on a eu 23 décès de personnes de moins de 60 ans. Aujourd’hui, l’incidence est de 60 cas pour 100.000 habitants dans les Côtes-d’Armor, 0 lit de réanimation occupé avant-hier. On n’a pas de dynamique. Est-ce qu’il faut confiner ? » demande Yvon Le Flohic. « L’idée de ne pas confiner tout le territoire me semble bonne » continue-t-il. Si on constate une « surchauffe » dans certains endroits, « entre 30 et 50 % des départements sont à la baisse actuellement en nombre de cas » souligne le médecin. Autre indice : « Le taux de positivité des moins de 40 ans, classe d’âge vectrice, baisse », alors qu’ils étaient moteurs de l’épidémie après l’été.

Reste que pour Yvon Le Flohic, la stratégie du gouvernement est vouée à l’échec, si elle n’est pas revue. « On a voulu faire tester, tracer, isoler. Ça marche quand on a 30 ou 40 cas. Mais avec 20.000 cas par jour, on ne peut pas les attraper. Quand on attend qu’il y ait des symptômes, l’incendie a déjà pris », pointe-t-il. « Plutôt que de faire des tests de masse qui ne servent pas à grand-chose », car les asymptomatiques transmettent le virus sans le savoir, le médecin prône depuis plusieurs mois des tests préventifs :

Il faut tester là où l’épidémie prolifère. Ce sont les lieux clos. Ce n’est pas une épidémie, c’est une clusterémie. Il faut des tests préventifs et itératifs, c’est-à-dire répétés plusieurs fois par semaine, dans les lieux et groupes qui sont les principaux vecteurs, avec des tests salivaires comme EasyCov, qui est français, ou des tests antigéniques.

« Et progressivement, il faut aller vers des autotests à faire à domicile, pour que les gens puissent se tester quand ils vont prendre un risque : situation familiale, restaurant et concert » continue le médecin. Par lieux à risque, Yvon Le Flohic entend « les Ehpad, les lieux de restauration collectives, les écoles, les universités », les entreprises, ou encore « les hôpitaux, où il y a un problème de nosocomialité, et personne n’en parle ! Tout le monde détourne le regard en raison des risques de procédure et de la gestion des arrêts de travail des personnels contaminés. Or on demande à des soignants de venir, même s’ils sont contaminés… »

« On fait payer la note à ceux en activité, aux jeunes »

Des solutions qui font sens, selon le sénateur LR René-Paul Savary. Le confinement territorialisé « peut être une formule, à un certain moment », tout comme « demain, les tests rapides individuels, et salivaires, qu’il faut homologuer, car il faudra attendre des mois avant que la vaccination fasse ses effets ». Le sénateur de la Marne ajoute qu’« on peut prendre aussi des précautions supplémentaires pour les personnes à risque, leur dire de faire attention. Si on protège davantage les plus fragiles, on peut faire en sorte de ne pas confiner sur le plan général ». René-Paul Savary appelle à « être attentif à tout cela, car on pénalise tellement la vie. On fait payer la note à ceux en activité, aux jeunes ». Pour le sénateur LR, « il faut faire en sorte de concilier vie économique et sociale avec le virus. Il faut trouver un chemin de crête. Mais ce n’est pas facile ».

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