« Projections erronées sur la progression de l’épidémie » : « Cet exécutif a un problème avec la vérité », cingle Bruno Retailleau

« Projections erronées sur la progression de l’épidémie » : « Cet exécutif a un problème avec la vérité », cingle Bruno Retailleau

Mediapart révèle que le Premier ministre aurait présenté le 28 janvier dernier des documents erronés et des fausses « projections » sur le covid-19, lors de sa réunion de concertation fin janvier, avec les présidents des groupes politiques au Parlement. Les principaux présidents de groupe du Sénat restent prudents et font part de leur « circonspection ».
Public Sénat

Par Pierre Maurer

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Le 29 janvier dernier, Emmanuel Macron prend « son risque ». Le chef de l’Etat décide contre toute attente de ne pas reconfiner le pays. La veille, lors d’une réunion de concertation sous la houlette de Matignon avec les présidents des groupes politiques au Parlement, le Premier ministre Jean Castex présente un diaporama et des « projections » modérant la progression de l’épidémie. Ce vendredi, Mediapart révèle que ces documents contenaient des erreurs et que les projections n’en étaient tout simplement pas, témoignage de l’épidémiologiste à son origine à l’appui. « Renaud Piarroux avait tracé des courbes à l’intention du Premier ministre pour expliquer « l’interaction de deux variants » simplement, il les lui avait remises en format papier, avec une note explicative. Mais le document a été ensuite scanné, retitré pour être présenté comme des « projections » que Renaud Piarroux n’a « jamais prétendu faire ». Une ligne en pointillé a été ajoutée, ainsi qu’une nouvelle légende », écrit notamment Mediapart.

« Cet exécutif a un problème avec la vérité », cingle en réaction le patron des sénateurs LR, Bruno Retailleau. A Mediapart, le président des sénateurs socialistes Patrick Kanner avait fait part de son sentiment « d’être traités en paillassons ». A Public Sénat, il témoigne de son « incrédulité » et explique : « Les réunions se déroulent toujours selon le même formalisme : Castex et Véran présentent des slides à une telle vitesse que nous n’avons même pas le temps de prendre une photo. En bref, on nous amuse… On nous passe l’info en cours de réunion, comment voulez-vous qu’on analyse les choses ? Ce n’est pas sérieux ! Je le regrette… »

« Je suis prudent. C’est inquiétant que Matignon distribue des documents truffés d’erreurs. Ça jette un brouillard pour l’avenir », réagit avec « circonspection » le chef des sénateurs centristes Hervé Marseille. Il rappelle que « c’est tout de même sur la base de ces documents qu’on est appelés à donner des décisions de privation de liberté… Il n’y a pas de choses extrêmement fortes. Mais il faut que l’on vérifie ce qu’il s’est passé ». Reste que « si la falsification est volontaire, c’est préoccupant. On peut y voir de la manipulation ». Mais Hervé Marseille a « peine à le croire ».

Tout comme Guillaume Gontard, le patron des sénateurs écologistes. « L’erreur aurait tendance à minimiser l’évolution du variant. Il faut que l’on retrouve une méthode claire et transparente. On a toujours travaillé de manière constructive. Il faut qu’ils nous disent pourquoi il y a eu ces fausses informations. Je n’ose pas imaginer que c’était volontaire… », souffle-t-il, ajoutant que « l’acceptabilité passe par la transparence ». L’écologiste veut donc une « clarification rapide » de Matignon, qui a refusé de répondre à Mediapart. « D’autant que nous aurons le débat sur la tenue des élections la semaine prochaine. Cela nécessite d’avoir des bonnes informations pour prendre une décision éclairée. Si l’on s’aperçoit que le gouvernement manipule des informations, on rentre dans un autre domaine… », soupire, las, Guillaume Gontard.

« Explication de texte »

A Mediapart, le sénateur Bernard Jomier (PS), rapporteur de la commission d’enquête sénatoriale sur la gestion de la crise sanitaire, par ailleurs médecin, estime que « l’ajout de l’hypothèse d’un R à 1,4 pour le variant anglais visait évidemment à atténuer l’effet de progression de l’épidémie. Elle est problématique sans accord de l’auteur et Matignon n’est pas une institution compétente pour modifier les projections ». Son collègue LR de la commission des Affaires sociales, René-Paul Savary, abonde : « S’ils sont falsifiés, c’est grave. S’ils sont juste erronés, aillons la naïveté de croire que ce n’est pas volontaire. Mais je constate que les membres du gouvernement considèrent que tout va bien. Tout a été bien fait… Or, nous aimerions partager les responsabilités. A chaque fois on nous raconte ce que l’on veut bien nous raconter. C’est une dérive de la démocratie ! »

Fidèle du chef de l’Etat, le président du groupe RDPI (LREM) au Sénat François Patriat s’inscrit complètement en faux contre ces accusations. « Je n’ai pas le souvenir qu’on nous ait présenté des documents ou un slide. Et puis vous ne les voyez même pas les slides quand vous êtes sur votre écran d’ordi ! », se défend le sénateur. « A l’époque, on nous disait qu’on était sur un plateau, et que nous étions en mesure de tenir ce palier avec les mesures que nous prenions. Je n’ai jamais eu le sentiment d’une tentative d’orientation des parlementaires. D’ailleurs, on avait le sentiment qu’on allait reconfiner le lendemain. Mais j’entendais l’opposition dire que c’était les scientifiques qui gouvernaient », oppose-t-il. En voiture, au milieu des vignes, il insiste : « Si le document n’était pas le vrai, comment voulez-vous qu’on le sache ? Je n’ai absolument pas le sentiment que le gouvernement ait voulu nous tromper ! Je n’y crois pas ! »

Alors manipulation volontaire du gouvernement ? « Je ne suis pas flic », rétorque Patrick Kanner. « Est-ce une maladresse ? Ce qui est certain, c’est qu’on nous préparait à des mesures lourdes qui ne sont pas venues. Tout le monde savait qu’à 10 % en janvier, le variant serait à 50 % en mars, c’était inscrit dans le marbre ! », martèle-t-il. « Et puis j’ai bien vérifié les courbes qu’on a reçues le lendemain, ce sont bien celles que l’on nous a présentées », poursuit-il. Pour l’heure, Patrick Kanner va discuter de la suite à donner avec ses collègues en réunion de groupe mardi. « Mais il est possible qu’avec Valérie Rabault (présidente du groupe socialiste à l’Assemblée nationale), on demande une explication de texte », prévient-il.

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