Politique énergétique : les sénateurs attendent des «objectifs réalistes»

Politique énergétique : les sénateurs attendent des «objectifs réalistes»

Alors qu’il attend, comme beaucoup d’autres acteurs, le détail de la future programmation pluriannuelle de l'énergie pour la prochaine décennie, le Sénat a réuni autour de lui les grands acteurs du secteur. Au menu : un débat sur l’avenir des énergies renouvelables, sur le nucléaire mais aussi sur les moyens d’opérer une transition pour la population.
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Quelle sera la politique énergétique de la France pour les 10 prochaines années ? C’est à cette question cruciale que devra répondre la future programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). La présentation de ce document, qui détermine les grandes orientations stratégiques, se fait attendre. Prévue pour la fin octobre, elle ne devrait pas intervenir avant la mi-novembre, selon Le Figaro.

La feuille de route est attendue par tous les grands acteurs de l’énergie, dont une partie de leurs représentants étaient réunis au Sénat ce mercredi matin pour une table ronde. Comme à chaque fois qu’ils abordent la PPE – fixée dans un décret gouvernemental et non dans un projet de loi – les sénateurs déplorent que le Parlement n’ait pas son mot à dire sur cette question qui nécessite des investissements conséquents (relire notre article) et qui engage des évolutions industrielles et sociétales significatives.

« Nous espérons tous, cette fois, que les objectifs fixés quant à l’évolution du mix énergétique seront crédibles et réalistes », déclare le président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, Hervé Maurey (Union centriste). Comme le prévoyait la loi d'orientation énergétique votée en 2015, la part du nucléaire dans la production d’électricité nationale (75%) devait être ramenée à 50% en 2025. Intenable, l'échéance a été repoussée l’an dernier par le gouvernement, tablant désormais sur les années 2030.

L’objectif de 32% d’énergies renouvelables dans la consommation d’énergie nationale en 2030 – soit le double de leur part actuelle – sera lui aussi compliqué à tenir dans les délais impartis. Même le seuil intermédiaire, de 23% en 2020, semble inatteignable. « Malgré des investissements conséquents, la progression sera probablement insuffisante », note Élisabeth Lamure, vice-présidente (LR) de la commission des affaires économiques.

« On peut doubler la part des énergies renouvelables » d’ici 2030-2035

« On peut doubler la part des énergies renouvelables » d’ici 2030-2035, estime l'Ademe
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Ce n’est pas l’avis de l’Ademe (l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), adossée au ministère de la Transition écologique, qui juge encore la trajectoire crédible. « On peut doubler la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique de 16% à 32% à l’horizon 2030-2035 », assure son directeur général délégué, Fabrice Boissier. L’agence estime que les marges de manœuvre sont réelles, notamment avec l’appui du secteur de la chaleur (biomasse, géothermie ou encore pompes à chaleur).

Ce levier est même qualifié de « premier enjeu » pour la future PPE, selon Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables. Jean-Baptiste Séjourné, le directeur Régulation d'Engie, recommande de doubler le Fonds Chaleur, géré par l’Ademe, une préconisation partagée par plusieurs sénateurs.

Jean-Louis Bal attend surtout du prochain PPE une « lisibilité », capitale selon lui pour pouvoir encourager les investissements, d’où qu’ils viennent. Il est aussi primordial, estime-t-il, d’introduire de réels outils de suivi.

Sur le front de l’éolien (un appel à projets pour des fermes flottantes a été lancé), beaucoup appellent l’État à mettre le paquet. « Nous sommes au moment où le train est en train de passer », alerte Jean-Baptiste Séjourné, directeur Régulation d'Engie. « Les prévisions à l’export son considérables. Il est important qu’au-delà des fermes pilotes, il y ait une décision qui soit inscrite ». Le sénateur de la Manche, Jean-Michel Houllegatte (PS), redoute que la PPE manque d’ambition. « Nous craignons très fort qu’elle ne donne pas lieu à l’éclosion d’une politique industrielle. »

« L’écologie punitive » pointée du doigt

À quelques semaines du début au Sénat de l’examen des lois de finances, la hausse des taxes sur les carburants, et notamment sur le diesel, n’a pas manqué de faire réagir les sénateurs présents. « Cette fiscalité verte, en réalité, elle n’est là que pour alimenter le budget de la nation. Elle n’apporte aucune réponse », fait remarquer le sénateur (LR) Daniel Gremillet. En termes de mobilités, il est obligatoire de développer des alternatives, explique le directeur général délégué de l’Ademe. On a « besoin d’une politique incitative forte qui vienne accompagner cette hausse de la taxe carbone », dit-il.

« Pour moi l’écologie punitive, n’a pas lieu d’être si on ne peut pas donner à nos concitoyens la possibilité d’avoir des choix », considère la socialiste Angèle Préville.

Ce sentiment d’injustice, cette notion d’acceptabilité d’une politique environnementale, Jacques Archimbaud, le président de la commission du débat public sur la programmation pluriannuelle de l'énergie, l’a rencontré au cours de ses échanges avec la population. « Il y a un certain nombre d’inquiétudes sur le poids de la fiscalité. Elle est majeure. Qui ne s’en soucie pas aura des problèmes quant à l’application de sa politique », met-il en garde.

Transition énergétique : les inquiétudes de la population relayées par Jacques Archimbaud
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« 15 milliards d’euros, c’est un pognon de dingue »

Pour pouvoir décliner des solutions sur le terrain, les collectivités doivent aussi être armées, ont relayé les sénateurs. « Il n’est évidemment pas acceptable que l’État conserve la ressource taxe carbone alors qu’il n’est pas le seul à agir pour lutter contre le dérèglement climatique. Les collectivités ne peuvent pas jouer leur rôle sans une part de cette taxe carbone […] Effectivement, 15 milliards d’euros, c’est un pognon de dingue », réagit Hervé Maurey.

Le « formidable » potentiel de ces énergies vertes ne s’arrête pas là. « Nous avons réalisé des études, qui se projettent jusqu’en 2050, qui montrent qu’on peut avoir une France alimentée quasiment totalement par des énergies renouvelables », ajoute Fabrice Boissier.

Irréaliste pour EDF. « Aujourd’hui, je ne vois pas la viabilité d’un système 100% renouvelable », contredit Marc Bussieras, directeur stratégie du groupe, qui n’imagine rien d’autre qu’une cohabitation avec l’énergie nucléaire, ce qui supposera un « nucléaire nouveau », et donc des projets de « nouveaux réacteurs ». Comme des EPR.

EDF anticipe une « légère hausse » de la consommation d’électricité sur le long terme

EDF anticipe une « légère hausse » de la consommation d’électricité sur le long terme
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Le premier producteur d’électricité en France, à la tête d’un parc nucléaire de 58 réacteurs (dont plusieurs devraient stopper leur activité dans les prochaines années), se veut rassurant sur la transition énergétique à l’œuvre, et sur l’abandon d’énergies fossiles. Marc Bussieras anticipe une « légère hausse de la consommation d’électricité », de l’ordre de « 0 à 1% par an sur le long terme ».

Selon ce directeur en charge de la stratégie du groupe, les investissements pour entretenir le parc nucléaire existant s’élèvent à 4 milliards d’euros chaque année. Quant aux moyens mis sur la table pour les futurs réacteurs, et pour financer les énergies renouvelables de demain, Marc Bussieras précise que le financement est « équilibré » : deux milliards d’euros « de chaque côté ».

Le président de la commission du débat public organisé sur la future PPE en a profité pour glisser un conseil au gouvernement. « Si j’ai une recommandation à faire, ce serait de ne pas s’enfermer dans un seul scénario ».

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