« L’affaire d’été », comme la qualifiait Alexandre Benalla lui-même en juillet, traverse désormais l’hiver. Elle pourrait même connaître d’autres saisons. L’ancien collaborateur de la présidence de la République s’est retrouvé une fois encore sous les feux des projecteurs fin 2018, en raison de ses nouvelles activités de consultant. Son voyage d’affaires au Tchad début décembre a servi de nouveau détonateur.
Malgré son licenciement en juillet, l’ancien chargé de mission à l’Élysée, mis en examen notamment pour « violences volontaires », « port prohibé et sans droit d’insignes réglementés par l’autorité publique », n’a pas restitué les passeports diplomatiques en sa possession, et s'en est servi pour voyager à l’étranger, selon les informations du Monde et de Mediapart. Le quotidien du soir a même précisé que ces documents avaient été renouvelés trois semaines après sa mise à pied en mai.
Ces nouvelles révélations ne sont, en tout cas, pas restées sans réponse du côté de la commission d’enquête du Sénat, qui s’intéresse de très près aux dysfonctionnements administratifs. Le 2 janvier, en pleine trêve parlementaire, la commission des Lois présidée par Philippe Bas a demandé des « explications » à l’Élysée et au gouvernement sur l’usage de ces documents et sur l’arrêt de la collaboration d’Alexandre Benalla avec l’exécutif. Le 19 septembre dernier, l’intéressé avait affirmé sous serment devant la commission, que ces passeports étaient restés chez son ancien employeur. « Ils sont au bureau que j’occupais à l’Élysée, donc je pense que l’Élysée a dû s’en occuper », avait-il expliqué.
Une réponse de l’exécutif attendue par la commission d’enquête
La commission d’enquête n’exclut pas de procéder à de « nouvelles auditions », voire de saisir la justice, en cas de soupçon de parjure. Selon la peine rappelée à chaque début des 29 auditions de cette commission, un faux témoignage est passible de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Sur les parjures identifiés comme tels par l'association Anticor, la commission d'enquête a indiqué qu'elle rendrait sa décision une fois le rapport rendu.
Selon François Grosdidier, sénateur LR membre de la commission d’enquête, que nous avons interrogé ce matin, aucun courrier n’est encore parvenu au palais du Luxembourg. Le sénateur de Moselle ajoute que les demandes de documents formulées par la commission d’enquête, auprès de l’Élysée notamment, étaient toujours sans réponse fin décembre avant les vacances parlementaires. Comme le 10 octobre, à l’issue de la dernière audition (relire notre article).
« L’exécutif nous place dans une situation difficile. Notre but n’est pas d’être dans un bras de fer juridique », réagit François Grosdidier, « c’est de faire la lumière » sur ces évènements.
Quoiqu’il advienne, les sénateurs n’ont pas fini leur travail, les récentes coupures de presse ouvrant plutôt de nouvelles questions. Sur les réseaux sociaux ou dans les médias, plusieurs sénateurs se sont montrés favorables à de nouvelles auditions pour éclaircir la situation, et pourquoi pas réentendre Alexandre Benalla une seconde fois.
Des travaux qui se poursuivraient au-delà de la durée de six mois ?
En apparence, le temps est contraint. La commission des Lois a reçu pour six mois seulement les prérogatives d’une commission d’enquête : les serments sont de rigueur et les personnes invitées ont l’obligation de répondre à leur convocation. Ces pouvoirs importants arrivent à échéance le 23 janvier. La date butoir n’est en réalité pas un problème et le sujet est abordé de manière informelle depuis plusieurs semaines par les sénateurs concernés.
Un membre du bureau de la commission des Lois nous indique qu’il est tout à fait possible pour le Sénat, en hémicycle, de prolonger ces prérogatives pour une nouvelle durée de six mois : rien ne l'exclut. François Grosdidier estime pour sa part que la question des passeports et que les missions de « diplomatie sécuritaire parallèle » d’Alexandre Benalla pourraient même justifier la création d’un nouveau champ d’enquête, en collaboration avec la commission des Affaires étrangères.
L’un de ses collègues s’interroge d’ailleurs sur une éventuelle « prise d’intérêt » par Alexandre Benalla, lorsque ce dernier était encore en fonction à l’Élysée. Ce matin, le quotidien Libération s’est étendu sur les « amitiés louches » de l’ancien collaborateur du président de la République, révélant par exemple des liens avec un homme d’affaires syrien controversé, Mohamad Izzat Khatab.
Le rapport d’information toujours en phase de rédaction
Concernant les passeports diplomatiques, Alexandre Benalla s’est expliqué auprès de Mediapart. Selon lui, ces documents ont été rendus à la fin du mois d’août, mais l’Élysée les lui a restitués début octobre, avec d’autres effets personnels. De son côté, le ministère des Affaires étrangères a précisé avoir demandé à deux reprises la restitution des deux passeports délivrés. Jean-Yves Le Drian a saisi le procureur de la République après les révélations de la presse.
En cours de rédaction, la date de sortie du très attendu rapport, qui synthétisera les travaux de la commission d’enquête – de la liste des dysfonctionnements, aux contradictions, en passant par les recommandations, n’est pas encore connue. Ce sera « le moment venu », indique un membre de la commission. Ce vendredi, dans le Figaro, Philippe Bas, le président de la commission, ne liait pas forcément la fin des pouvoirs d’enquête à la remise du rapport. « Nos travaux ne sont pas achevés et s'inscrivent encore dans le délai maximum de six mois, prévu par les règles qui régissent les commissions d'enquête. Je précise que c'est le délai durant lequel la commission est dotée de ses pouvoirs d'enquête et d'investigation mais qu'elle peut poursuivre son travail ensuite en vue d'établir son rapport définitif, qui sera rendu public. »