Plan déradicalisation : « Commençons par évaluer ce qui a été fait » demande Esther Benbassa

Plan déradicalisation : « Commençons par évaluer ce qui a été fait » demande Esther Benbassa

Création de places de prisons « étanches » pour détenus radicalisés, contrôle accru des établissements privés hors contrat et des fonctionnaires… Édouard Philippe présentait, ce vendredi à Lille, le plan national de prévention de la radicalisation. « Ne créons pas une société du soupçon » demande la sénatrice Esther Benbassa. 
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Quatre ans et 3 plans gouvernementaux successifs (2014, 2015, et 2016) n’ont, jusqu’à présent, pas apporté de résultats probants en matière de lutte contre la radicalisation. Et pour cause : « Il est très difficile de faire reculer quelqu’un qui a déjà endossé des croyances inconditionnelles » expliquait le sociologue Gérald Bronner en 2016, à l’occasion des « Rencontres nationales entre l'État et les collectivités contre la radicalisation » (voir notre article).

Annoncé en octobre par le chef de l’État, c’est une douzaine de ministères qui se sont mobilisés dans le cadre d’un nouveau plan national de prévention de la radicalisation. « Ce plan national de la prévention de la radicalisation balaie, à dessein, des champs qui sont larges : l’école, l’université, le sport, l’entreprise, les services publics aussi » a énoncé Édouard Philippe, citant 60 mesures comprises dans ce plan.

« Chaque gouvernement se sent obligé de faire quelque chose » 

« Trois aspects » ont été développés par le gouvernement lors de cette présentation d’une demi-heure. Ils concernent tout d’abord  la prévention à « l’école» et dans « les services publics et l’administration » et enfin la déradicalisation, « et je dois dire que je trouve ce terme peu approprié car nul ne dispose d’une formule magique de déradicalisation au sens où l’on pourrait déprogrammer un logiciel dangereux » a reconnu le Premier ministre. Néanmoins, ce plan comporte des défauts pour la sénatrice écologiste, Esther Benbassa co-auteur avec Catherine Troendlé, sénatrice LR, d’un rapport sur le « désendoctrinement, désenbrigadement et  la réinsertion des djihadistes en France et Europe ». « Je veux bien qu’on sensibilise les enseignants, les policiers, les fonctionnaires, les éducateurs… Mais commençons déjà par évaluer ce qui a été fait. Chaque gouvernement se sent obligé de  faire quelque chose. Ce n’est pas la création de 1500 places de prison qui va m’impressionner » estime-t-elle.

1.500 places de prison « étanches » 

Et, en effet, Parmi les principales annonces de ce matin, la plus attendue fait suite à l’agression de surveillants par un détenu radicalisé à Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais), élément déclencheur d’un vaste mouvement de blocage des établissements pénitentiaires par les surveillants. 1.500 places vont être créées « dans des quartiers étanches, exclusivement dévolus aux détenus radicalisés », dont 450 « d'ici la fin de l'année », a annoncé Édouard Philippe. Les quartiers d'évaluation de la radicalisation (QER), où la dangerosité des prisonniers est évaluée pendant plusieurs mois, passeront de trois à sept. Et deux quartiers de prise en charge des personnes radicalisées (QPR) doivent être créés en 2018, sur le modèle de celui existant dans la prison de Lille-Annoeulin, visitée vendredi matin par Nicole Belloubet.

Le gouvernement reprend une proposition du sénat sur les établissements privés hors contrat

Édouard Philippe souhaite également voir une proposition de loi de la sénatrice centriste Françoise Gatel, votée il y a deux jours,  « aboutir rapidement et aller à son terme ». Le texte vise à simplifier et à renforcer l’encadrement des écoles privées hors contrat (voir notre article). « Le ministère de l’éducation nationale spécialisera, à partir de la rentrée prochaine des équipes d’inspecteurs et harmonisera les pratiques en matière de contrôle » a-t-il précisé.

En appui de la campagne « Stop Jihadisme » lancée en 2016, l'exécutif veut aussi développer un « contre-discours » à la propagande jihadiste plus ciblé et moins institutionnel, ou encore à mieux coordonner les alertes sur la radicalisation dans les structures psychiatriques.

Écarter un militaire ou un fonctionnaire dont « le comportement porte atteinte aux obligations de neutralité

Des décrets à la loi  sur la sécurité intérieure vont aussi permettre d’écarter un militaire ou un fonctionnaire dont « le comportement porte atteinte aux obligations de neutralité, de respect du principe de laïcité ». « Ne créons pas une société du soupçon » demande Esther Benbassa qui craint que ces mesures de prévention ne se transforment en délation. « Comment va-t-on faire pour éviter l’arbitraire ? Un fonctionnaire, musulman pratiquant qui porte la barbe et ne mange pas de porc, sera-t-il détecté en tant que radicalisé ? » s’interroge-t-elle.

Expérimentation de nouveaux centres déradicalisation

En ce qui concerne les centres de déradicalisation, l’unique expérimentation s’était soldée par un échec avec, en juillet dernier, la fermeture de l’unique centre situé à Pontourny en Indre-et-Loire. Le gouvernement souhaite développer « un autre dispositif individualisé pour des personnes radicalisées placées sous main de justice ». Il s’agit du dispositif Rive (Recherche et intervention sur les violences extrémistes) expérimenté en Ile-de-France depuis la fin 2016, et qui « comporte un suivi socio-éducatif et un référent culturel ». Sur ce modèle, d’autres établissements verront le jour à Marseille, Lyon et Lille. « C’est un bon programme, les gens qui s’en occupent sont très bien mais quand je suis allée sur place en septembre, ils ne prenaient en charge que 14 personnes » tempère Esther Benbassa. Sur près de 70.000 détenus en France, 512 personnes sont actuellement incarcérées pour des faits de terrorisme. Et 1.139 prisonniers de droit commun ont été identifiés comme « radicalisés », selon l'administration.

En appui de la campagne « Stop Jihadisme » lancée en 2016, l'exécutif veut aussi développer un « contre-discours » à la propagande jihadiste plus ciblé et moins institutionnel en « luttant contre les théories complotistes. Enfin, l’exécutif entend mieux coordonner les alertes sur la radicalisation dans les structures psychiatriques.

 

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