Bioéthique : les sénateurs de gauche dénoncent un examen « ubuesque » et « un désordre législatif »

Bioéthique : les sénateurs de gauche dénoncent un examen « ubuesque » et « un désordre législatif »

Pour protester contre les conditions d’examen du texte sur la bioéthique, les sénateurs de gauche ont retiré leurs amendements sur l’article 4 sur la filiation. Son examen ne fait plus sens, après le rejet de l’article 1 sur la PMA hier. Il devrait cependant être réintroduit à la fin du texte.
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Rien ne va plus. Faites vos jeux. La première journée d’examen du projet de loi sur la bioéthique s’est terminée mardi dans la confusion. La seconde a repris sur la même lancée. La nuit dernière, les sénateurs ont rejeté l’article 1 ouvrant la PMA à toutes les femmes (lire ici pour plus de détails), pourtant adoptée en première lecture. La faute à un imbroglio qui a mené à l’adoption de la PMA post-mortem, qui a tout chamboulé. Dans ces conditions, la majorité sénatoriale de droite a préféré rejeter l’article 1, tout en annonçant une seconde délibération à venir. La gauche, qui défend la PMA post-mortem, s’est pour sa part abstenue car la majorité a adopté un amendement excluant les femmes seules de la PMA. Autrement dit, personne n’était content (lire ici).

Le pataquès de la veille a laissé des traces

A la reprise des débats, ce mercredi, le pataquès de la veille a visiblement laissé des traces. Surtout, il complique l’examen du texte, arrivé à l’article 4, celui qui porte sur la filiation. La gauche monte au créneau face à une situation qu’elle juge ubuesque. « Le sort de l’article 1 est assez obscur à l’heure où je m’exprime, car il doit faire l’objet d’une seconde délibération dont je n’ai pas compris le contour », souligne la sénatrice PS Marie-Pierre de la Gontrie. « Se positionner sur un article 4 qui organise le système de la filiation, justifié par un article 1 qui n’existe plus et qui existera peut-être… Tout cela rend les choses complexes », constate la sénatrice de Paris. Elle demande à la commission ou au gouvernement de « réserver » l’article 4, c’est-à-dire de l’examiner après quand on connaîtra « le sort » de l’article 1.

Le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, enchaîne : « Les débats sur la filiation en cas de PMA doivent se dérouler en toute connaissance de cause des choix à venir du Sénat (sur l’article 1), dans un souci de clarté et de sincérité des débats ».

« Ce n’est pas très logique mais c’est ainsi… »

« Je ne nie pas les difficultés qui existent du fait qu’hier l’article 1 ait été supprimé », reconnaît la corapporteure LR Muriel Jourda. Mais, problème : « La seconde délibération ne peut avoir lieu qu’en fin de texte. Et si nous réservons l’article 4, nous ne pourrons en délibérer qu’avant la seconde délibération sur l’article 1, ce qui ne changerait pas grand-chose. Quoi qu’il arrive, nous ne pouvons délibérer sur l’article 4 qu’avant l’article 1. Ce n’est pas très logique mais c’est ainsi… » Les sénateurs se retrouvent donc coincés, tout en étant obligés de continuer. La situation n’est pas loin de faire penser aux Shadoks.

Des explications qui ne suffisent pas à la communiste Laurence Cohen. « Je me trouve devant une situation assez inédite. D’un point de vue purement logique, nous allons nous prononcer sur un article 4, comme ça, en apesanteur. Et défendre des amendements sur quelque chose qui n’existe pas… » Elle ajoute :

Avouez que parler d’un article qui ne sera plus rattaché et qui n’aura plus de sens, avec des amendements qui ne vont pas tenir, c’est ubuesque, sur des sujets extrêmement attendus. […] Ça ne donne pas une image du Sénat sereine et responsable.

Les sénateurs buttent en réalité sur le règlement du Sénat. « Sauf si la commission demande la réserve de l’article 4, l’article sera débattu. C’est la règle », insiste le sénateur LR Roger Karoutchi, qui préside la séance. Or Alain Milon, président LR de la commission spéciale, ne demande pas la réserve.

Pour la majorité présidentielle, c’est l’occasion d’enfoncer le clou. « Je suis inquiète. Depuis le début de l’examen du texte en seconde lecture, le texte a été vidé », regrette la sénatrice LREM Patricia Schillinger, avant d’ajouter :

Il est dommage de voir que par des suppressions qui se suivent et se ressemblent, le texte ne devient qu’un squelette qui ne répond pas aux attentes légitimes des Français.

« On est dans un grand jeu de quilles où il n’y a plus grand-chose qui tient »

Dans ces conditions, les groupes PS et écologistes annoncent qu’ils retirent tous leurs amendements sur l’article 4. « On n’écrira pas un droit putatif. Car l’article 1er n’existe pas. Nous serons cohérents car la commission ne souhaite pas l’être. Nous retirons nos amendements, […] nous ne participerons pas au vote sur une question qui n’existe pas à l’heure actuelle. Vous créez un désordre législatif de premier ordre », attaque le socialiste Bernard Jomier. Regardez :

« C’est un peu compliqué d’avoir de l’ordre dans ce grand désordre. Ça fait quatre mois que je suis au Sénat. Je pensais avoir des choses ordonnées. Et là, on est dans un grand jeu de quilles où il n’y a plus grand-chose qui tient », tranche le sénateur EELV Daniel Salmon. Attaqué, Alain Milon répond que l’abstention de la gauche hier sur l’article 1 « a facilité le vote contre ». « Et en ce qui me concerne, j’ai voté pour » ajoute le président de la commission, favorable à la PMA.

L’examen de l’article 4 a donc eu lieu, malgré tout. Et pour le coup, rapidement. Les sénateurs ont quand même pu adopter l’amendement de la sénatrice LR Martine Berthet, qui rétablit la version du texte adopté par le Sénat en première lecture. Pour la femme « qui n’a pas participé à la procréation » dit l’amendement, « il propose de l’établir par la voie d’une procédure d’adoption rénovée et accélérée, sous le contrôle du juge dans l’intérêt de l’enfant ». Mesure qui « utilise les outils du droit existant sans bouleverser les principes fondamentaux de la filiation ». Après ces nouvelles tensions, les élus de la Haute assemblée ont pu retrouver une certaine sérénité sénatoriale pour la suite de l’examen du projet de loi.

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