Diagnostic de performance énergétique : après s’être « pris les pieds dans le tapis », le gouvernement revoit sa copie

Diagnostic de performance énergétique : après s’être « pris les pieds dans le tapis », le gouvernement revoit sa copie

Le nouveau diagnostic de performance énergétique a classé en passoires thermiques certains logement, qui ne l’étaient pas avant. « Une erreur », plaide le ministère. « Il y a quelques paramètres à modifier. Nous allons le faire très vite pour une reprise des DPE à partir du 1er novembre », affirme à Public Sénat la ministre du Logement, Emmanuel Wargon.
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C’est un drôle de couac qui concerne des dizaines de milliers de logements. En cause, le nouveau diagnostic de performance énergétique (DPE). C’est lui qui permet de savoir si un logement consomme peu d’énergie, ou s’il est au contraire énergivore. Le classement va de A, en vert, pour les plus vertueux, à F et G (rouge), pour les passoires thermiques. Le document se retrouve dans le diagnostic, lors de la vente d’un appartement.

« On a eu les premiers refus de financement »

Le projet de loi Climat, adopté cet été, a mis en place ce nouveau DPE, avec l’objectif d’avoir des résultats plus justes et fiables. Le tout sur fond de transition écologique. L’enjeu n’est pas mince, car 4,8 millions de logements sont déjà étiquetés passoires thermiques. La loi prévoit qu’ils seront interdits à la location à partir de 2025, pour la catégorie G, puis en 2028 pour les logements étiquetés F. Quant aux logements classés E, ils ne pourront plus être loués en 2034. Le nouveau DPE tient compte aussi des émissions de CO2, ce qui pénalise les chauffages au gaz, qu’on retrouve souvent dans les appartements.

Depuis la mise en place du nouveau diagnostic de performance énergétique, le 1er juillet dernier, le nombre de logements passant dans les catégories F et G a explosé. « Les résultats sont aberrants, ils dégradent les appartements sans qu’on comprenne pourquoi », affirme au Monde Christophe Demerson, président de l’Union nationale des propriétaires immobiliers (UNPI). Jean-Marc Torrollion, le président de la Fnaim, explique lui à Public Sénat qu’il y a eu « deux fois plus » de logements classés F ou G que prévu sur la période. Soit environ un million. Les effets ont commencé à se faire sentir, selon Jean-Marc Torrollion : « On a eu les premiers refus de financement » pour des investisseurs dont le logement allait, selon la loi, se retrouver inlouable rapidement.

Emmanuelle Wargon veut « rassurer les propriétaires »

Ce changement de taille n’était visiblement ni prévu, ni voulu par le ministère de la Transition écologique ou celui du Logement. Face à la situation, l’Etat a décidé de faire machine arrière. Le DPE nouvelle formule a été retiré le 24 septembre dernier. Un nouveau DPE arrive le 8 octobre prochain, pour une mise en œuvre le mois suivant.

« Il y a quelques paramètres à modifier. Nous allons le faire très vite pour une reprise des DPE à partir du 1er novembre », confirme la ministre déléguée au Logement, Emmanuel Wargon, invitée ce lundi soir de Sens Public, sur Public Sénat (voir la vidéo). Face à la situation, elle a mis autour de la table, ce lundi matin, les représentants des agences immobilières, des bailleurs sociaux, des diagnostiqueurs, des éditeurs de logiciels et des notaires.

La ministre entend aujourd’hui « rassurer les propriétaires ». Actuellement, « on sait qu’il y a environ 4,8 millions de passoires thermiques en France, à étiquette F ou G ». Après les modifications, « on va rester à environ 4,8 millions », assure la ministre, qui ajoute : « Tout ceci va rentrer dans l’ordre ».

Concernant les DPE réalisés depuis le 1er juillet « sur les logements construits avant 1975, ils seront systématiquement réédités, sans frais pour les propriétaires, par les diagnostiqueurs pour ceux qui avaient été classés F ou G. On estime à 80.000 le nombre de DPE qui seraient refaits de manière automatique », a précisé par communiqué le ministère, qui ajoute que « pour les logements construits avant 1975 qui avaient été classés D ou E, soit environ 105.000 DPE, le propriétaire pourra demander au diagnostiqueur une réédition du DPE, sans frais supplémentaire non plus ». Les diagnostiqueurs seront indemnisés par l’Etat. « Je m’y engage », assure Emmanuelle Wargon, qui pense que « ce ne sera pas des montants très élevés ».

« On leur avait dit, mais ils savent toujours mieux que tout le monde »

Reste que ce couac étonne. « Si on avait pu l’éviter, on l’aurait évité. C’est totalement regrettable et involontaire », assure-t-on au ministère du Logement à publicsenat.fr. Comment l’expliquer ? Pas de réponse précise. Mais on reconnaît que « peut-être il a manqué un peu de temps d’expérimentation, avec des tests un peu plus longs ». Autrement dit, le dispositif aurait été un peu trop vite ficelé.

Selon la sénatrice (Gauche Républicaine et socialiste), Marie-Noëlle Lienemann, ancienne ministre du Logement, ce n’est pas faute d’avoir prévenu. « Le gouvernement a été alerté sur la non-faisabilité », explique la sénatrice de Paris. Comment alors expliquer ce beau couac ? « Ils ne veulent jamais rien entendre. On a un gouvernement de technos qui considèrent qu’ils ont raison. On leur avait dit, mais ils savent toujours mieux que tout le monde. C’est une espèce de mépris des partenaires », selon la sénatrice membre du groupe CRCE (communiste). Marie-Noëlle Lienemann n’y voit en tout cas « pas un recul écologiste organisé ».

« Au Sénat, on voulait aller beaucoup plus loin sur la sortie des passoires thermiques »

« L’idée d’un nouveau DPE, ça fait un certain nombre d’années qu’on en parle. L’ensemble des acteurs de l’immobilier étaient assez d’accord pour aller vers sa mise en place », rappelle la sénatrice LR Dominique Estrosi Sassone, qui était rapporteure de la partie logement au Sénat, lors de l’examen de la loi climat. Elle s’étonne du raté du nouveau DPE :

Tout ça pouvait s’anticiper, depuis le temps qu’on parle des DPE. Là, le gouvernement s’est pris les pieds dans le tapis.

Si elle partage les objectifs, la question, c’est comment y parvenir. « On a voulu faire un nouveau DPE, et en même temps amplifier la volonté d’aller vers une massification de la rénovation énergétique », avec le dispositif « Ma prime renov », pointe la sénatrice. Dominique Estrosi Sassone pense « qu’il n’y a pas les moyens nécessaires et, à la fois, une volonté d’aller trop vite. Cela ne peut pas marcher ».

Lors de l’examen du texte à la Haute assemblée, les sénateurs ont cherché à « marcher sur nos deux jambes ». « On voulait aller beaucoup plus loin sur la sortie des passoires thermiques. On voulait même tendre vers des logements A et B. Mais pour tenir un calendrier ambitieux, il faut un deuxième pilier : que les catégories les plus populaires se sentent elles aussi embarquées. Il faut donc les accompagner, qu’elles puissent avoir un reste à charge a minima sur les travaux. Le troisième pilier, balayé d’un revers de main par l’Assemblée, c’était toutes les mesures pour aider les propriétaires bailleurs privés », explique Dominique Estrosi Sassone.

« Le ministère de la Transition énergétique n’a pas les moyens de ses ambitions »

Daniel Salmon, sénateur EELV, salue le rétropédalage du gouvernement. « Je préfère un ministère qui plaide et reconnaît l’erreur, plutôt qu’un ministère qui s’enkyste dans quelque chose qui ne va pas », dit le sénateur d’Ille-et-Vilaine. Mais il pointe, lui aussi, la méthode. « On est allé à marche forcée sur un nouveau DPE. On peut aussi regretter que le ministère de la Transition énergétique n’ait pas les moyens de ses ambitions. Le logiciel qui a été créé n’a pas été assez testé, on n’a pas assez expérimenté pour voir s’il était fiable », pointe du doigt Daniel Salmon. Un manque de moyens qui se retrouve dans les effectifs :

De 2013 à 2019, on a supprimé 9.000 postes au ministère de l’Ecologie et 779 depuis 2021.

Lui aussi souligne que « de nombreux énergéticiens avaient alerté il y a plusieurs mois sur le nouveau DPE. On arrivait à des résultats assez erronés ». Dans un communiqué, l’UNPI, la Fnaim et des représentants du secteur, « regrettent » en effet « que leurs alertes n’aient pas été entendues lors de l’examen de la Loi Climat ». Malgré ce loupé, le sénateur écologiste souligne qu’« il faudra être très ambitieux sur la rénovation ». Il plaide aussi pour rendre obligatoire la rénovation des logements à partir du niveau C. « Il faut aller jusque-là », selon Daniel Salmon, si on veut répondre à l’urgence climatique.

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