« Ils n’ont pas seulement tué Beyrouth, ils ont tué l’espoir »

« Ils n’ont pas seulement tué Beyrouth, ils ont tué l’espoir »

Pour Gaëlle, étudiante libanaise installée à Paris, l’avenir s’écrira désormais hors du Liban. Une décision à contre cœur, qui reflète le désir d’exil de nombreux Libanais. Déjà traumatisée par la crise économique, la classe moyenne libanaise vit l’explosion du 4 août comme la catastrophe de trop. Reportage.
Public Sénat

Par Fabien Reckert

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Sur le canapé de son appartement de Boulogne-Billancourt, Gaëlle Achdjian déploie les pancartes qu’elle a confectionnées avec ses amis. Sur l’une d’entre elles, un proverbe arabe inscrit en grosses lettres : « Celui qui plante la misère récolte la colère ».

La colère de Gaëlle était d’abord teintée d’espoir. Le 17 octobre dernier, les Libanais descendaient dans les rues pour manifester contre la crise économique et l’incurie du gouvernement. L’étudiante, qui vient alors de débarquer à Paris, ne veut pas rester les bras croisés.

« Expatriés réunis »

Avec deux amis elle crée un collectif, « Les expatriés réunis ». Celui-ci prend rapidement de l’ampleur. « Il y avait des événements Facebook à Londres, Berlin, Marseille… nous les avons réunis dans un groupe WhatsApp qui a grandi, et c’est devenu une communauté internationale dans plus de 30 villes dans le monde, qui fait du lobbying, des manifestations… »

À Paris, Gaëlle ne loupe aucune manif de la diaspora, et retourne plusieurs fois au Liban pour soutenir le mouvement. Le 4 août, jour de la double explosion sur le port, Gaëlle est à Beyrouth auprès de sa famille. « Je marchais dans les rues le lendemain de l’explosion, et un ami m’a dit : ils n’ont pas seulement tué Beyrouth, ils ont tué l’espoir ! »

« Ce pays va les tuer »

Pour Gaëlle, le 4 août est un tournant. Malgré ses attaches, elle a décidé de ne pas rentrer au Liban à l’issue de son Master. « Je ne me vois pas avoir des enfants dans ce pays aujourd’hui. Je ne me vois pas prendre la responsabilité de les élever dans un pays qui peut les tuer, qui va les tuer ! » Gaëlle en veut beaucoup à la classe politique libanaise, unique responsable selon elle de tous les maux du pays.

 « La situation au Liban était déjà très difficile, pour beaucoup de gens elle est devenue insupportable après le 4 août » explique Nadim Houry, directeur du think-tank Arab Reform Initiative. « Surtout pour la classe moyenne, qui avait un bon niveau de vie, et qui du jour au lendemain n’a plus accès à son argent, et voit la livre libanaise s’écrouler de façon dramatique. Vient s’ajouter à cela un grand sentiment d’insécurité. »

« Le Liban a besoin de sa jeunesse »

S’il ne dispose pas encore de chiffres pour mesurer le phénomène, Nadim Houry anticipe un exode de la classe moyenne. « Certains ont de la famille en Europe, aux États-Unis, voire une double nationalité. C’est une classe moyenne internationalisée » en capacité d’organiser son départ.

« Ce sont surtout les jeunes qui vont partir » précise Nadim Houry. « Ce sont eux qui peuvent reconstruire leur vie. Donc il y a un danger pour le Liban : qu’il se vide du talent dont il a besoin aujourd’hui plus qu’hier pour se relever de la dernière crise économique. Le Liban a besoin de sa jeunesse ».

Des valises pour Beyrouth

Une jeunesse qui vient grossir les rangs de la diaspora. Nous retrouvons Gaëlle à une soirée de soutien au Liban, organisée sur une péniche parisienne. 2000 personnes ont annoncé leur participation sur Facebook, le quai longeant la bibliothèque François Mitterrand est bondé. « Tous les bénéfices de la soirée vont aller à des ONG libanaises et à un fonds de soutien à la communauté LGBT au Liban » se félicite Gaelle.

« La diaspora est toujours très mobilisée » renchérit son amie Aya Mcheimeche, qui a co-fondé l’association « Des valises pour Beyrouth » au lendemain de la catastrophe. « Il y a une solidarité au sein du peuple, face à un gouvernement qu’on n’a pas forcément choisi ».

« Beaucoup veulent repartir »

Mais l’exil reste un déchirement. « Il y a beaucoup de jeunes Libanais qui partent et qui se sentent coupables, et d’autres qui sont dans la diaspora et qui se sentent coupables de ne pas être au Liban, mais il ne faut pas » assure Alexandra Mouracadé, de l’ONG Impact Lebanon. « Le Libanais en général n’oublie pas ses racines. Beaucoup veulent repartir et repartiront ».

Vœu pieux ou réalité ? Plongé dans une crise sans précédent, le Liban peut compter sur sa diaspora. Une partie de sa jeunesse, en revanche, devrait continuer d’emprunter le chemin de l’exil.

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