Vote par anticipation à la présidentielle : le Sénat met un coup d’arrêt à l’amendement du gouvernement

Vote par anticipation à la présidentielle : le Sénat met un coup d’arrêt à l’amendement du gouvernement

Les sénateurs ont largement rejeté l’amendement du gouvernement qui prévoit la possibilité de voter par anticipation en 2022, via des machines à voter. Un rejet synonyme d’enterrement pour cette mesure polémique, déposée au dernier moment, sans concertation et très incertaine sur le plan constitutionnel.
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Déposé en catimini un mardi, rejeté largement un jeudi. L’amendement numéro 32 du gouvernement sur le vote par anticipation pour l’élection présidentielle par le biais de machines à voter n’aura pas fait long feu. Sans surprise, il a été très largement rejeté ce jeudi par le Sénat, qui examinait le projet de loi organique sur l’élection présidentielle, par 321 voix contre 23. Un texte technique de toilettage du droit électoral, comme avant chaque scrutin présidentiel, qui s’est transformé en sérieuse polémique et un joli loupé pour le gouvernement.

Dès le dépôt de l’amendement, droite et gauche s’y sont opposés, que ce soit sur le fond ou sur la forme (lire ici). A commencer par la majorité sénatoriale de la droite et du centre, qui a fait un sort à l’amendement. Car son rejet met tout simplement fin à son parcours parlementaire et à l’histoire, en raison de « l’entonnoir parlementaire », a souligné le sénateur du groupe centriste, Philippe Bonnecarrère, et comme publicsenat.fr l’expliquait hier. Cet amendement n’ayant pas été d’abord déposé, et adopté, à l’Assemblée, le gouvernement ne pourra pas réintroduire la mesure devant les députés après la commission mixte paritaire. Pour pouvoir réintroduire la mesure à l’Assemblée, il faut un « lien direct » avec l’article du projet de loi. Ce qui n’est pas le cas. Autrement dit, le gouvernement s’est pris les pieds dans le tapis de la procédure parlementaire.

Marlène Schiappa défend un « dispositif très innovant » permettant de lutter contre l’abstention

Pour la ministre Marlène Schiappa, qui a tenté de défendre la mesure, ce « dispositif très innovant » permet avant tout de lutter contre l’abstention grandissante, en modernisant le mode de scrutin. « L’électeur pourra voter dans une commune de son choix, jusqu’à une semaine avant le scrutin » avance-t-elle, avec « une machine par département ». Les machines à voter seront ensuite « verrouillées, mises sous clef, avec un "dépouillement" le dimanche ».

Face aux conditions de dépôt de l’amendement, elle a bien volontiers fait amende honorable. « Je comprends votre étonnement sur la méthode. Votre étonnement et votre colère même, sont légitimes » a-t-elle lâché. « Je pense que cet amendement vient d’ailleurs, et donc le gouvernement a appris en même temps que nous son existence » raille le président du groupe Union centriste, Hervé Marseille. Cet ailleurs, c’est l’Elysée.

Toujours est-il que la ministre souligne que « beaucoup d’appels du pied ont été fait sur la modernisation du vote par des députés et sénateurs ». Elle rappelle au passage qu’Emmanuel Macron avait dans son programme de 2017 la « numérisation et la modernisation de la démocratie ». Mais Marlène Schiappa l’assure :

Nous ne passons rien en force, nous proposons cet amendement et le mot de la fin vous appartient.

Et pour cause, du fait de cet entonnoir parlementaire qui joue son rôle de filtre… Manière aussi pour la ministre de reconnaître, en creux, que l’amendement n’ira pas plus loin.

Les arguments de Marlène Schiappa n’ont évidemment pas convaincu le rapporteur LR Stéphane Le Rudulier, prévenu lundi soir par le ministère de l’Intérieur du dépôt de l’amendement. Il rejette tant la forme que le fond. La forme : pas de saisine du Conseil d’Etat pour avis, ni étude d’impact, ni de concertation politique. « Quand on change les règles du jeu d’un scrutin aussi essentiel pour notre vie démocratique, il faut avant tout avoir l’objectif d’un consensus de l’ensemble de la classe politique. Ce qui n’est pas le cas » tance le sénateur des Bouches-du-Rhône. Sans parler des imprécisions de l’amendement : combien de machines à voter ? quelle date pour le scrutin anticipé ?

Le vote par anticipation « véritablement fragile constitutionnellement »

Sur le fond, le rapporteur met en garde sur de sérieux risques juridiques (voir la première vidéo). Le vote par anticipation « peut être véritablement fragile constitutionnellement », avertit Stéphane Le Rudulier, car « le fait que les électeurs ne disposent pas des mêmes éléments d’information le jour de l’élection entraîne une rupture d’égalité ». Il continue : « Si un évènement marquant venait bouleverser le jugement de l’électeur, je pense notamment au débat d’entre deux tours, l’électeur ne pourra pas revenir sur son vote ». Dans ces conditions, le risque de censure devant le Conseil constitutionnel, qui doit obligatoirement se prononcer s’agissant d’un projet de loi organique, est donc réel (lire notre article sur le sujet).

Autre question : la problématique des machines à voter. « Elles sont soumises depuis 2008 à un moratoire. Le Conseil constitutionnel avait souligné que leur usage soulevait un réel problème de fiabilité » rappelle le rapporteur. Ce moratoire explique pourquoi seules 64 communes les utilisent aujourd’hui, tout comme leur obsolescence technique, qui rappellera des souvenirs à certains. Les machines à voter « sont sur le système d’exploitation Windows 95. En termes de maintenance, ça pose de réelles difficultés pour les communes » souligne Stéphane Le Rudulier…

Le groupe PS fait des propositions sur le sujet « depuis neuf mois »

A gauche, le sentiment est partagé. Car le groupe PS, par la voix du sénateur Eric Kerrouche, défend des propositions autour du vote anticipé – vote par correspondance, possibilité de voter vendredi, samedi et dimanche – « depuis neuf mois, et non entre deux lectures et en catimini » enrage le socialiste. « Après nous avoir expliqué pendant une année qu’on ne pouvait pas changer les règles, il faut oser ! » ajoute son collègue du groupe PS, Jean-Yves Leconte.

Le rapporteur s’est fait le plaisir de rafraîchir la mémoire de Marlène Schiappa, rappelant les déclarations contradictoires, pas plus tard qu’en novembre dernier, et comme publicsenat.fr l’a relevé, du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin : « Nous ne sommes pas capables d’être sûrs que le vote par correspondance, comme le scrutin électronique, soient entièrement incontestables. Des cas de fraudes peuvent être relevés » disait le locataire de Beauvau devant les députés. Ou encore : « Je m’interroge sur les volontés d’américaniser notre système institutionnel »…

Les Américains ont en effet recours au vote anticipé depuis longtemps. Non sans polémique. Le questeur LR du Sénat, Philippe Bas, met ici en garde la ministre : « Si vous persévérez, le résultat de tout ceci, c’est la contestation de la présidentielle de 2022, comme Trump a contesté celle des Etats-Unis en 2021 ». Avec le rejet de l’amendement par le Sénat, le pays devrait s’épargner ce genre d’aventure.

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